NICOLAS FLAMEL

NICOLAS FLAMEL ET L’ALCHIMIE

Grâce à un antique manuscrit, Nicolas Flamel, écrivain public mystérieusement enrichi, aurait découvert le secret de la pierre philosophale qui transmute de vils métaux en or et qui est parfois présentée sous la forme d’un élixir de longue vie.

BIOGRAPHIE

Nicolas Flamel est né à Pontoise vers 1330. D’origine modeste, il apprend auprès des bénédictins à lire et écrire le français et le latin.

Nicolas Flamel Philosophe François par Balthasar Moncornet (1600-1670), prétendument d'après une gravure de Rembrandt.

Nicolas Flamel Philosophe François par Balthasar Moncornet (1600-1670), prétendument d’après une gravure de Rembrandt. (Wikimedia Commons).

Flamel rachète à Paris une petite échoppe adossée à l’église Saint-Jacques-la-Boucherie et commence une carrière de copiste et d’écrivain public.

NICOLAS FLAMEL. L’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie (gravure publiée par Manesson Mallet en 1702).

L’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie (gravure publiée par Manesson Mallet en 1702). (Wikimedia Commons).

LA FORTUNE DE FLAMEL

Dans son échoppe à l’enseigne de « La fleur de Lys », il dresse les comptes de ses clients, enregistre des actes officiels et copie et enlumine des manuscrits pour l’Université. Il se fait inscrire comme libraire tenant boutique et achète et revend de nombreux volumes. Son métier lui offre une certaine aisance financière, mais c’est surtout son riche mariage en 1370 avec Pernelle, deux fois veuve, qui lui apporte la fortune. Sans enfants, les deux époux Flamel commencent à financer des œuvres de charité et constructions pieuses.

En 1389, Nicolas Flamel fait construire et décorer l’une des arcades du cimetière des Innocents. La même année, il finance la réfection du portail de Saint-Jacques-la-Boucherie. Sur celui-ci, Flamel se fait représenter en prière avec sa femme Pernelle, au pied de la Vierge Marie, de saint Jacques et de saint Jean.

Portail de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, financé en 1389 par Nicolas Flamel, et sur lequel il s'était fait représenter avec son épouse.

Portail de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie, financé en 1389 par Nicolas Flamel, et sur lequel il s’était fait représenter avec son épouse. (Wikimedia Commons).

En 1402, il fait reconstruire le portail de l’église Sainte-Geneviève-la-Petite (aujourd’hui détruite), qui était située sur l’île de la Cité. Il s’y fait représenter vêtu d’une robe à long capuchon et portant son écritoire, symbole de sa profession, dans une niche à côté du portail. En 1411, il finance une nouvelle chapelle de l’hôpital Saint-Gervais et il semble avoir contribué aux réfections des églises Saint-Côme et de Saint-Martin-des-Champs. En 1407, il fait élever un tombeau pour Pernelle (décédée en 1397) au cimetière des Innocents. La même année, il fait construire une autre arcade, cette fois du côté du charnier de la rue Saint Denis.

L'arcade du cimetière des innocents dans Le Livre des figures hiéroglyphiques.

L’arcade du cimetière des innocents dans Le Livre des figures hiéroglyphiques. (Wikimedia Commons).

Toujours en 1407, Flamel fait construire plusieurs maisons destinées à accueillir les pauvres. Il est également propriétaire d’un certain nombre de maisons à Paris. Une de ces maisons existe encore aujourd’hui au cœur de Paris, dans la rue de Montmorency. C’est d’ailleurs la plus vieille maison de la ville.

La maison de Nicolas Flamel ou maison « au grand Pignon », au 51, rue de Montmorency, aujourd'hui auberge Nicolas Flamel.

La maison de Nicolas Flamel ou maison « au grand Pignon », au 51, rue de Montmorency, aujourd’hui auberge Nicolas Flamel. (Wikimedia Commons).

