ORION, OGMIOS ET HÉRAKLÈS

LES DRUIDES SAISON 2 ÉPISODE 5

Orion apparaît dans l’iconographie et la mythologie celtique sous la forme du héros grec Héraklès et du dieu conducteur des morts Ogmios.

HÉRAKLÈS ET ORION

Il faut revenir sur le lien qui uni Orion et Héraklès dans le monde celtique.

La ressemblance des deux constellations est indéniable et peut induire en erreur.

OGMIOS. La constellation d’Orion dans Uranometria, l’atlas céleste de Johann Bayer (1661).

La constellation d’Orion dans Uranometria, l’atlas céleste de Johann Bayer (1661).

Orion est représenté traditionnellement en tant qu’homme barbu armé d’une massue et portant une peau de lion sur son bras (détail très important). Héraklès ( Héraklès en grec, Hercules en latin, Hercule en français) dans le même atlas céleste de Johann Bayer, armé d’une massue et vêtu d’une peau de lion.

OGMIOS. La constellation d’Hercule (Hercules) dans Uranometria, l’atlas céleste de Johann Bayer (1661).

La constellation d’Hercule (Hercules) dans Uranometria, l’atlas céleste de Johann Bayer (1661).

Ces personnages se ressemblent comme deux frères jumeaux. Cette ressemblance entre les deux constellations entraîne une confusion entre Héraklès et Orion. Il semble que des représentations habituellement attribuées au héros Héraklès sont sans aucun doute des images d’Orion.

AVIS DE RECHERCHE

Sur le chaudron de Gundestrup plusieurs éléments caractérisent Orion.

  1. Le combat contre un taureau

  2. La présence d’un chien

  3. Orion est armé d’une épée

  4. Orion affronte un adversaire triple

  5. Le héros est lui aussi triple

Auxquels il faut désormais ajouter les caractéristiques typiquement « herculéennes » d’un Orion ressemblant comme un frère jumeau au héros grec :

  • Une massue

  • Une peau de lion

Ce que nous recherchons dans l’iconographie gauloise est en conséquence un personnage armé d’une massue, qui porte si possible une peau de lion.

ORION DANS L’ICONOGRAPHIE GAULOISE

Il ne faut pas chercher longtemps pour trouver des représentations qui correspondent à ce profil. Tous ces personnages à leur tour vont nous apporter de nouveaux éléments pour compléter le portrait-robot du dieu Orion. Même si ces divinités ne se ressemblent pas, à l’instar du dieu Vishnou dont les avatars mènent des existences indépendantes les unes par rapport aux autres.

HERCULE GAULOIS

Un individu barbu, nu avec une massue et une peau de lion sur le bras.

OGMIOS. Stèle de l’Hercule gaulois, la main droite tient la massue, la peau de lion est posée sur l’avant-bras gauche. De la main gauche le héros tient un serpent dont la tête est effacée.

Stèle de l’Hercule gaulois, la main droite tient la massue, la peau de lion est posée sur l’avant-bras gauche. De la main gauche le héros tient un serpent dont la tête est effacée. Musée des sources d’Hercule, Deneuvre.

Après ce que nous venons de voir, il est évident que c’est… Orion. Intuition renforcée par le fait que dans le ciel, Orion porte la peau du lion sur son bras, tandis qu’Héraklès est vêtu d’une peau lion. Une nuance de taille qui révèle la véritable identité du personnage représenté.

Même interprétation avec cet autel qui montre un homme barbu, nu avec une massue et une peau de lion sur le bras.

OGMIOS. Hercule gaulois, nu et de face, la peau de lion posée sur l’avant-bras gauche. La main droite tient la massue qui repose sur une tête coupée.

Hercule gaulois, nu et de face, la peau de lion posée sur l’avant-bras gauche. La main droite tient la massue qui repose sur une tête coupée. Musée des sources d’Hercule, Deneuvre. Photo extraite de l’ouvrage de Gérard Moitrieux, Hercules Salutaris, P.U. Nancy, 1992.

