ESUS LE DESTRUCTEUR DE MONDES

LES DRUIDES SAISON 2 ÉPISODE 12

ORION ET ESUS (1ère partie)

D’après le chaudron de Gundestrup, Orion est le dieu qui sacrifie le Taureau Céleste, il est également à travers ses « avatars », notamment Esus, un tueur de dragon et le détenteur du breuvage d’immortalité, mais surtout il est celui qui déclenche la fin du Monde en abattant l’arbre qui soutient la voûte céleste…

UN DIEU BÛCHERON

Esus est très certainement une des figures les plus intéressante du panthéon gaulois. Il apparaît sur le pilier des Nautes en tant que bûcheron qui élague un arbre, au-dessus du bas-relief, sur lequel il est représenté, est inscrit un nom : Esus.

Voir SAISON 2 ANNEXE 14 Le pilier des Nautes

Esus, Pilier des Nautes (Musée de Cluny, Paris)

Esus, Pilier des Nautes (Musée de Cluny, Paris)

À priori cette scène champêtre qui montre un homme coupant les branches d’un arbre est anodine et ne symbolise rien de plus que ce qu’elle montre c’est à dire un homme, peut-être une divinité qui coupe les branches d’un saule. Impression trompeuse.

Car chaque image des dieux des druides comporte plusieurs niveaux de lecture et l’une d’elle fait d’Esus un tueur de dragon ce qui signifie que ce bas-relief représente l’équivalent gaulois du Saint Michel terrassant le dragon que l’on rencontre dans l’iconographie chrétienne.

ESUS. Saint Michel terrassant le dragon, École siennoise (XIVe s.)

Saint Michel terrassant le dragon, École siennoise (XIVe s.)

Mais commençons par le début.

UN DIEU GAULOIS

Esus (ou Hesus ou Aesus) est une divinité de la mythologie celtique gauloise, mentionné, avec deux autres dieux, Teutatès et Taranis, dans la Pharsale de Lucain datant du Ier siècle.

[…] et vous peuples, qui répandez le sang humain sur les autels de Teutatès, de Taranis, et d’Hésus, divinités plus cruelles que la Diane de Tauride ; vous recommencez vos chants, bardes, qui consacrez par des louanges immortelles la mémoire des hommes vaillants frappés dans les combats. Et vous, Druides, vous reprenez vos rites barbares, vos sanglants sacrifices que la guerre avait abolis[1].

D’après Lucain, les Gaulois pratiquent le sacrifice humain en l’honneur des ces trois divinités. Ce qui est confirmé par les Scolies de Berne, commentaire antique et médiéval (entre le IVe et le IXe siècle de notre ère) de la Pharsale de Lucain.

Esus Mars est honoré de cette façon : un homme est suspendu dans un arbre jusqu’à ce que ses membres se détachent[2]

Esus est encore une fois mentionné un peu plus loin.

Ils croient en un Esus Mercure, si celui-ci est honoré par les commerçants[3].

Esus est soit assimilé au dieu romain Mars (dieu de la guerre) soit à Mercure (dieu du commerce). Ce qui démontre une fois de plus la difficulté de classer les divinités gauloises. Voir à ce propos SAISON 2 ANNEXE 21 La tripartition indo-européenne et l’interpretatio romana de César

Voir également SAISON 2 ANNEXE 8 Les druides et le nom secret des dieux

Esus apparaît dans l’iconographie gauloise sous les traits d’un simple bûcheron. Il ne faut cependant pas se leurrer sur cet aspect « bonhomme », car il est des dieux les plus importants du panthéon celtique et les Gaulois font des sacrifices humains en son honneur.

ÉTYMOLOGIE DU NOM

Esus semble provenir de Veso qui signifie « meilleur, excellent », Esus est donc « le meilleur » ou le « très bon ». Cette appellation de dieu « bon » sert surtout à se prémunir en quelque sorte du caractère ombrageux d’un dieu que l’on craint.

LES IMAGES DU DIEU

L’image la plus connue du dieu Esus est celle du pilier des Nautes. Le bas-relief montre le dieu en bûcheron, court-vêtu, en train d’ébrancher un arbre.