Toutes ces constructions sont le témoignage de sa richesse et aussi à l’origine de sa réputation d’alchimiste.

Flamel s’éteint en 1418 à l’âge vénérable de quatre-vingt-huit ans.

Pierre tombale de Nicolas Flamel, 1418, Paris, musée de Cluny.

Pierre tombale de Nicolas Flamel, 1418, Paris, musée de Cluny. (Wikimedia Commons).

Sa pierre tombale porte l’épitaphe suivante /

Feu Nicolas Flamel, jadis écrivain, a laissé par son testament à l’œuvre de cette église certaines rentes et maisons, qu’il avait fait acquises et achetées à son vivant, pour faire certain service divin et distributions d’argent chaque an par aumônes touchant les Quinze Vingt, l’Hôtel Dieu et autres églises et hospitaux de Paris. Soit prié ici pour les trépassést.

D’où vient cette richesse qui lui permis toutes ces constructions et ornementations ?

Pour les uns, Flamel connaît, sans aucun doute, le secret de la pierre philosophale, pour les autres, outre un riche mariage, ce sont ses activités d’écrivain de libraire et ses investissements immobiliers qui lui assurent de bons revenus. Pourtant déjà de son vivant, il a intrigué nombre de ses contemporains.

LA LÉGENDE DE FLAMEL L’ALCHIMISTE

Deux événements viennent troubler la vie de Nicolas Flamel. Un rêve prémonitoire dans lequel il voit le livre d’Abraham le Juif et un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle.

UN RÊVE PRÉMONITOIRE

Au cours de l’année 1357, Flamel aperçoit en rêve un ange vêtu de blanc qui tient dans ses mains un livre extraordinaire à couverture de cuivre. L’ange lui dit :

Voici ce livre auquel tu ne comprends rien, ni toi ni d’autres. Tu y verras un jour ce que les autres n’y pourrons voir.

Flamel tend les mains pour s’emparer du volume, mais l’ange disparaît dans un flot lumière. Quelques mois plus tard, un étrange voyageur entre dans son échoppe et lui propose, pour deux florins, un livre rare et précieux relié de cuivre. Flamel reconnaît l’ouvrage qu’il a vu en rêve et l’achète.

UN ÉTRANGE MANUSCRIT

C’était un livre doré, fort vieux et beaucoup large. Il n’était point en papier ou parchemin, comme sont les autres, mais seulement fait de tendres arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre, toute gravée de lettres ou figures étranges, et, quant à moi, je crois qu’elles pouvaient bien être des caractères grecs[1].

L’ouvrage signé Abraham le Juif contient cette malédiction destinée à ceux qui iraient plus loin dans leur lecture.

 Au premier des feuillets, y avait écrit en lettres grosses capitales dorées : Abraham Juif, Prince, Prêtre, Lévite, Astrologue, Philosophe à la nation des Juifs, par l’ire de Dieu dispersée aux Gaules, Salut. D.I. Après cela, il était rempli de grandes exécrations et malédictions, avec ce mot Maranatha (qui y était souvent répété) contre toute personne qui jetterait les yeux dessus, s’il n’était sacrificateur ou scribe.

Flamel continue la lecture, poussé par la curiosité, il constate que l’auteur console sa nation, lui conseillant de fuir les vices et l’idolâtrie et d’attendre le Messie avec patience.

Sur le troisième feuillet, il trouve une note des plus intéressantes.

Pour aider sa captive nation à payer les tributs aux empereurs romains et pour faire autre chose que je ne dirai pas, il leur enseignait la transmutation métallique en paroles communes, peignait les vaisseaux(fourneaux) au côté et avertissait des couleurs et de tout le reste, hormis du premier agent, dont il ne parlait point.

Le livre décrit donc la démarche à suivre pour obtenir la pierre des philosophes qui transmute les métaux vulgaires en or, sans en préciser l’ingrédient initial, la materia prima (matière première des alchimistes). Cette information cruciale n’est donnée que par les mystérieuses enluminures qui ornent le manuscrit.

