SMERTRIOS

LES DRUIDES SAISON 2 ÉPISODE 11

Le bas-relief du dieu gaulois Smertrios représente une projection de constellation d’Hercule sur le pilier des Nautes.

ORION ET SMERTRIOS

Orion se retrouve sous différents noms dans l’iconographie gauloise. Il est à la fois le dieu sans nom du chaudron de Gundestrup qui affronte un taureau, il est Ogmios, Sucellus ou encore celui que l’on nomme à défaut d’autre chose Hercule gallique et il peut encore être rapproché de nombreux autres divinités ou héros de la mythologie celtique comme Esus, Brennus, Cúchulainn, Tristan ou encore Lug. Orion est présent partout. Il est une des divinités principales des druides. Et si chaque divinité peut prendre comme Orion de nombreuses identités, alors il y a certes plus de 400 différents noms de divinités chez les Celtes, mais un nombre de dieux réels très réduit. Sur le chaudron de Gundestrup, il y en quatre : le dieu père, la déesse mère et leurs deux fils jumeaux, les Dioscures ainsi que quelques figurants. Cependant ces Dioscures ressemblent plus au duo que forment Apollon et Dionysos à Delphes qu’au Dioscures traditionnels. Ces glissements de fonctions et des appellations innombrables ont entrainé une grande confusion dans la nomenclature des divinités gauloises. S’ajoute le fait que les commentateurs romains ont systématiquement nommé « Mercure » le « Dionysos gaulois » n’a pas beaucoup aidé à démêlé cet embrouillamini. Heureusement qu’il reste les constellations pour remettre un peu d’ordre dans un panthéon gaulois souvent incompris.

LE PILIER DES NAUTES

Dans cet article, c’est Orion en tant que Grand Chasseur qui sera mis en avant. Un Orion archer. Un Orion qui peut encore une fois apparaître sous l’identité de son « avatar » Héraklès.

Or il existe sur le pilier des Nautes la représentation d’un dieu qui semble être un archer pour les uns ou un tueur de serpent pour les autres. Ce bas-relief soulève d’ailleurs plusieurs questions.

Pilier des Nautes : Smertrios, sculpture, 37 apr. J.-C., époque gallo-romaine (50 av.-1 00 apr. J.-C.),

Pilier des Nautes : Smertrios, sculpture, 37 apr. J.-C., époque gallo-romaine (50 av.-1 00 apr. J.-C.), musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny, Paris.  Source : musee-moyenage.fr

Sur ce bloc de pierre dont la partie basse est manquante, le dieu est nu, au moins jusqu’au torse. Il porte une barbe et des cheveux courts et bouclés. Il est jeune ou d’âge mûr et puissamment musclé. Il lève de la main droite une courte massue.  En face du dieu est représenté un objet indéfini, un arc pour les uns, un serpent pour d’autres.

UN ARC OU UN SERPENT ?

Si c’est un arc, il est représenté de façon presque symbolique, en tout cas dans sa plus simple expression. Tel l’exemple suivant.

Arc

Si c’est un serpent, alors il n’a pas de tête, le tracé est net et rien dans la structure de la roche n’indique qu’il en manque une partie. À comparer avec un bas-relief qui semble montrer une scène similaire, sauf que la tête du serpent est bien visible.

Relief d’Hercule/Smertrios terrassant l’Hydre d’Alzey (Kreis Alzey-Worms, Allemagne). Source: R. Haeussler: Interpretatio Indigena. Re-Inventing local cults in a global world.

Alors arc ou serpent ?

La question reste ouverte pour l’instant.

UNE MASSUE MAL PLACÉE

La massue du dieu pose également un problème. C’est une massue noueuse, très écourtée à cause de l’étroitesse du champ à sculpter. Mais surtout la représentation comporte une maladresse au niveau du dessin puisque la main qui tient cette massue est une main gauche prêtée au bras droit (détail important).