Esus, Pilier des Nautes (Musée de Cluny, Paris)

Esus, Pilier des Nautes (Musée de Cluny, Paris)

Sur ce même pilier il est lié à un second panneau celui qui est appelé Tarvos Trigaranus. Voir à ce propos SAISON 3 ÉPISODE 6 Tarvos Trigaranos

Pilier des Nautes, un des quatre blocs de pierre. À gauche Esus abattant un arbre, à droite le taureau aux trois grues (Tarvos Trigarannus).

Pilier des Nautes, un des quatre blocs de pierre. À gauche Esus abattant un arbre, à droite le taureau aux trois grues (Tarvos Trigarannus). Musée de Cluny – Musée National du Moyen Age Source : Clio20. (Wikimedia Commons).

Ce second bas-relief montre un taureau et trois grues. Deux oiseaux sont sur le dos de l’animal, une autre sur sa tête. Un arbre se détache au premier plan, il porte le même feuillage que l’arbre qui est élagué par Esus sur le bas-relief juste à côté.

Pilier des Nautes : Tarvos Trigaranus, sculpture, 37 apr. J.-C., époque gallo-romaine (50 av.-1 00 apr. J.-C.).

Pilier des Nautes : Tarvos Trigaranus, sculpture, 37 apr. J.-C., époque gallo-romaine (50 av.-1 00 apr. J.-C.), musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny, Paris.  Source : www. musee-moyenage.fr

Que les deux scènes soient liées est démontré par un troisième bas-relief provenant de Trêves (Allemagne). Une stèle d’époque impériale, dédiée à Mercure. Voir également SAISON 3 ÉPISODE 7 Le dieu Mercure gaulois

ESUS. Bas-relief de Trèves, face latérale d'une stèle dédiée à Mercure. (Rheinisches Landesmuseum, Trier, Allemagne) ESUS. Bas-relief de Trèves, face latérale d'une stèle dédiée à Mercure. (Rheinisches Landesmuseum, Trier, Allemagne)

Bas-relief de Trèves, face latérale d’une stèle dédiée à Mercure. (Rheinisches Landesmuseum, Trier, Allemagne)

Sur ce bas-relief on peut voir un homme vêtu d’une courte tunique couper un arbre. À la lumière des deux panneaux du pilier des Nautes on peut déduire qu’il s’agit du même personnage, c’est à dire Esus. Dans cette scène le dieu ne coupe pas les branches comme sur le pilier parisien, mais le tronc de l’arbre. Un arbre dont les branches feuillues portent une tête de taureau et trois oiseaux. Il semble que sur le bas-relief de Trêves les deux scènes du pilier des Nautes soient combinées en une seule image. Dans les deux cas, il s’agit de la représentation d’un seul et même mythe.

L’ABATTAGE DE L’ARBRE SACRÉ

Si le panneau du pilier des Nautes montre l’image d’un simple bûcheron qui élague un arbre. Il n’en va pas de même du second bas-relief figuré sur l’autel trouvé à Trèves. Ce panneau montre, certes, la même scène, sauf que sur l’arbre sont perchés trois grues. Ce qui peut paraître normal pour des oiseaux, mais surtout on peut distinguer dans le feuillage de l’arbre une tête de taureau[4]. Ce qui est tout de même, il faut l’avouer, beaucoup moins fréquent.

Or, il n’y a qu’une explication possible pour ce taureau posé sur la cime d’un arbre. Une explication astronomique, car ce n’est pas un animal ordinaire et il ne s’agit pas d’un arbre quelconque, mais de l’arbre cosmique qui soutient la voûte céleste et dans ce cas particulier, la constellation du Taureau et des Pléiades (les trois grues)[5]. Il n’y a aucun doute que ces trois grues sont trois déesses. Comme le démontre une statuette en bronze découverte à Maiden Castle en Grande-Bretagne (Dorset) qui montre un taureau à trois cornes portant sur son dos les bustes de trois déesses. D’ailleurs, la transformation des déesses en oiseaux est un motif que l’on retrouve fréquemment dans la mythologie celtique d’Irlande.

Taureau à trois cornes avec le buste de trois déesses, Maiden Castle, Grande-Bretagne (Dorset).

Taureau à trois cornes avec le buste de trois déesses, Maiden Castle, Grande-Bretagne (Dorset). Source Pinterest

Certains ne comptent que deux déesses, pourtant il en a bien une troisième, celle assise près des cornes de l’animal, dont il manque malheureusement la tête.

Taureau à trois cornes en bronze avec buste de trois déesses, Ier siècle, Maiden Castle, Dorset GB.