L’ouvrage contient vingt et un feuillets couverts de textes alchimiques que Flamel ne comprend pas.

 Il contenait trois fois sept feuillets, le septième desquels était toujours sans écriture. Au lieu de laquelle il y avait peint au premier septième une verge et des serpents s’engloutissant ; au second septième, une croix où un serpent était crucifié ;

Première illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Première illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

au dernier septième étaient peints des déserts au milieu desquels coulaient plusieurs belles fontaines d’où sortaient des serpents qui couraient par-ci et par-là.

Deuxième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Deuxième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

Au feuillet quatre :

Il peignait un jeune homme avec des ailes aux talons ayant une verge caducée en main, entortillée de deux serpents, de laquelle il frappait un casque qui lui couvrait la tête. Il semblait, à mon avis, le dieu Mercure des païens. Contre lui venait, courant et volant à ailes ouvertes, un grand vieillard qui avait sur la tête une horloge attachée et en ses mains une faux, comme la mort ; de laquelle, terrible et furieux, il voulait trancher les pieds de Mercure.

Troisième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Troisième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

À l’autre côté du feuillet, il peignait une belle fleur au sommet d’une montagne très haute, que l’aquilon ébranlait fort rudement. Elle avait la tige bleue, les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes comme l’or fin, à l’entour de laquelle des dragons et griffons aquiloniens faisaient leur nid et demeure.

Quatrième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Quatrième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

Au cinquième feuillet, il y avait un beau rosier fleuri, au milieu d’un beau jardin, appuyé contre un chêne creux, aux pieds desquels bouillonnait une fontaine d’eau très blanche, qui s’allait précipiter dans des abîmes, passant néanmoins premièrement, entre les mains d’infinis peuples qui fouillaient en terre, la cherchant ; mais parce qu’ils étaient aveugles, nul ne la reconnaissait, hormis quelques-uns, qui en considéraient le poids.

Cinquième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Cinquième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

À l’autre page du cinquième feuillet, il y avait un roi avec un grand coutelas, qui faisait tuer en sa présence par des soldats grande multitude de petits enfants, les mères desquels pleuraient aux pieds des impitoyables gendarmes, et ce sang était puis après ramassé par d’autres soldats, et mis dans un grand vaisseau, dans lequel le soleil et la lune du ciel se venaient baigner.

Sixième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel.

Sixième illustration du livre d’Abraham le juif, 1624. Source : Les hiéroglyphes de Flamel. (Wikimedia Commons).

Soucieux de la malédiction, Flamel ne révèle pas les écrits qui accompagnent les illustrations.

 Je ne représenterai point ce qui était écrit en beau et très intelligible latin en tous les autres feuillets écrits, car Dieu me punirait d’autant que je commettrais plus de méchancetés que celui, comme on dit, qui désirait que tous les hommes du monde n’eussent qu’une tête et qu’il pût la couper d’un seul coup .

D’ailleurs, il ne peut pas déchiffrer tous les textes.

Et je sais bien qu’elles n’étaient point notes ni lettres latines ou gauloises, car j’y entend un peu.

Des caractères hébreux ?

La provenance du livre semble l’indiquer.

C’est donc surtout au déchiffrement des figures qui ornent l’ouvrage que Flamel va consacrer une grande partie de son temps puisque ses affaires prospèrent.

LE PÈLERINAGE VERS SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE

Pendant vingt ans, avec l’aide de sa femme Pernelle, Flamel tente en vain de percer le secret de ces mystérieux feuillets. Il consulte des alchimistes qui ne parviennent pas à décrypter les figures hermétiques. Flamel aimerait trouver de l’aide auprès d’un savant hébraïque, mais les juifs ont dû fuir les persécutions du roi de France Philippe le Bel[2]. En 1378, lors d’un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, Flamel fait la connaissance de maître Canches, vieux médecin juif converti au Christianisme. Flamel évoque le mystérieux volume et lui montre les copies des pages illustrées de son précieux livre. Canches est enthousiaste et croit reconnaître un livre sacré, écrit par le rabbin Abraham, ayant trait à la kabbale, ancienne tradition juive ésotérique fondée sur l’interprétation mystique de l’Ancien Testament. Ouvrage qui doit se transmettre de main en main, mais que l’on croyait perdu. Le vieil homme décide de partir avec Flamel pour Paris afin de feuilleter le manuscrit original.