UN DIEU AGENOUILLÉ

Autre question importante, dans quelle posture se tient le dieu ?

Les dimensions de Smertrios sont nettement plus fortes que celles d’autres divinités qui sont représentées sur les autres faces du même bloc. Sa tête n’atteint pas comme les leurs le bandeau supérieur. Il est manifeste que l’artiste n’a pas voulu le représenter debout. C’est pourquoi l’hypothèse que le dieu pose le genou droit à terre doit être prise en compte. Cette attitude, d’un combattant prêt à assommer un adversaire plus petit que lui, peut convenir ici. Ce dieu est apparemment un pourfendeur de monstres, une sorte d’Héraclès. Sa représentation plastique est manifestement influencée par celle du héros grec.

Essai de restitution de Smertrios agenouillé. Source Paul-Marie Duval. Le groupe de bas-reliefs des « Nautae Parisiaci ». In: Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 48, fascicule 2, 1954. pp. 63-90.

HÉRAKLÈS LE TUEUR DE DRAGON

Or, Héraklès est les deux, un archer et un héros sauroctone, c’est-à-dire un tueur de dragon. Les sauroctones (du grec saûros, « lézard » et któnos, « tueur ») sont littéralement des « tueurs de lézards » qu’ils soient dragons, serpents monstrueux ou autres reptiles fantastiques. Voir les différentes métamorphoses du dragon à travers les âges dans SAISON 1 ANNEXE 11 Le dragon

Héraklès, fils de Zeus et Alcmène, a commencé très jeune en tant que tueur de reptiles. Pour se venger des infidélités de son mari, Héra introduit deux serpents dans la chambre d’Héraklès et de son demi-frère jumeau Iphiclès. Héraclès parvient à étrangler les reptiles, démontrant déjà sa force prodigieuse.

SMERTRIOS. Héraclès enfant étouffant un serpent. Marbre, œuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C.

Héraclès enfant étouffant un serpent. Marbre, œuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C. Musée du Capitole, Rome.

Sans oublier l’épisode célèbre d’Héraklès et de l’Hydre de Lerne dans lequel le héros grec se bat contre l’hydre, mais à chaque fois qu’il coupe une tête une autre tête repousse. Il demande alors l’aide d’Iolaos qui lui conseille de cautériser les blessures du cou avec une torche. La stratégie fonctionne et Héraklès arrive à tuer le Monstre. Dans la plupart des versions, l’Hydre de Lerne a un corps de serpent et entre cinq et neuf têtes. D’autres versions lui donnent une centaine de têtes.

SMERTRIOS. Fragment de jarre italiote à figures rouges montrant Héraclès contre l'hydre de Lerne. Italie du Sud, 375/340 avant notre ère.

Fragment de jarre italiote à figures rouges montrant Héraclès contre l’hydre de Lerne. Italie du Sud, 375/340 avant notre ère. Exposition au Fritchburg Art Museum, Massachusetts (Etats-Unis).

UN HÉROS TUEUR D’OISEAUX

Héraklès s’illustre également en tant qu’archer lors d’un de ses 12 Travaux : Tuer les oiseaux du lac Stymphale aux plumes d’airain. Ces oiseaux étaient des carnassiers, se nourrissant de chair humaine et tuant leurs proies grâce à leurs plumes d’acier, piquantes et tranchantes, qu’ils utilisaient comme des flèches.

Héraclès et les oiseaux du lac Stymphale, détail de la mosaïque des douze travaux d'Hercule de Liria (Espagne), première moitié du IIIe siècle.

Héraclès et les oiseaux du lac Stymphale, détail de la mosaïque des douze travaux d’Hercule de Liria (Espagne), première moitié du IIIe siècle. Musée National d’Archéologie Madrid.