Petit détail supplémentaire, le bout de la massue est posé sur une tête coupée. Ce nouvel élément semble indiquer qu’Orion a un lien avec la mort. Dans la mythologie Irlandaise, le dieu Dagda possède une massue dont une extimité peut tuer tandis que l’autre peut ressusciter.

ORION DANS LA LITTÉRATURE

Comme pour les images, Orion et Héraklès sont tellement semblables que les auteurs de l’Antiquité les ont confondus dans leurs textes. C’est pourquoi on retrouve la trace d’Orion dans la littérature consacrée de prime abord au héros Héraclès.

Il faut citer en premier lieu, un texte de Parthénios de Nicée qui est directement lié aux aventures d’Héraklès en Espagne après le meurtre de Géryon.

On dit que Héraclès, quand il amenait d’Erythie les génisses de Géryon, errant à travers le pays des Celtes, arriva chez Brétannos. Ce prince avait une fille nommée Celtinè. Devenue amoureuse d’Hèraclès, elle cacha ses génisses et ne lui voulut pas rendre qu’il ne se fût au préalable uni avec elle. Le héros, empressé de sauver ses génisses, mais bien plus encore frappé de la beauté de la jeune fille, s’unit avec elle, et, le moment venu, il leur naquit un fils, Celtos, de qui les Celtes ont pris leur nom[1].

L’auteur suit une tradition qui joue avec les ethnonymes. Bretannos symbolise les Bretons insulaires. Héraklès et Celtinè engendrent un fils prénommé Celtos qui donne à son tour son nom aux Celtes[2]. En fait, il faut simplement remplacer le mot Héraklès par Orion. D’après le mythe de Celtinè, c’est Orion, la constellation la plus importante et la plus visible en hiver qui est à l’origine des Celtes.

Le périple d’Orion/Héraklès en Occident se déroule de la façon suivante : En Espagne, il tue Géryon et s’empare des bœufs de celui-ci, ensuite en Gaule, il tue Tauriscos le triple taureau puis engendre les Celtes avec Celtinè, la fille de Bretannos.

Un des épisodes de ce périple est représenté sur le chaudron de Gundestrup lorsqu’il tue le triple taureau Tauriscos.

Le triple sacrifice du taureau. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.

Voir également : SAISON 2 ÉPISODE 4 Orion et Tauriscus le tyran des Gaules

UN HÉRAKLÈS DES PLUS ÉTRANGES

Autre exemple. Lors d’un de ses voyages en Gaule, Lucien, philosophe grec du IIe siècle, né à Samosate (Syrie), a l’occasion de voir une peinture étrange qui l’intrigue et l’irrite à la fois.

Voici le texte :

Dans leur langue nationale les Celtes appellent Hercule Ogmios et le représentent sous une forme singulière. C’est un vieillard très avancé, dont le devant de la tête est chauve ; les cheveux qui lui restent sont tout à fait blancs : la peau est rugueuse, brûlée jusqu’à être tannée comme celle des vieux marins, on pourrait le prendre pour un Charon ou Japhet des demeures souterraines du Tartare, pour tout enfin plutôt qu’Hercule. Mais tel qu’il est, il a l’aspect d’Hercule : il porte suspendue la peau de lion et il tient dans sa main droite la massue ; le carquois est fixé à ses épaules, la main gauche présente un arc tendu : ce sont tous les détails d’Hercule. Je croyais que c’était par haine des dieux helléniques qu’on avait pensé à un pareil outrage aux formes du dieu, qu’on voulait se venger, par la représentation figurée, de son invasion dans ce pays et de ses rapines, alors qu’en quête des troupeaux de Geryon, il visitait en vainqueur la plupart des pays occidentaux.

Et je n’ai cependant pas révélé ce qu’il y a de plus étrange dans cette représentation : cet Hercule vieillard attire un grand nombre d’hommes attachés par les oreilles et ayant pour liens des chaînettes d’or et d’ambre qui ressemblent à de très beaux colliers.