Albrecht Dürer, Gerson représenté en pèlerin, 1494.

Albrecht Dürer, Gerson représenté en pèlerin, 1494.

UN VOYAGE INITIATIQUE

En chemin maître Canches donne à Flamel les clefs de l’interprétation des mystérieuses figures illustrant le manuscrit d’Abraham le Juif.

Notre voyage, dit Flamel, avait été assez heureux et depuis que nous étions entrés dans ce royaume [de France], il m’avait très véritablement interprété la plupart de mes figures, où jusqu’aux points même il trouvait de grands mystères, ce que je trouvais fort merveilleux.

Mais le vieil homme, gravement malade, ne verra jamais Paris, il doit s’arrêter à Orléans. Il agonise plusieurs jours et meurt sans avoir pu contempler le manuscrit original. Nicolas Flamel le fait enterrer en l’église Sainte-Croix d’Orléans.

Le voyage initiatique du pèlerin. Hermann Hugo, Gottselige Begierde, Augsbourg, 1622.

Le voyage initiatique du pèlerin. Hermann Hugo, Gottselige Begierde, Augsbourg, 1622. Alexander Roob, Alchimie&Mystique, Éditions Taschen, 2009.

LA PIERRE PHILOSOPHALE

La pierre philosophale des alchimistes ne permet pas seulement de transmuter de vils métaux en or, mais également de guérir des maladies et rallonger la vie de son possesseur. Sa fabrication est un processus long et complexe. L’alchimiste doit passer par plusieurs étapes pour réaliser le Grand Œuvre (en latin : Magnum Opus) qui est fabrication de la pierre philosophale. L’Œuvre au noir, appelée nigredo et symbolisée par un corbeau désigne dans les traités alchimiques l’art de débarrasser la matière de ses impuretés.

L’Œuvre au blanc, appelée albédo, symbolisée par un cygne, permet de purifier la matière pour obtenir la pierre blanche qui transmute les métaux en argent. L’Œuvre au rouge, appelée rubiedo, symbolisée par un oiseau mythique, le Phénix, permet la fabrication de la pierre philosophale.

Le phénix, symbole du rubedo ou « Phase Rouge » pour sa capacité à renaître de ses cendres, rejoignant le début et la fin de chaque cycle.

Le phénix, symbole du rubedo ou « Phase Rouge » pour sa capacité à renaître de ses cendres, rejoignant le début et la fin de chaque cycle. (Wikimedia Commons).

Les trois couleurs se mélangent dans l’athanor.

Trois oiseaux dans une fiole, S. Trismosin, Splendor solis, Londres, XVIème siècle.

Trois oiseaux dans une fiole, S. Trismosin, Splendor solis, Londres, XVIème siècle. Source : Alexander Roob, Alchimie&Mystique, Éditions Taschen, 2009.

NICOLAS FLAMEL ALCHIMISTE

De retour à Paris, le libraire se fait alchimiste, il étudie le manuscrit et tente des expériences. En janvier 1382, il réussit l’œuvre au blanc et parvient à transmuter du mercure en argent. En avril de la même année, il réalise l’œuvre au rouge, la pierre philosophale, puisque selon ses dires, il transmute du mercure en or.

Je fis la projection avec de la pierre rouge sur semblable quantité de mercure […] que je transmutais véritablement en quasi autant de pur or, meilleur certainement que l’or commun plus doux et plus ployable.

