LES DRUIDES ET LE NOM SECRET DES DIEUX

LES DRUIDES SAISON 2 ANNEXE 8

Le vrai nom d’un dieu est un secret bien gardé transmis oralement de Maître à élève lors d’un cérémonie initiatique. Percer ce secret signifie s’approprier le puissance du dieu.

LA PUISSANCE DU NOM DU DIEU

Il règne une grande confusion dans la nomenclature du panthéon celtique. Parfois on évoque plus de 400 dieux gaulois, alors qu’il s’agit en fait de 400 noms différents de dieux. Cependant le chaudron de Gundestrup indique un panthéon très différent. Un très petit nombre de divinités, toujours les mêmes qui couvrent un large éventail de fonctions. Nous verrons ainsi qu’une seule divinité peut prendre de nombreuse formes et identités. Ce qui peut donner la fausse impression d’un panthéon celtique aux divinités innombrables. Cette confusion entre le nombre de dieux et la multitude des dénominations vient d’un interdit religieux très ancien qui proscrit de nommer les dieux par leur nom véritable. Nom qui doit a tout prix rester secret et qui n’est connu que des seuls initiés. Ce nom secret se transmet de façon uniquement orale, de maître à élève. Car seule la transmission orale permet une prononciation correcte du nom divin. De nombreux peuples de l’Antiquité ont connu des interdit sur les noms des dieux et se sont évertué à trouver une appellation de substitution. Pour ne donner qu’un seul exemple, le nom du dieu gaulois Sucellos signifie « bon frappeur » ou « tape dur ». Mais quel est ce dieu qui se cache derrière cette dénomination. Il existe une discipline qui peut nous apporter une réponse : l’astronomie.

ÉCRITURE ET ORALITÉ

César nous donne la raison du refus de l’écrit par les druides, c’est le secret de leur enseignement qui ne doit pas être révélé au non-initié. Rappelons que dans le Judaïsme il existe deux voies distinctes pour transmettre l’enseignement de Dieu, la Kabbale, loi orale et secrète donnée par YHWH à Moise sur le mont Sinaï en même temps que la loi écrite et publique (la Torah). Si la tradition orale a été interrompue, nul ne peut la faire revivre. La prononciation, le rythme, le ton, la cadence, toute la façon de dire les formules magiques, aucun manuel ne peut l’apprendre. C’est justement cela le secret qui est transmis du maître au disciple.

Car la parole est efficace :

Seule la transmission orale permet de faire passer le contenu magique des textes d’une génération à une autre[12].

LE NOM SECRET DES DIEUX

L’importance de la parole chez les druides est illustrée par le nom spécifique du prêtre, maître de la parole : le gutuater. Le nom semble signifier « maître ou père des invocations », de gutu- « voix » et ater- « père ». Il est intéressant de noter que gutu- est issu d’une racine indo-européenne qui est à l’origine du mot « dieu » dans les langues germaniques (allemand Gott ou anglais god)[13]. Or, le tabou concernant le nom divin existe chez un grand nombre de peuples. Connaitre le Nom secret des dieux donne une puissance redoutable, encore faut-il savoir prononcer le nom correctement, ce qui n’est possible que par une transmission orale[14]. Mettre le Nom par écrit lui fait perdre toute sa puissance, faute d’une prononciation adéquate. Car le pouvoir d’un être divin réside dans son nom, il est le lien entre le dieu et son adorateur. La sainteté du nom même est redoutée.

Dans la forêt, on ne prononce pas le nom du tigre ; de même on ne prononce jamais ouvertement le nom d’un dieu. On l’évoque qu’indirectement par des adjectifs[15].

UN DIEU QUE L’ON CRAINT

Les druides ont interdit la figuration des dieux ainsi que l’invocation de leurs vrais noms, des noms sacrés que l’on évite de prononcer. Le commun des mortels ne connait même pas la véritable dénomination des divinités vénérées.

[…] tandis que les Celtibères et leurs voisins du nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune…[16]

Le peuple craint ces divinités dont on ne sait rien. Comme l’écrit Lucain, cela engendre la terreur de ne pas connaître les dieux que l’on doit redouter[17]. Parfois, ces noms sacrés sont remplacés par d’autres qualificatifs, l’énoncé d’une fonction, d’un trait de caractère ou d’une qualité. C’est à cause de ces précautions de langage que les divinités celtes ont des noms multiples.

