LE CHAUDRON DE GUNDESTRUP ET LE DRAGON

LES DRUIDES SAISON 1 ANNEXE 11

La constellation du Dragon est représentée sur le chaudron de Gundestrup. Cependant l’image ne correspond pas à l’archétype du dragon tel que nous le connaissons actuellement. C’est pourquoi il faut reconstituer l’image du dragon à travers les âges.

LES MÉTAMORPHOSES DU DRAGON

L’animal fabuleux représenté sur la plaque du fond du chaudron de Gundestrup ne ressemble pas du tout à l’archétype du dragon tel que nous le concevons de nos jours.

LE DRAGON ORIGINE. Chaudron de Gundestrup Dragon et Ourse

Représentation de la constellation du Dragon et de la Petite Ourse sur la plaque du fond (détail) du chaudron de Gundestrup

C’est-à-dire un reptile géant cracheur de feu, doté d’ailes de chauve-souris pour voler dans les airs. Le dragon de la Belle au bois dormant en est une illustration parfaite.

Dragon Disney

Le dragon dans la Belle au bois dormant (1959) ©Disney

Ce dragon ailé se rencontre dans tout récit d’heroic fantasy qui se respecte et le plus célèbre d’entre eux est certainement Smaug crée par l’écrivain J. R. R. Tolkien.

LE DRAGON DU CIEL

Cependant un détail ne trompe pas, car notre « dragon » un peu étrange est placé à côté d’un animal que l’on peut interpréter en tant que Petite Ourse.

Chaudron de Gundestrup Petite Ourse

Détail du chaudron de Gundestrup, la Petite Ourse

Gravure Petite Ourse

Ursa Minor par Johann Bayer dans Uranometria, 1603 (Source Wallhapp.com).

Or cette Ourse céleste et celle du chaudron de Gundestrup ont un point en commun, elles se caractérisent par une longue queue alors que les ours réels ont une queue courte, à peine visible.

Dessin d'ours brun

Ours brun (Ursus arctos), peint par Maréchal, gravé par Miger, Paris, 1808, Museum National d’Histoire Naturelle (Source Wikimedia Commons).

Mais surtout ces deux animaux sont dans la position exacte tel que l’on peut les observer en tant que constellation de la Petite Ourse et du Dragon nuit après nuit dans le ciel étoilé.

Carte du ciel Ourse et Dragon

Le Dragon (Draco) et la Petite Ourse (Ursa Minor) (d’après la carte céleste Sirius, Éditions Freemedia, Bern). La Petite Ourse se situe à côté de la queue du Dragon.

Détail du chaudron de Gundestrup, la Petite Ourse et le Dragon

La particularité de ces deux constellations est qu’elles ne descendent jamais en dessous de l’horizon et restent visibles chaque nuit tout au long de l’année. Ce qui leur confère aux yeux des Anciens une réputation d’immortalité. En effet les constellations se divisent en deux groupes. Celles qui qui ne se lèvent et ne se couchent jamais et qui sont dites circumpolaires[1] et celles qui ne sont visibles qu’à certains moments et que l’on appelle saisonnières. Les constellations circumpolaires sont la Grande Ourse, la Petite Ourse, le Dragon, Céphée et Cassiopée[2]. Certaines d’entre elles sont considérées comme très importantes parce qu’elles peuvent potentiellement contenir l’étoile Polaire au cours du temps[3].

UN DRAGON QUI NE MEURT JAMAIS ?

Cependant dans toutes les mythologies le héros, le dieu ou l’Archange tuent le dragon. Sauf que c’est de façon cyclique, la lumière vainc les ténèbres au printemps[4]. C’est ce que l’on appelle un mythe saisonnier. Mais comme l’hiver, le dragon revient chaque année dans un éternel recommencement.

D’ailleurs le terme « dragon » est peu approprié puisque la constellation du Dragon désigne en fait un énorme serpent comme le montre cette illustration datée de 1825.

Miroir d'Uranie Dragon

Le Dragon (Draco) et La Petite Ourse (Ursa Minor) d’après le Miroir d’Uranie, Illustration de Sidney Hall, 1825, Source Bibliothèque du Congrès (Wikimedia Commons)

Dans un précédent article nous avons démontré que pour les Celtes le Dragon céleste peut prendre des formes différentes puisque sur des monnaies gauloises du peuple des Carnutes le serpent en tant qu’adversaire de l’aigle est parfois remplacé par un lézard.