Plus tard, il obtint également 1′ « élixir de longue vie », dont il fit bénéficier dame Pernelle. Après un simulacre d’enterrement, il envoya celle-ci secrètement vers les bords de l’Euphrate, où il devait plus tard la rejoindre. D’où la légende qui rapporte que Flamel avait rencontré le comte Desalleurs, ambassadeur de France en Turquie de 1747 à sa mort en 1754. Soit plusieurs siècles après la mort officielle de Flamel en 1418.

Il n’y a pas de preuve directe que Flamel ait pratiqué l’alchimie puisque ce n’est qu’en 1612 que paraît à Paris le livre Trois traitez de la philosophie naturelle non encore imprimez, par Pierre Arnauld, contenant, entre autres, Les figures hierogliphiques de Nicolas Flamel. Ce texte attribué à Flamel constitue le récit de ses expériences alchimiques.

Page de titre du Trois traités de la philosophie naturelle.

Page de titre du Trois traités de la philosophie naturelle. (Wikimedia Commons).

Il doit sa gloire à sa prodigieuse fortune, restée inexpliquée, qui est à l’origine du mythe qui a fait de lui un alchimiste ayant réussi dans la quête de la pierre philosophale permettant de transmuter les vils métaux en or. C’est cette légende qui s’est bâti autour de sa personne qui a rendu le nom de Nicolas Flamel immortel. Cependant aucun manuscrit original datant du Moyen Age, ni le Livre des figures Hiéroglyphiques, ni le Livre d’Abraham le juif n’a été retrouvé. Cependant la légende s’amplifie au gré des auteurs, ainsi Éliphas Lévi, le fondateur de l’occultisme, écrit dans son Histoire de la magie :

«La tradition populaire assure que Flamel n’est pas mort et qu’il a enterré un trésor sous la tour Saint-Jacques-la-Boucherie. Ce trésor contenu dans un coffre de cèdre revêtu de lames des sept métaux, ne serait autre chose, disent les adeptes illuminés, que l’exemplaire original du fameux livre d’Abraham le juif, avec ses explications écrites de la main de Flamel, et des échantillons de la poudre de projection suffisants pour changer l’Océan en or si l’Océan était de Mercure.

LE MYSTÈRE DE LA TÈTE COUPÉE

La tête décapitée est un symbole récurrent de l’une des étapes vers le Grand Œuvre alchimique : le nigredo.

David et la tête Goliath de Caravage (1571-1610).

David et la tête Goliath de Caravage (1571-1610). (Wikimedia Commons).

Pour aboutir à la pierre des philosophes, il faut passer par trois étapes majeures du processus alchimique : l’Œuvre au noir (Nigredo), l’Œuvre au blanc (Albedo) et l’Œuvre au rouge (Rubedo).

Les alchimistes parlent d’une mystérieuse « Tête de Corbeau » qu’il faut obtenir pour parachever la « phase au noir » qui mène à la pierre philosophale.

Notre mercure, dit le saint alchimisteAlbert-le-Grand (le Composé des Composés, V), restera au fond… changé en une terre noire qu’on appelle Tête de Corbeau.

Le poète alchimiste Raymond Lulle mentionne également cette étape :

Tu auras alors la Tête de Corbeau que les Philosophes ont tant cherchée, sans laquelle le Magistère ne peut exister. (Raymond Lulle, La clavicule, VIII).

Le corbeau et le crâne, symboles du Nigredo. Frontispice du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli (1926). Illustration de Julien Champagne.

Le corbeau et le crâne, symboles du Nigredo. Frontispice du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli (1926). Illustration de Julien Champagne. (Wikimedia Commons).

Mais il y a encore plus intéressant, puisqu’il faut couper Cette « Tête de Corbeau » pour aller plus loin dans le processus alchimique. Nicolas Flamel dans son Traité des Figures hiéroglyphiques (Chapitre VI) écrit :

Mais veux-tu savoir que veut dire cet Homme qui prend l’épée ? Il signifie qu’il faut couper la tête au Corbeau, c’est-à-dire à cet Homme vêtu de diverses couleurs, qui est à genoux.