LES DIEUX GAULOIS

On citera entre autres, Taranis qui signifie « le tonnant », Teutatès « le dieu de la tribu » ou « le tribal », Esus « le bon », Cernunnos « le cornu », Sucellus « tape-dur » et ainsi de suite, la liste est infinie. Une autre astuce pour éviter de dire le Nom de la divinité est de donner aux dieux un nom romain accolé d’un surnom gaulois, par exemple Mars Segomo « le victorieux » ou Rudianus « le rouge ». Les initiés sauront bien de qui l’on parle[18].

LE DIEU DES HÉBREUX

L’exemple le plus connu d’un tabou sur le Nom du dieu, est le nom de Yahvé chez les Hébreux, dont on ignore comment il doit être vocalisé correctement.

Quant à ce qu’on rapporte des sept voyelles, qui, réunies ensemble, possèdent un nom et un son mystérieux, que les enfants des Hébreux écrivent en quatre lettres[19], et qu’ils rapportent à la suprême puissance de Dieu, c’est une tradition transmise des pères aux enfants, qu’il est interdit à la multitude de proférer, attendu que c’est un mystère[20].

LES DIEUX ÉGYPTIENS

Le nom divin doit rester secret, car la connaissance du véritable nom du dieu signifie également s’approprier la puissance de cette divinité.

En Égypte, […] s’approprier la puissance d’un dieu suprême en s’emparant de son nom n’étaient pas de simples légendes racontées à propos d’êtres mythiques vivant dans un passé reculé ; tout magicien égyptien aspirait à s’emparer de pouvoirs semblables. On croyait que celui qui possédait le véritable nom possédait l’essence de l’être divin ou humain et pouvait forcer même une divinité à lui obéir, ainsi qu’un esclave obéit à son maître. L’art du magicien consistait donc à obtenir des dieux la révélation de leur nom sacré, et il ne reculait devant aucun moyen pour atteindre ce but[21].

« Celui qui connaît, nous dit-on, le « très grand nom » de Dieu peut, en le prononçant, tuer les vivants, faire lever les morts, se transporter instantanément où il lui plaît, et accomplir n’importe quel autre miracle » [22].

Les manigances de la déesse Isis pour extorquer le nom secret du dieu Rê, dieu solaire, créateur de l’Univers, illustrent parfaitement ce propos.

Un grimoire magique relate comment la rusée Isis réussit à arracher à Rê son nom secret. La déesse façonne un serpent afin qu’il morde le dieu suprême. Le dieu souffre atrocement mais Isis, au lieu d’exercer sa magie, soumet Rê à un odieux chantage : Dis-moi ton nom, divin père, car celui qui est appelé par son nom vit. Rê énonça alors ses noms, dressant un tableau de la création, mais le feu vivant du venin continuait à le tourmenter car, dit Isis : Ton nom n’est pas dans ce que tu m’as dit. Au comble de la souffrance, car le venin devenait plus puissant (sekhem) que la braise, Rê capitule : Que mon nom sorte de mon corps pour (aller) dans son corps. Par ce transfert physique, le secret fut maintenu et aucune oreille indiscrète, même divine, ne put intercepter la puissance de Rê[23].

LES PRATIQUES ROMAINES

Il existait dans la Rome antique une pratique secrète et ignorée de beaucoup appelée evocatio consistant à faire sortir, durant un conflit avec Rome, un dieu d’une cité ennemie en prononçant une formule déterminée, celui-ci abandonnait alors son peuple en venait rejoindre le camp des vainqueurs. En échange de l’abandon de son peuple on promettait au dieu ainsi sollicité un temple et un culte à Rome. Pour rendre plus efficace la formule magique, il était préférable de connaître le nom du dieu de la cité ennemie. C’est pourquoi les Romains dissimulaient le nom des divinités protectrices de Rome et même le nom secret de la ville. Écoutons ce qu’en dit Macrobe :