Monnaie Carnute

Monnaie Carnutes, bronze à l’aigle et au serpent (52 av. J.-C.) Source : www.monnaiesdantan.com

Monnaie Carnute

Monnaie Carnutes, bronze à l’aigle et au lézard, Ier siècle av. J.-C. Source : www.cgb.fr

L’animal avec quatre pattes et une longue queue que l’on observe sur le chaudron de Gundestrup est donc un lézard. Les druides ont privilégié l’image d’un lézard plutôt que celle d’un serpent pour représenter le Dragon céleste. C’est le cas sur le chaudron de Gundestrup, mais ailleurs dans le monde celtique le Dragon céleste peut prendre la forme d’un serpent comme sur cette monnaie attribuée au peuple des Boïens. Voir le dictionnaire [Boïens]

Dragon Monnaie en or des Boiens

Statère en or des Boïens, de 130 à 15 av. J.-C., ø 1,7 cm. © Kunsthistorisches Museum, Wien. Sur cette monnaie nous retrouvons le Dragon céleste celtique enroulé autour de l’axe de rotation terrestre.

LE DRAGON AU MOYEN ÂGE

Il ne faut cependant pas trop se formaliser sur l’aspect peu conventionnel du dragon représenté sur le chaudron de Gundestrup. Il suffit de remonter le temps pour s’apercevoir que le modèle du dragon cracheur de feu doté d’ailes de chauve-souris n’a été défini qu’au cours du Moyen Âge. C’est à cette époque que nous trouvons une grande variété de dragons. Sur cette peinture de Paolo Uccello le dragon est parfaitement reconnaissable avec son aspect reptilien et ses ailes de chauve-souris, inspirateur du modèle classique.

Tableau de Paolo Uccello St Georges contre le dragon

Saint Georges terrassant le dragon, 1430-35, Paolo Uccello (1397-1475), Peinture sur panneau de bois, Musée Jacquemart-André.

Par contre sur une œuvre de Vittore Carpaccio un autre monstre, quadrupède cette fois-ci, comporte des aspect mammaliens, corps de lion, tête de chien et par ailleurs les serres d’un aigle pour les pattes avant. Pourtant tout le monde reconnaît là un dragon surtout que son adversaire reste le même c’est-à-dire Saint Georges.

Tableau de Vittore Carpaccio

Saint Georges et le Dragon, Vittore Carpaccio, 1502, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni (Venise, Italie)

Mais que dire de cette créature beaucoup plus archaïque que les deux précédentes avec un corps poilu et une queue de rat. Pas d’ailes mais des plumes qui ornent un long cou. Nous sommes bien loin du dragon conventionnel.

Tristan tuant un dragon

Tristan tue le dragon et lui coupe la langue pour prouver son exploit (détail), Fresque du XIVe siècle, Château de Runkelstein, près de Bolzano (Italie)

LE DRAGON GREC

Plus on remonte le temps et plus on s’éloigne des standards actuels. Dans l’Antiquité nous ne retrouvons plus guère ce modèle initial. Dans la mythologie grecque, les dragons sont des créatures monstrueuses apparentées aux serpents comme dans l’exemple suivant.

Vase Héraclès et l'Hydre de Lerne

Héraclès et l’Hydre de Lerne, amphore attique à figures noires, v. 540-530 av. J.-C., musée du Louvre (Wikimedia Commons)

L’hydre de Lerne est la fille de Typhon et d’Échidna, tous deux des dragons. Elle est un dragon à cinq ou neuf têtes dont le souffle, le sang et les dents sont empoisonnés. Lorsqu’on lui coupe une tête une autre repousse à la place. C’est Héraclès lui-même qui parvient à tuer le monstre. Python, autre dragon fameux, gardien du sanctuaire de Delphes est tué par Apollon. Sur une monnaie grecque de Crotone Python est représenté sous les traits d’un gros serpent.

Apollon et Python monnaie grecque

Apollon et le Python à Delphes. Stater d’argent de Crotone, vers 420 av. J.-C.

LE DRAGON BABYLONIEN

Encore plus ancien, le dragon sumérien devient un être composite, un quadrupède couvert d’écailles avec une tête de serpent. L’animal est cornu, doté à l’avant des pattes d’un lion et à l’arrière des serres d’un oiseau de proie. Le serpent est celui qui connaît le secret de l’immortalité, les cornes sont un symbole de puissance et le lion et l’aigle sont des insignes royaux.