Taureau à trois cornes en bronze avec buste de trois déesses, Ier siècle, Maiden Castle, Dorset GB. Au musée du comté de Dorset. © CM Dixon / Héritage-Images

Cette statuette nous apprend deux choses importantes. En premier que le taureau représenté sur le pilier des Nautes et du bas-relief de Trêves correspond au fameux taureau à trois cornes de la religion druidique.

Le taureau d'Avrigney, statue en bronze du Ier siècle, découvert en 1756 à Avrigney (Haute-Saône).

Le taureau d’Avrigney, statue en bronze du Ier siècle, découvert en 1756 à Avrigney (Haute-Saône). Besançon, musée des beaux-arts et d’archéologie. © DOUSSON Jean-Louis

Il est donc évident que ce n’est pas un taureau ordinaire, mais un taureau divin. Que plus précisément il s’agit du Taureau céleste que l’on retrouve dans le ciel étoilé sous la forme d’une constellation, celle du Taureau.

En deuxième que les trois grues correspondent elle aussi à une formation céleste, l’amas des Pléiades et qu’elle sont parfois représentées par trois déesses.

LE TAUREAU ET LES PLÉIADES

L’association des constellations du Taureau et des Pléiades est très ancienne puisqu’elle remonte à la Préhistoire. L’exemple le plus connu est celui de la grotte de Lascaux, chefs d’œuvre en péril, dont les peintures sont estimées autour de 18000 ans avant notre ère. Car chose extraordinaire, au-dessus de la nuque du taureau se trouve une formation de points à l’endroit exact où l’on s’attend à trouver l’amas des Pléiades.

Grotte de Lascaux. Auroch peint dans la salle des taureaux. Le groupe de points noirs au-dessus de l'animal correspond-il à l'amas des Pléiades qui brille dans la constellation du Taureau.

Auroch peint dans la salle des taureaux. Le groupe de points noirs au-dessus de l’animal correspond-il à l’amas des Pléiades qui brille dans la constellation du Taureau. © ministère de la culture, centre national de la préhistoire, Norbert Aujoulat

On peut voir six points au-dessus du Taureau, pourtant les Pléiades sont traditionnellement constituées de sept étoiles qui sont appelées les « sept sœurs ». Cependant l’astronome Ératosthène[6],  précise qu’on ne voit pas sept, mais seulement six étoiles dans le ciel étoilé parce que six des sœurs se sont unies à des dieux et la dernière à un mortel et que c’est pour cette raison qu’elle est totalement invisible[7]. Il semble que cette notion d’un amas de sept étoiles dont seulement six sont visibles soit très ancien et que les Grecs ont brodé une histoire autour de ce thème. Thème qui nous est parvenu grâce à eux.

LA FIN DU MONDE

Esus abat à grands coups de hache l’arbre sacré, l’axe du monde qui soutient la voûte céleste.

Ce qui signifie que le dieu par cette action déclenche la fin du monde.

Esus pourrait prendre à son compte ce passage de la Bhagavad-Gita, l’un des textes les plus sacrés de l’hindouisme.

Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes.

Car si l’axe terrestre s’effondre, c’est toute la voûte céleste qui s’abat sur la terre, symboliquement représenté par la constellation du Taureau et des Pléiades (les trois grues). Le fameux ciel qui tombe sur la tête des Gaulois !

Pour les druides l’arbre sacré, qui peut également être un pilier, correspond à l’axe terrestre qui soutient la voûte céleste. L’acte d’abattre cet axe déclenche la fin du monde.

Pour les druides l’arbre sacré, qui peut également être un pilier, correspond à l’axe terrestre qui soutient la voûte céleste. L’acte d’abattre cet axe déclenche la fin du monde. (Dessin : JPS2023)

Cette crainte longtemps ridiculisée chez nos ancêtres gaulois prend sous la plume de saint Mathieu une tout autre dimension :

[…] le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa clarté, les astres tomberont du ciel et les puissances des cieux seront ébranlées… [8]

Ce ne sont bien sûr pas des étoiles qui tombe sur terre, mais des astéroïdes. Or, le ciel est tombé sur la tête des dinosaures il y a 66 millions d’années et sans doute sur celle des mammouths il y a 12000 ans, faisant disparaître au passage une culture humaine. Conscient du danger, les scientifiques ont lancé des programmes de surveillance pour détecter les astéroïdes qui peuvent présenter une menace et même de les dévier de leur trajectoire avec le programme Dart.