J’ai pris ce trait et figure d’Hermès Trismégiste en son Livre de l’Art secret, où il dit :

Ôte la tête à cet homme noir ; coupe la tête au Corbeau, c’est-à-dire blanchis notre Sable.

[…] La noirceur s’appelle la tête du Corbeau, laquelle ôtée, à l’instant vient la couleur blanche.

Ainsi la « Tête de Corbeau » est une phase du Grand Œuvre au cours de laquelle la pierre des philosophes est au noir.

Couper la Tête du Corbeau symbolise donc le passage entre deux étapes du Grand Œuvre.

Or dans la mythologie celtique existe un héros dont le nom est tiré de celui du corbeau et qui à la fin de son aventure est décapité, sa tête deviendra un précieux talisman.

LA TÊTE COUPÉE DE BRAN-LE-BÉNI

C’est un récit gallois décrit l’étrange destinée de la tête du héros Bran-le-Béni. Ce dernier est un héros majeur de la mythologie galloise. C’est un géant, roi de Bretagne. Il possède un chaudron qui lui permet de ressusciter les guerriers morts. Il donne sa sœur Branwen comme épouse au roi d’Irlande. Celui-ci la maltraite. Bran organise une expédition pour la venger. Cette campagne tourne au désastre. Le chaudron magique est détruit et Bran est blessé à la jambe par une lance empoisonnée. Il demande à ses sept compagnons survivants de lui couper la tête. Celle-ci, enterrée à Londres, protègera l’île de Bretagne contre tous les envahisseurs.

Bran-le-Béni ordonna qu’on lui coupe la tête.

Prenez ma tête, dit-il, emportez-la jusqu’à la Colline Blanche (Y Gwynvryn) à Londres, et enterrez-la avec la face tournée vers la France. Vous allez faire route pendant longtemps ; pendant sept ans vous resterez festoyer à Harddlech, tandis que les oiseaux de Rhiannon chanteront pour vous. Ma tête sera pour vous une compagnie aussi agréable que lorsque vous l’avez connue, au mieux de sa forme, sur mon corps. Vous resterez vingt-quatre ans à Gwales en Pembroke. Jusqu’à ce que vous ouvriez la porte du côté de l’Aber Henvelen, en direction de Cornouailles, vous pourrez rester là sans que la tête ne se corrompe. Mais sitôt que la porte sera ouverte, vous ne pourrez plus rester là. Vous gagnerez Londres pour y enterrer la tête, puis vous continuerez votre chemin de l’autre côté[3].

Or le nom du héros correspond au vieux celtique Branos (corbeau), Brennus en latin, qui par la chute de la syllabe finale a donné en breton, gallois et irlandais Bran, qui signifie le « corbeau ».

Une autre tête coupée hante la mythologie celtique. Il s’agit de l’épopée du Graal dans laquelle le vase sacré est tout d’abord une tête posée sur un plat dans sa version la plus archaïque. Comparons donc ce cortège du Graal insolite avec celui plus conventionnel de Chrétien de Troyes :

Peredur s’assit à côté de son oncle, et ils discutèrent. Puis il vit deux jeunes gens entrer dans la grande salle puis dans la chambre, portant une lance d’une taille indescriptible ; trois ruisseaux [de sang] la parcouraient tout au long, de la pointe jusqu’à terre. Lorsque les gens de la cour virent cela, tous se mirent à crier et à gémir si fort que c’était insupportable. Mais l’homme n’interrompit pas pour autant sa conversation avec Peredur ; il ne lui apprit pas ce que c’était, et l’autre ne lui posa pas de question.

Après un moment de silence, ensuite, voici deux jeunes filles qui entrent avec un grand plat, sur lequel il y avait une tête d’homme et du sang en abondance. Chacun se mit alors à crier et gémir au point qu’il était pénible de rester dans la même maison[4].

La tradition d’une tête coupée posée sur un plat existe également dans le Christianisme.