Héraklès commença par les tuer à l’aide de son arc en tirant des flèches sur eux, mais ils étaient tellement nombreux et se reproduisaient si vite, qu’à la fin de la journée le héros n’avait plus de flèches et que les oiseaux étaient plus nombreux que dans la matinée. Héraclès, dans un mouvement de rage, frappa alors son épée contre son bouclier, ce qui fit fuir les oiseaux. Il continua jusqu’à ce que tous les oiseaux tombent d’épuisement dans le lac et se noient.

LE POINT DE VUE ASTRONOMIQUE

L’astronomie peut encore une fois nous venir en aide pour décrypter une image celtique.

Il semble que l’hypothèse d’un dieu Smertrios ayant un genou à terre soit bien la bonne solution. Il existe dans le ciel étoilé la figure d’un homme agenouillé : c’est Héraklès (Hercules).

Hercules sur la Carte céleste par Johannes Hevelius dans le Firmamentum Sobiescianum sive Uranographia (1687).

Hercules sur la Carte céleste par Johannes Hevelius dans le Firmamentum Sobiescianum sive Uranographia (1687).

Comme Smertrios sur le pilier des Nautes, Héraklès est nu et brandit une massue. La massue est dans la même position dans les deux exemples, tournée vers l’arrière. Il n’y a pas de peau de lion dans le cas de Smertrios, en tout cas sur la partie supérieure du bloc. Par contre, Héraklès affronte bel et bien un serpent, l’Hydre de Lerne qui dans le cas présent a trois têtes.

C’est pourquoi on peut avancer l’hypothèse que le dieu Smertrios du pilier des Nautes ressemble à la constellation d’Héraklès. Tout y est, la position avec un genou à terre, la nudité, la massue et le serpent. Il y a bien une réponse à la question posée plus haut : arc ou serpent ? C’est semble-t-il serpent.

LA CONSTELLATION D’HERCULES

Sauf qu’il existe une représentation de la constellation qui présente les deux variantes, l’arc et le serpent en même temps et qui correspond bien mieux au Smertrios du bas-relief du pilier des Nautes.

Hercules tel que représenté dans le Miroir d’Uranie, un ensemble de cartes de constellation publié à Londres vers 1825.

Hercules tel que représenté dans le Miroir d’Uranie, un ensemble de cartes de constellation publié à Londres vers 1825. La constellation est normalement renversée les pieds vers le pôle nord et la tête vers le Sud.

Héraklès est torse nu et il est agenouillé. Mais surtout, dans ce cas précis, Héraklès est représenté avec plusieurs attributs qui le caractérisent. Outre la massue, il y a un arc, un carquois rempli de flèches et le héros tient dans sa main une branche de l’arbre des Hespérides avec ses pommes d’or et surtout un serpent, une hydre à trois têtes. Alors, arc ou serpent ? Les deux sont possibles. L’artiste peut puiser dans un large répertoire. L’attitude d’Héraklès permet même d’expliquer l’erreur de la main du pilier des Nautes. L’artiste a voulu représenter la massue au-dessus de la tête de Smertrios. Devant le manque de place, il l’a placé vers l’arrière, mais s’est emmêlé le burin, si l’on ose dire, pour représenter la main droite du dieu.

UNE INTERPRÉTATION GAULOISE

Le dieu Smertrios n’est pas inspiré directement par l’Héraklès grec, mais plutôt une interprétation gauloise de la constellation de l’Agenouillé qui trône dans le ciel étoilé. Déjà connue en Mésopotamie depuis les temps les plus anciens. La constellation de l’Agenouillé est une des plus grandes constellations, bien que peu visible, elle se montre renversée, la tête en bas. Les pieds de l’Agenouillé vers le pôle boréal, et sa tête touchant vers le sud celle du Serpentaire. C’est probablement en raison de son genou fléchi (le droit, selon Hipparque) et de son pied placé au-dessus de la tête du Dragon que les Anciens ont pu reconnaître dans l’Agenouillé la figure d’Héraklès terrassant le monstre. Les Gaulois y ont vu un homme nu à genou, brandissant une massue d’une main et tenant un arc ou un serpent dans l’autre main, les deux sont possibles. On ne peut pas exclure que Smertrios ne portait pas une peau de lion attaché autour de la taille sur la partie manquante du bloc comme le héros grec sur cette gravure.