Dragon sumérien

Dragon, détail de la porte d’Ishtar, Babylone (vers 604-562 av. J.-C.  Pergamonmuseum Berlin (Wikimedia Commons)

LE DRAGON EN INDE

Il faut ajouter que si l’on compare les mythologies des différents endroits du monde entre elles. Les ressemblances sont souvent flagrantes, mais qu’elles diffèrent parfois sur des détails. Prenons l’exemple de l’Inde et du monde celtique. Le plus fameux dragon de la mythologie indienne est celui tué par le dieu Indra. Son nom est Vritra[5] que l’on peut traduire par « l’Obstructeur » c’est un démon de la sécheresse ennemi des dieux qui retient les eaux. Indra, le roi des dieux, tue le dragon et libère les eaux qui peuvent ensuite fertiliser la terre. Ce motif de la libération des eaux bloquées par un monstre se retrouve chez les Celtes, notamment au Pays de Galles. Certains récits mentionnent en effet un monstre aquatique appelé avanc ce qui peut être traduit par… « castor », lui aussi est tué par un héros. Le castor qui construit des barrages sur les rivières retient en effet les eaux.

Les Celtes, ici plus « réalistes » que les Indiens ont assimilé leur monstre maitre des eaux à un castor ; les Indiens l’assimilaient, plus classiquement, à un serpent[6].

LE DRAGON CELTE

Le même monstre peut donc prendre des aspects différents suivant les peuples. Pourtant les Gallois connaissent également le dragon classique puisqu’il orne leur drapeau national.

Drapeau du Pays de Galles

Drapeau du Pays de Galles (Wikimedia Commons)

C’est pourquoi le dragon celte peut prendre de nombreuses formes, lézard, serpent et même castor. Pourtant le monstre le plus proche du dragon représenté sur le chaudron de Gundestrup se trouve dans une église alsacienne…

Dragon Alsace

Saint Georges terrassant le dragon, XVe siècle, Église St Maurice, Soultz, Haut-Rhin, France (Photo : Seckler-Soultz).

Un corps de lézard avec une longue queue et une tête de chien…

Cette constellation du Dragon qui trône au milieu du ciel étoilé et qui tourne au-dessus de nos têtes depuis des temps immémoriaux est tout simplement l’élément incontournable des mythologies du monde entier. Cela demande quelques explications, mais ceci est une autre histoire…

Tete de Dragon Sumer

Tête de dragon cornu, Babylone, bronze du Ier millénaire av. J.-C. (Musée du Louvre) louvrebible.org

©JPS2021

[ACCUEIL]


[1] « Circumpolaire » signifie que les constellations « tournent » autour de l’étoile Polaire.

[2] Ainsi que la constellation de la Girafe qui est une invention récente puisque répertoriée pour la première fois qu’en 1624. Il existe des constellations que l’on pourrait appeler mixtes, une partie des étoiles les constituant sont visibles tandis que les autres sont invisibles. C’est le cas d’Hercule (Hercules) dont une partie disparaît sous l’horizon. Cette constellation est pour moitié immortelle et pour moitié mortelle, c’est pourquoi Hercule est un demi-dieu, fils de Zeus un dieu immortel et d’Alcmène une mortelle.

[3] Ce qui signifie qu’une des étoiles composant la constellation peut à un moment donné se confondre avec le centre du ciel et devenir l’étoile polaire d’une l’époque donnée. C’est le cas de la Petite Ourse, du Dragon et de Céphée auxquelles il faut ajouter deux constellations qui descendent partiellement sous l’horizon, mais qui ont des étoiles qui sont très proche du cercle que dessine l’axe terrestre dans le ciel étoilé et qui définit l’étoile polaire.

[4] Lors de l’équinoxe de Printemps, le moment où la durée du jour est égale à celle de la nuit. Mais au cours des jours suivants c’est la lumière qui « gagne » et les jours devient plus longs que les nuits. L’inverse se produit lors de l’équinoxe d’automne, point à partir duquel les nuits deviennent plus longues que les jours.

[5] Il est également connu dans les textes védiques, sous l’appellation de Ahi « serpent ». Il fait partie des Asuras qui sont considérés comme des êtres démoniaques dans l’hindouisme. Ils sont des esprits opposés aux devas, les divinités hindoues.

[6] Bernard Sergent, Genèse de l’Inde, Éditions Payot et Rivages, Paris, 1997, p.299.