La Tête de saint Jean-Baptiste, Tableau peint en 1507 par Andrea Solari. Il représente la tête de Jean le Baptiste, tranchée et disposée dans une coupe. Musée du Louvre.

La Tête de saint Jean-Baptiste, Tableau peint en 1507 par Andrea Solari. Il représente la tête de Jean le Baptiste, tranchée et disposée dans une coupe. Musée du Louvre. (Wikimedia Commons).

Ensuite la version de Chrétien de Troyes, plus classique, qui ne révèle pas la vraie nature du Graal, mais dont les continuateurs feront la coupe dans laquelle Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Christ.

Tandis qu’ils causent à loisir, paraît un valet qui sort d’une chambre voisine, tenant par le milieu de la hampe une lance écarlate de blancheur. Entre le feu et le lit où siègent les causeurs ils passent, et tous voient la lance et le fer dans leur blancheur. Une goutte de sang perlait à la pointe du fer de la lance et coulait jusqu’à la main du valet qui la portait. Le nouveau venu voit cette merveille et se raidit pour ne pas s’enquérir de ce qu’elle signifie. C’est qu’il lui souvient des enseignements de son maître en chevalerie : n’a-t-il pas appris de lui qu’il faut se garder de trop parler ? S’il pose une question, il craint qu’on le tienne à vilenie. Il reste muet.

Alors viennent deux autres valets, deux fort beaux hommes, chacun en sa main un lustre d’or niellé ; dans chaque lustre brûlait dix cierges pour le moins. Puis apparaissait un Graal, que tenait entre ses deux mains une belle et gente demoiselle, noblement parée, qui suivait les valets. Quand elle fut entrée avec le Graal, une si grande clarté s’épandit dans la salle que les cierges pâlirent, comme les étoiles ou la lune quand le soleil se lève. Après cette demoiselle en venait une autre, portant un tailloir d’argent. Le Graal[5] qui allait devant était de l’or le plus pur ; des pierres précieuses y étaient serties, des plus riches et des plus variées qui soient en terre ou en mer ; nulle gemme ne pourrait se comparer à celle du Graal[6].

Cet objet mystérieux, à l’origine de la Quête la plus fabuleuse de tous les temps, était-ce le crâne d’un être exceptionnel avant de devenir une coupe ?

Pour en savoir plus voir également les différents aspects du Graal dans SAISON 2 ANNEXE 13 Le Graal

Voir également les différents « Corbeaux » qui figurent dans  la tradition celtique dans SAISON 2 ANNEXE 11 Brennos

Pour connaître les différents objets de la Quête du Graal, voir SAISON 2 ÉPISODE 21 La Quête du Graal

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SOURCES :

Gilette Ziegler, Nicolas Flamel et la pierre philosophale, in Les explorateurs de l’impossible, Éditions Tchou, 1979.

Jean Markale, Le Graal, Éditions Albin Michel, Paris, 1996.

Les grandes énigmes, Éditions Larousse, 1992.

Nicolas Flamel — Wikipédia (wikipedia.org)

NOTES:

[1] Toutes les citations sont tirées du texte de Gilette Ziegler, Nicolas Flamel et la pierre philosophale, in Les explorateurs de l’impossible, Éditions Tchou, 1979.

[2] Philippe le Bel est également le roi qui a détruit l’ordre du Temple.

[3] Les Quatre Branches du Mabinogi, Le Mabinogi de Branwen, Traduction P-Y Lambert, Gallimard, Paris, 1993, p.73.

[4] Les Quatre Branches du Mabinogi, L’histoire de Peredur fils d’Evrawc, Traduction P-Y Lambert, Gallimard, Paris, 1993, pp.248-249.

[5] L’auteur ne précise à aucun moment la véritable nature du Graal.

[6] Chrétien de Troyes, Perceval le Gallois ou le conte du Graal, Traduction L. Foulet, Robert Laffont, Paris, 1989, p.44.