HISTOIRE DES CELTES
LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 13
Les Celtes entrent officiellement dans l’Histoire au Ve siècle av. J.-C., pourtant ils ont occupé une grande partie de l’Europe durant près de 2 millénaires. Pourquoi cet énorme hiatus chronologique de plus de 1500 ans.
LE SACRIFICE DU TAUREAU
Le chaudron de Gundestrup doit impérativement retenir notre attention puisque c’est un marqueur particulier sur l’échelle du temps. Car cette œuvre est probablement la seule qui peut prouver que les druides sont les héritiers d’une très ancienne tradition puisque dans son iconographie figure un événement majeur du passé.
Nous avons étudié avec attention la scène du sacrifice du taureau sur le chaudron d’argent lors d’un épisode précédent, inutile d’y revenir en détail. Voir SAISON 1 ÉPISODE 5 : Le chaudron de Gundestrup une carte du ciel ?
Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., plaque du fond, Copenhague, Nationalmuseet.
LE CALENDRIER DES DRUIDES
Outre que l’on y observe des constellations, ce sont surtout les positions de celles-ci qui sont importante pour notre propos. Car le positionnement de ces constellations permet de dater l’événement auquel se réfère cette scène. Il s’agit du sacrifice du taureau céleste lors d’un changement d’ère. En l’occurrence le passage de l’ère du Taureau[1] vers celle du Bélier, en 2260 avant J.-C. L’immolation du taureau prend une dimension cosmique, c’est un acte fondateur qui marque la création du monde et le début du décompte du temps. Un calendrier commence par un évènement historique marquant servant de point de départ. Ainsi l’ère chrétienne débute avec la naissance de Jésus Christ et les Romains décomptent les années à partir de la fondation de Rome en 753 av. J.-C. Le calendrier permet d’organiser la vie sociale et religieuse des sociétés. Il est fondé sur l’astronomie qui permet de déterminer les grandes fêtes de l’année (solstices d’été et d’hiver, équinoxes de printemps et d’automne). C’est donc à partir du sacrifice du taureau céleste que commence le calendrier druidique en 2260 av. J.-C.
DRUIDES ET CELTES
Pourtant la date indiquée par le chaudron de Gundestrup pose une énorme difficulté et non des moindres puisqu’elle est d’ordre chronologique. Car cette date implique l’existence des druides dès cette époque reculée. Or, il y a un problème, les Celtes n’existent pas en 2260 av. J.-C., du moins officiellement. Par conséquent, pas de Celtes, pas de druides, car de l’avis unanime des spécialistes les druides ne peuvent pas exister en dehors du cadre de la société celtique.
LES CELTES ET L’HISTOIRE
CHRONOLOGIE OFFICIELLE
Les civilisations naissent et meurent. La civilisation celtique ne déroge pas à la règle et comporte un début, un apogée et une fin. Étudions pour commencer la version officielle de l’histoire des Celtes. Pour cela, il faut remonter le temps. Voir également ANNEXE 16 Ce que dit la génétique
LE SECOND ÂGE DU FER
LA CULTURE DE LA TÈNE[2] (v. 500 av. J.-C. – jusqu’à la conquête romaine), ou second âge du fer, est une culture archéologique du monde celte classique, considérée comme l’apogée de la culture celtique. Le territoire de l’Europe celtique s’est étendu par diffusionnisme ou migration vers les régions suivantes : îles Britanniques (Celtes insulaires), moitié ouest de la France (Gaulois transalpins), le grand Sud-Est français (Celto-Ligures), Benelux et nord de la France (Belges), Italie du Nord (Gaulois cisalpins), la moitié ouest de la péninsule Ibérique (Celtibères), Balkans (Scordisques), centre de l’Anatolie (Galates issus de la Grande expédition vers Delphes). C’est lors la culture de La Tène que les Celtes entrent dans l’Histoire puisque c’est ainsi que les nomment les auteurs de l’Antiquité lorsqu’ils évoquent les peuples vivants au nord des Alpes[3]. Les druides ont interdit l’utilisation de l’écriture[4], c’est pourquoi il ne reste aucun texte retraçant l’histoire des Celtes si ce n’est à travers les écrits des auteurs grecs et latins, souvent leurs ennemis. Si l’on considère la richesse des textes mythologiques irlandais et des récits gallois, que de grands textes ont sans doute été perdus. Les druides privilégiaient la transmission orale. Cependant quand les porteurs de ces traditions disparaissent, il ne reste qu’un grand vide. C’est pourquoi les druides pressentant leur fin proche ont inscrit l’essentiel de leurs croyances sur un chaudron d’argent.