En dépit de leurs faibles liens, ils n’essaient pas de fuir, bien que cela leur soit facile ; loin de résister, de se raidir et de se renverser en arrière, ils suivent tous, gais et contents, leur conducteur, le couvrant de louanges, cherchant tous à l’atteindre et, en voulant le devancer, desserrent la corde comme s’ils étaient étonnés de se voir délivrés. Ce qui me parut le plus singulier, je vais vous le dire immédiatement. Le peintre, qui ne savait où placer le début des chaînes – car la main droite tient déjà la massue et la gauche l’arc, a perforé le bout de la langue et la fait attirer les hommes qui suivent ; le dieu se retourne vers eux en souriant.

À cette vue je restai longtemps debout, regardant étonné, embarrassé et irrité. Un Gaulois qui se tenait près de moi et n’était pas ignorant de notre littérature, comme c’était visible à la justesse des termes grecs dont il usait, très versé, je pense, dans les sciences nationales, me dit :  » Je vais vous donner le mot de l’énigme, car je vois que cette figure vous jette dans un grand trouble. Nous autres, Celtes, nous représentons l’éloquence, non comme vous, Hellènes, par Hermès ! mais par Hercule car Hercule est beaucoup plus fort. Si on lui a donné l’apparence d’un vieillard, n’en soyez pas surpris car seule l’éloquence arrive dans sa vieillesse à maturité, si toute fois les poètes disent vrai :  » L’esprit des jeunes gens est flottant mais la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse. « 

« C’est pour cela que le miel coule de la bouche de Nestor et que les orateurs troyens font entendre une voix fleurie de lis car il y a des fleurs du nom de lis si j’ai bonne mémoire ».

« Ne vous étonnez pas de voir l’éloquence représentée sous forme humaine par un Hercule âgé, conduire de sa langue les hommes enchaînés par les oreilles ; ce n’est pas pour insulter le dieu qu’elle est percée. Je me rappelle d’ailleurs que j’ai appris chez vous certains iambes comiques :  » Les bavards ont tous le bout de la langue percé ».

« Enfin, c’est par son éloquence achevée, pensons-nous, qu’Hercule a accompli tous ses exploits et par la persuasion qu’il est venu à bout de tous les obstacles. Les discours sont pour lui des traits acérés qui portent droit au but et blessent les âmes : vous-mêmes dites que les paroles sont ailées »

C’est là tout ce que dit le Celte[3].

Dessin tiré d’un livre de 1529 qui illustre le texte de Lucien de Samosate.

Geofroy Tory, “ Hercules Gallicus, Hercules François ”, Champ fleury, 1529.

Geofroy Tory, “ Hercules Gallicus, Hercules François ”, Champ fleury, 1529.

UN HOMME PLEIN D’ÉRUDITION

Ce texte est une source d’information extraordinaire sur les croyances des druides. En premier lieu à propos de la représentation insolite voire dérangeante, pour un Grec, du demi dieu Héraklès. Voir également SAISON 2 ANNEXE 7 Pourquoi Héraklès est-il un demi-dieu ?

Sur la peinture celui-ci apparaît sous les traits d’un vieillard. Ce qui est déjà scandaleux en soi. Pourtant, il porte sur lui tous les signes distinctifs du héros grec. La massue, la peau de lion, l’arc et le carquois. Lucien pense tout d’abord que c’est une caricature du demi dieu pour se moquer des Hellènes, car chose encore plus incroyable, cet Héraklès gaulois, souriant, entraîne derrière lui des hommes que des chaînes attachées aux oreilles relient à sa langue percée. Cependant, ce n’est pas le Héraklès grec tel qu’il le connaît qui est représenté, mais une divinité gauloise. Un dieu de l’éloquence. Le nom de ce dieu est même révélé, il s’agit d’Ogmios[4]. Devant son désarroi, un homme intervient et lui révèle les secrets de cette peinture. C’est un érudit qui parle le grec qui est versé dans la littérature grecque et qui connaît parfaitement les dieux gaulois. C’est un peu beaucoup pour un simple passant. Lucien ne le sait pas, mais tout indique que cet interlocuteur qui a voyagé en Grèce est soit un druide ou alors qu’il a été un de leurs élèves, assidu, pourrait-on dire. Cet inconnu indique que le dieu Ogmios, en fait Orion sous des traits typiquement « herculéens », est un dieu psychopompe, un conducteur des morts qui entraîne, grâce à ses paroles réconfortantes, les défunts vers un Autre Monde merveilleux. Les fameuses îles bienheureuses. Contrairement au Charon des Grecs, passeur des Enfers, qui emmènent les morts vers les demeures souterraines du Tartare. Lieu dans lequel les défunts mènent une morne existence sous la forme d’ombres errantes.