LE CIEL ÉTOILÉ

Pour les Mésopotamiens, les Grecs ou encore les Gaulois le modèle se trouvait dans le ciel étoilé sous la forme d’un homme nu avec un genou à terre, armé d’une massue. Comme ce personnage vit de nombreuses aventures dans sa recherche du secret de l’immortalité, les éléments qu’il tient dans sa man gauche peuvent varier au gré de l’artiste qui le représente. Un arc, un serpent ou la branche d’un arbre avec des fruits. Si le Smertrios gaulois peut etre comparé au Gilgamesh mésopotamien ou au Héraklès grec, alors il n’est pas un dieu, mais un demi-dieu. Faut-il le rappeler que Héraklès est justement un demi-dieu et que Gilgamesh est dit « dieu aux deux tiers, pour un tiers homme ». Donc il manque à Smertrios un petit quelque chose  pour être immortel et se compter parmi les dieux.

LA QUÊTE DE L’IMMORTALITÉ

Or, l’immortalité est justement l’objet d’une quête qui mène le héros à vivre de nombreuses aventures, dont quelques étapes obligatoires. Ainsi doit-il affronter les quatre animaux qui symbolisent des événements astronomiques saisonniers. Il doit affronter un taureau à l’équinoxe de printemps, un lion au solstice d’été, un cerf à l’équinoxe d’automne et un sanglier au solstice d’hiver. Sans oublier le serpent qui trône au centre du ciel étoilé sous la forme de la constellation du Dragon.

UN RÉPERTOIRE EN COMMUN

Les constellations et leurs images constituent un fond commun dans lequel les différentes civilisations ont puisé selon leurs besoins.  Les druides en bons astronomes sont restés très proche du modèle original. Ce qui n’est pas le cas de la Mésopotamie ou de la Grèce, sociétés dans lesquelles le modèle astronomique a subi des changements parfois profonds, certains motifs ayant été supprimés, modifiés ou ajoutés.

LES DANGERS DE L’ÉCRITURE

Ces modifications proviennent d’un changement de mode de transmission du message originel avec l’adoption de l’écriture pour la Mésopotamie et la Grèce. Contrairement à ce que l’on croit habituellement la transmission par écrit est moins fiable qu’une transmission orale qui est exécutée dans les règles de l’art. L’écriture permet une évolution dans la narration des mythes au détriment des fondamentaux inscrits dans le ciel étoilé. Au contraire des druides qui ont gardé une tradition orale figée dans le temps. Les textes sont verrouillés à travers les âges grâce à des techniques de mémorisations perfectionnées : utilisation de mots-clefs et de rimes qui entraînent automatiquement la suite etc. Ces textes ont subi un deuxième verrouillage grâce au rythme introduit par les psalmodies ou les chants. Ainsi, il est impossible avec ce double verrouillage de changer le moindre détail du texte et permet même une transmission à travers des gens qui ne comprennent pas le texte. Voir à ce propos SAISON 1 ÉPISODE 2 Les druides et leur message

CONCLUSION

Il ne faut cependant pas oublier que c’est Orion qui est la pièce maîtresse du jeu d’échec géant qui quadrille l’immensité du ciel étoilé et que Héraklès n’est qu’une projection, un pion, un « avatar » à travers lequel Orion vivre ses nombreuses aventures qui lui sont imposées par les règles du jeu céleste.

©JPS2023

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Voir également la description détaillée du pilier des Nautes : SAISON 2 ANNEXE 14 Le pilier des Nautes

Smertrios — Wikipédia (wikipedia.org)