Voir à ce propos SAISON 2 ANNEXE 16 L’astéroïde tueur de dinosaures

SAISON 2 ANNEXE 17 La comète du Dryas

SAISON 2 ANNEXE 18 Un astéroïde à frôlé la terre…

SAISON 2 ANNEXE 19 La mission Dart

LE CIEL QUI TOMBE SUR LA TERRE

La question n’est pas de savoir pourquoi les Gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. Ce n’est pas si difficile de s’imaginer la peur et le chaos que déclencherait l’approche d’un de ces bolides célestes fonçant vers la terre. La question est plutôt de savoir quel événement majeur des temps anciens leur a fait dire que le ciel pouvait en effet leur tomber sur la tête. La tradition druidique remonte très loin dans le temps, au point que des dieux présent en Anatolie vers 10000 ans avant notre ère se retrouve presque tel quel sur le chaudron de Gundestrup. Voir SAISON 2 ANNEXE 5 Orion : les images

Or à peine quelques millénaires plus tôt la fameuse comète du Dryas a percuté la terre en exterminant les mammouths et autres grands mammifères dans un gigantesque cataclysme. Si les druides ont gardé le souvenir des dieux de cette époque, il n’est pas impossible qu’ils aient également gardé le souvenir d’une catastrophe majeure et qu’ils ont ensuite transmis cette croyance — d’un ciel qui peut tomber sur nos têtes — de générations en générations sur des millénaires.

LES PIERRES TOMBÉES DU CIEL

C’est pourquoi les druides gaulois ont voué un culte particulier aux pierres tombées du ciel (bétyle) autour desquels sont construits les centres sacrés des religions de l’Antiquité et qu’ils ont envoyé un dénommé Brennos récupérer ces pierres sacrées chez leurs voisins bretons à Stonehenge, grecs à Delphes ou encore romains à Rome. Certaines expéditions ont été couronnées de succès Stonehenge et Delphes sont depuis longtemps des ruines.

Voir SAISON 2 ANNEXE 11 Brennos

L’expédition vers Rome a été un échec qui a couté très cher aux druides. Les Romains avide de vengeance ont détruit la civilisation celtique en Gaule et poursuivi le druides jusqu’au bout du monde connu.

Voir à ce propos SAISON 1 ÉPISODE 12 Chaudron de Gundestrup : la fin

LE COMBAT DANS LE CIEL

Mais ce n’est pas tout, car ces images ont des significations multiples, tout un enseignement se cache derrière elles. Pour un druide ce bas-relief représente également le combat du dieu Esus contre le dragon…

(À suivre…)

Voir également SAISON 2 ANNEXE 22 Les outils d’Esus

JPS2023 (Texte écrit pour partie en 2016, remanié et complété en 2023)

[ACCUEIL]

NOTES :

[1] Lucain, La Pharsale, I, vers 444-446, traduction de Félix Lemaistre, Garnier frères Libraires éditeurs, Paris, 1865. La Pharsale, est une épopée latine inachevée, œuvre principale du poète stoïcien Lucain.

[2] Scolies dites Bernoises, Scolia ad vers. I, 445-446. BRUNAUX, Jean-Louis, Les religions gauloises, Éditions Errance, Paris, 2000.

[3] À propos d’Esus, (Zwicker p.50). BRUNAUX, Jean-Louis, Les religions gauloises, Éditions Errance, Paris, 2000.

[4] Le monument est très abimé, mais les spécialistes sont unanimes il s’agit bien d’un taureau.

[5] Voir Anne Ross, Pagan Celtic Britain, Cardinal edition, Sphere Books Ltd, London, 1974, pp. 351-365.

[6] Ératosthène ou Ératosthène de Cyrène, né vers 276 av. J.-C. à Cyrène et mort vers 194 av. J.-C. à Alexandrie, est un astronome, géographe, philosophe et mathématicien grec.

[7] ÉRATOSTHÈNE, Le ciel, Mythes et histoire des constellations, Les Catastérismes d’Ératosthène, Traduction P. Charvet et A. Zucker, Nil éditions, Paris, 1998, p.113

[8] Matthieu, 24, 27-41, La Sainte Bible, Desclée&Co, Tournai (Belgium), 1961.