L’AUTRE MONDE CELTIQUE

C’est le choc des civilisations. Deux idéologies totalement différentes sur la destinée des humains après leur trépas s’opposent dans ce texte.

Du côté celte, une perspective réjouissante de la vie après la mort. Ogmios est souriant, ses suiveurs sont gais et contents.

Du côté grec une vision lugubre de l’Au-delà. Sans aucun espoir.

Ogmios est un dieu de la vie et de la mort qui entraîne grâce à son éloquence les vivants et les morts dans son sillage. C’est sans doute pourquoi il est en possession d’une massue qui peut donner la mort, mais qui peut également ressusciter les défunts.

Il n’est pas étonnant que les auteurs de l’Antiquité signalent tous que les Celtes ne craignent jamais la mort. Voir à ce propos : SAISON 1 ANNEXE 31 Les druides et l’immortalité de l’âme

LE DIEU CHAMPION

Il existe dans le panthéon irlandais un dieu qui porte le même nom que l’Ogmios gaulois. Il s’agit d’Ogma (ou Ogme). Ce dieu qualifié d’Ogma Grian Ainech (au Visage de Soleil) est le champion des dieux, les fameux Tuatha Dé Danann de la mythologie irlandaise.

Dans le récit La razzia des vaches de Cooley, Ogmios est décrit comme un homme sombre qui porte à son cou sept chaînes tirant sept fois sept hommes. Cette description le rapproche de l’Ogmios décrit par Lucien de Samosate.

Ogma passe également pour l’inventeur des oghams, une écriture sacrée et magique, composée d’encoches sur des arêtes d’une colonne de pierre ou de bois. Un exemple d’écriture oghamique, la pierre d’Arraglen. Une pierre en grès de près de deux mètres qui porte l’inscription : QRIMITIR RO/Ṇ[A]/ṆN MAQ̣ COMOGANN (« du prêtre [cruimther] Rónán fils de Comgán »).

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La pierre d’Arraglen, avec des oghams sur les arêtes et une croix pattée dans un cercle, situé dans le comté de Kerry en Irlande, vers 550-600 après JC.

CONCLUSION

La liste qui caractérise le dieu Orion s’allonge au fil des découvertes.

  1. Le combat contre un taureau

  2. La présence d’un chien

  3. Orion est armé d’une épée

  4. Orion affronte un adversaire triple

  5. Le héros est lui aussi triple

  6. Une massue

  7. Une peau de lion

D’après les informations contenues dans les textes de Parthénios de Nicée et de Lucien de Samosate, il faut ajouter les éléments suivants :

  • Orion est le « père des Celtes »

  • Orion est un archer et ses attributs sont l’arc et le carquois

  • Orion conduit les âmes des morts

©JPS2023

[ACCUEIL]

Dans le prochain article : SAISON 2 ÉPISODE 6 Sucellus, Orion et le dieu au chien

[1] Parthénios de Nicée, Histoires d’amour, XXX, Celtinè, Traduction : Edmond Cougny, Extraits des auteurs grecs concernant la gÈographie et l’histoire des Gaules, 1878-1892.

[2] Ce qui au passage confirme indirectement les dires de César qui prétend que le druidisme vient de l’île de Bretagne. Bretannos est l’ancêtre des Celtes.

[3] Lucien de Samosate : Discours, Hercule, 1-7, Traduction de : Ch.-J. Guyonvarc’h, Magie, Médecine et Divination chez les Celtes, 1997, Paris, Payot.

[4] Ogmios semble provenir d’une racine indo-européenne ayant le sens de « conduire », ce qui ferait de lui le « conducteur ». Ce qui correspond relativement bien à l’image que décrit Lucien de Samosate dans son texte.

Voir également : Ogmios — Wikipédia (wikipedia.org)