BRENNUS LE CONQUÉRANT
Les Celtes n’entrent dans l’histoire qu’à travers des récits semi-mythologiques. Brennus et le sac de Rome en 385 av. J.-C., un autre Brennus et le pillage du sanctuaire de Delphes (Grèce) en 279 av. J.-C. Brennus est certainement la figure la plus importante de la mythologie celtique. Il forme avec son jumeaux Belenos, les Dioscures que l’on retrouve presque sur chaque plaque du chaudron de Gundestrup. Voir ANNEXE 29 L’or de Toulouse et ANNEXE 11 Brennos
Carnyx trouvé dans le sanctuaire gaulois de Tintignac (Corrèze, France). Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris 2011-2012). (Wikimedia Commons).
Épée celtique et fourreau vers 60 avant notre ère, Metropolitan Museum of Art. (Wikimedia Commons).
LE PREMIER ÂGE DU FER
LA CULTURE DE HALLSTATT[5] (v. 800-500 av. J.-C.), ou premier âge du fer, est une culture archéologique du centre-ouest de l’Europe. Elle précède la période de La Tène. Elle prend son origine au nord des Alpes, Tchéquie, sud de l’Allemagne, est de la France, Suisse et l’Autriche. Cette culture est généralement considérée par les historiens comme le berceau des peuples celtes. C’est le développement de la métallurgie du fer qui marque la transition entre leur prédécesseur de la culture des champs d’urnes et celle de Hallstatt.
Peuplement celte en Europe et en Asie Mineure : en jaune, la civilisation de Hallstatt, en vert clair, l’expansion maximum, en vert foncé, les nations celtiques au Moyen Âge et les zones linguistiques contemporaines. (Source Wikimedia Commons).
En ce qui concerne les pratiques funéraires, la culture de Hallstatt prolonge dans un premier temps la culture des champs d’urnes en incinérant les morts, mais au VIIe siècle av. J.-C. cette culture revient aux traditions de l’ancienne culture des tumulus en inhumant les défunts dans des chambres funéraires recouvertes d’un tertre.
LES PRINCES CELTES
C’est l’époque des grands princes celtes comme celui de Hochdorf (Bade-Wurtemberg, Allemagne). La tombe date de la fin du VIe siècle av. J.-C. (vers -530 / -500), la sépulture est un grand caveau aux parois coffrées de bois recouvert par un tumulus de terre d’un diamètre d’environ 60 mètres et d’une hauteur estimée à environ 10 mètres. Le mobilier funéraire comporte un divan en bronze doré sur lequel reposait le corps d’un homme d’une quarantaine d’années, un char à quatre roues, de la de vaisselle de bronze, neuf cornes à boire accrochées au mur, huit en corne d’aurochs et une, plus grande, en fer recouvertes de feuilles d’or, Un cratère en bronze orné de trois lions importé de Grèce et d’une contenance d’environ 500 litres, Le corps du défunt est accompagné de bijoux, torque et bracelet en or et de diverses armes, toutes recouvertes de feuilles d’or.
Corne à boire, armée d’anneaux de bronze et d’or. Tombe de Hochdorf (Bade-Wurtemberg, Allemagne). (Wikimedia Commons).
Dague celtique et son fourreau fait de fer et de bronze, trouvé dans la tombe d’un prince celte de Hochdorf, en Allemagne. Longueur 42 cm. (Wikimedia Commons).