« Ils se sont tous retirés de leurs sanctuaires ; ils ont abandonné leurs autels, les dieux qui jusqu’à ce jour avaient maintenu cet empire. » 

Ces expressions de Virgile sont tirées d’une coutume très ancienne des Romains, et de leurs mystères sacrés les plus secrets. En effet, il est certain que chaque ville a un dieu sous la tutelle duquel elle est placée, et qu’une coutume mystérieuse des Romains, longtemps ignorée de plusieurs, lorsqu’ils assiégeaient une ville ennemie et qu’ils pensaient être sur le point de la prendre, était d’en évoquer les dieux tutélaires au moyen d’une certaine formule. Ils ne croyaient pas que sans cela la ville pût être prise, ou du moins ils auraient regardé comme un sacrilège de faire ses dieux captifs. C’est pour cette raison que les Romains ont tenu caché le nom du dieu protecteur de Rome, et même le nom latin de leur ville. Cependant tel nom de ce dieu se trouve dans quelques ouvrages anciens, qui néanmoins ne sont pas d’accord entre eux : les diverses opinions sur ce sujet sont connues des investigateurs de l’antiquité. Les uns ont cru que ce dieu était Jupiter, d’autres la Lune, d’autres la déesse Angerona, qui, tenant le doigt sur la bouche, indique le silence. D’autres enfin, dont l’opinion me parait la plus digne de confiance, ont dit que ce fut Ops-Consivia. Quant au nom latin de Rome, il est demeuré inconnu, même aux plus érudits, les Romains appréhendant que, si leur nom tutélaire venait à être connu, ils n’eussent à éprouver de la part de leurs ennemis une évocation pareille à celle dont on savait qu’ils avaient usé à l’égard des villes de ces derniers[24].

MOÏSE ET LE DIEU D’ISRAËL

Dans la Bible, nous trouvons l’exemple d’une tentative, couronnée de succès, pour s’approprier le véritable nom du Dieu d’Israël.

Moïse faisait paître le petit bétail de Jethro, son beau-père, prêtre de Madiân ; il l’emmena par-delà le désert et parvint à la montagne de Dieu, l’Horeb. L’Ange de Yahvé lui apparut, dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas. Moïse dit : « Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas. » Yahvé vit qu’il faisait un détour pour voir et Dieu l’appela du milieu du buisson. « Moïse, Moïse », dit-il, et il répondit : « Me voici ». Il dit : « N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Et il dit : Je suis le Dieu de ton père, le dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu[25].

[…] Moïse dit à Dieu : « Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis : “Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.” Mais s’ils me disent : “Quel est son nom ?”, que leur dirai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui est. » Et il dit : « Voici ce que tu diras aux Israélites : “Je suis ” m’a envoyé vers vous.[26] »

Moïse est né en Égypte et la fille du Pharaon le traita comme un fils, il ne pouvait ignorer l’existence des pratiques magiques du pays. Il demande à Dieu de lui révéler son véritable nom. Dans un premier temps Dieu refuse de livrer ce secret. Mais il se ravise ensuite et consent finalement à lui révéler son nom.

Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux Israélites : “Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est mon nom pour toujours, c’est ainsi que l’on m’invoquera de génération en génération.[27]

UN POUVOIR REDOUTABLE

Contrairement au lecteur de la Bible qui ne connait que la retranscription approximative du véritable nom de Dieu, Moïse a entendu la prononciation du mystérieux nom divin. Dès les versets suivants, il est investi par Dieu d’un pouvoir « magique » extraordinaire.

Moïse reprit la parole et dit : « Et s’ils ne me croient pas et n’écoutent pas ma voix, mais me disent : Yahvé ne t’est pas apparu ? » Yahvé lui dit : « Qu’as-tu en main ? — Un bâton, dit-il. — Jette-le à terre », lui dit Yahvé. Moïse le jeta à terre, le bâton se changea en serpent et Moïse fuit devant lui. Yahvé dit à Moïse : « Avance la main et prends-le par la queue. » Il avança la main le prit, et dans sa main il redevint un bâton. « Afin qu’ils croient que Yahvé t’est apparu, le Dieu de leurs pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.[28] »

[…] Quant à ce bâton, prends-le dans ta main, c’est par lui que tu accompliras les signes[29].

LE COMBAT DES DIEUX

Nous assistons ensuite à un duel de magiciens devant le Pharaon et sa cour pour gagner la liberté du peuple hébreux.

Yahvé dit à Moïse et à Aaron : « Si Pharaon vous dit d’accomplir un prodige, tu diras à Aaron : Prends ton bâton, jette-le devant Pharaon, et qu’il se change en serpent. » Moïse et Aaron allèrent trouver Pharaon et firent comme l’avait ordonné Yahvé. Aaron jeta son bâton devant Pharaon et ses serviteurs et il se changea en serpent. Pharaon à son tour convoqua les sages et les enchanteurs, et, avec leurs sortilèges, les magiciens d’Égypte en firent autant. Ils jetèrent chacun son bâton qui se changea en serpent, mais le bâton d’Aaron engloutit leurs bâtons[30].

La magie du Dieu d’Israël semble plus puissante que celle des Égyptiens[31], mais il faudra encore dix autres plaies pour que le Pharaon au cœur endurci libère enfin les Israélites du joug égyptien.

LA TRANSMISSION DU SECRET

Le plus important dans cette histoire, outre l’aventure extraordinaire qui nous est contée, est certainement le fait que nous assistons à une première chaîne de transmission du nom secret de Dieu.

Moïse informa Aaron de toutes les paroles de Yahvé qui l’avait envoyé, et de tous les signes qu’il lui avait ordonné d’accomplir. Moïse partit avec Aaron et ils réunirent tous les anciens des Israélites. Aaron répéta toutes les paroles que Yahvé avait dites à Moïse ; il accomplit les signes aux yeux du peuple. Le peuple crut et entendit que Yahvé avait visité les Israélites et avait vu leur misère. Ils s’agenouillèrent et se prosternèrent[32].

Ainsi, Moïse, détenteur du secret de la vocalisation exacte du nom de Dieu, initie Aaron qui à son tour instruit tous les anciens aux mystères du Dieu d’Israël. Immense privilège, car les premiers prophètes n’ont pas eu l’honneur de connaître le nom secret de Dieu.

Dieu parla à Moïse et lui dit : « Je suis Yahvé. Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shaddaï[33], mais mon nom de Yahvé, je ne leur ai pas fait connaitre[34].

Comme Moïse, le druide est celui qui connait l’apparence et le nom des dieux[35],  il connait la langue sacrée et les formules rituelles.

À vous seuls (les druides) est donné de connaitre les dieux et les puissances du ciel, et à vous seuls de les ignorer[36].

LE MAÎTRE ET L’ÉLÈVE

Celles-ci n’ont aucune valeur sans l’exacte transmission du maître. Le secret des dieux était uniquement murmuré à l’oreille de l’initié dans un lieu isolé, généralement au fin fond d’une forêt sacrée. Perceval reçoit ainsi à la fin de sa quête une initiation religieuse par un ermite.

Et l’ermite lui dit à l’oreille une oraison et la lui répète jusqu’à ce qu’il la sache. Bien des noms de Dieu y étaient inclus, il y avait parmi eux les plus grands, ceux que nulle bouche d’homme ne doit prononcer, si ce n’est en péril de mort. Aussi, quand il la lui eut apprise, il lui défendit de la dire, si ce n’était pour échapper à un bien grand danger.

Je vous obéirai, sire, dit-il[37].

Les druides lors de l’effondrement de la Gaule n’ont plus fait confiance à la tradition orale qui risquait de disparaitre avec eux, c’est pourquoi ils ont consigné leur enseignement sur un chaudron d’argent.

©JPS2022 (texte écrit en 2016, remanié en 2022 puis 2023).

Image mise en avant:

LES DRUIDES ET LE NOM SECRET DES DIEUX. Détail du calendrier de Coligny.

Exemple d’une écriture gauloise que l’on trouve sur le calendrier de Coligny (1er siècle).

[ACCUEIL]

Pour en savoir plus sur le calendrier de Coligny: Calendrier de Coligny — Wikipédia (wikipedia.org)