L’ÂGE DU BRONZE FINAL
LA CULTURE DES CHAMPS D’URNES (v. 1200-800 av. J.-C.), période du bronze tardif. La culture des champs d’urnes est une culture protohistorique caractérisée par la pratique de la crémation des défunts. Les cendres sont déposées dans des urnes puis enterrées dans de vastes nécropoles (d’où le nom de champs d’urnes). Certaines sépultures masculines sont très riches comme par exemple la tombe de Milavče en Bohême qui contient un service à boire comprenant plusieurs récipients en céramique ou tôle de bronze, écuelles, tasses, chaudron ou amphore. On y trouve toujours des armes, en particulier des épées, parfois des cuirasses. Les progrès de la métallurgie du bronze, avec des artisans hautement qualifiés, permettent la fabrication de longues épées, de casques et d’armures qui permet l’émergence du statut du guerrier dans une société de plus en plus hiérarchisée. La culture des champs d’urnes prolonge, du moins partiellement la culture des tumulus[6].
Cuirasse de Marmesse (Haute-Marne, France), bronze, âge du bronze, musée des antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye. Credit: Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Loïc Hamon.
L’épée de Wimereux est typique de la fin de l’âge du Bronze, importée à l’époque des îles Britanniques. Longueur 56 cm. © Musée de Boulogne-sur-Mer, cliché Gilbert Naessens.
L’ÂGE DU BRONZE MOYEN
LA CULTURE DES TUMULUS (v. 1600-1200 av. J.-C.), période du bronze moyen. La culture des tumulus est une culture protohistorique caractérisée par la pratique de la sépulture par inhumation du corps des défunts qui s’est développée en Europe centrale. Dans les tombes, les parures des femmes sont somptueuses, bracelets, épingles, pendentifs, colliers. Les hommes sont enterrés avec des armes, poignard, hache, plus exceptionnellement une épée. À côté des villages ouverts se développent de plus en plus des habitats de hauteur fortifiés qui permettent de contrôler les voies de passage. La culture des Tumulus est issue de la culture d’Unétice.
Épée de bronze de 56 cm de long (1600-1500 av. J.-C.) Landesmuseum Württemberg, Stuttgart, Allemagne.
L’ÂGE DU BRONZE ANCIEN
LA CULTURE D’UNÉTICE[7] (v. 2300 -1700 av. J.-C.), début de l’Âge du bronze. Culture archéologique d’Europe centrale, République tchèque, Slovaquie, Autriche, sud de la Pologne et Allemagne centrale. Les sépultures comme par exemple la tombe princière de Leubingen (Saxe-Thuringe, Allemagne, daté de 1942 ± 10 av. J.-C.) sont des chambres funéraires en bois recouvertes de grands tertres. Les offrandes funéraires se composent d’un pot en céramique, de parures en or, des armes et des outils en bronze et en pierre.
Épées retrouvées enterrées avec le disque de Nebra, vers 1600 av. notre ère. (Wikimedia Commons).
La majorité des spécialistes s’accordent aujourd’hui sur cette chronologie. Le caractère celtique de la série qui va de la culture des Tumulus à la culture de la Tène est couramment admis tandis que les torques, les bracelets et anneaux de bras de la culture d’Unétice ont assurément un air « préceltique ».
LE PROBLÈME DES LANGUES CELTIQUES INSULAIRES
Les langues parlées par les porteurs de la culture de La Tène sont celtiques (lépontique, gaulois, celtibère), attestées par des inscriptions utilisant les alphabets, étrusque, grec et latin. Voir ANNEXE 17 Les langues celtiques
L’EUROPE CONTINENTALE
D’autre part, on sait que les langues indo-européennes se sont différenciées très tôt. Comme le démontre l’écriture appelée linéaire B retrouvée sur des tablettes et datant de 1325 av. J.-C. et qui retranscrit du mycénien, une forme archaïque du grec ancien. Il n’y a aucune raison de penser qu’il n’existait pas à cette époque (culture des tumulus) une forme archaïque d’une ou plusieurs langues celtiques qui se transforment et qui se diversifient lors des phases suivantes. D’autant plus, qu’il n’y a aucune indication en faveur d’un déplacement massif durant cette longue période. Pour une meilleure compréhension, cette suite de cultures, déjà celtique, doit être englobée dans un ensemble plus vaste que l’on peut appeler complexe culturel nord-alpin. Ce complexe nord-alpin dont le noyau comprend l’est de la France, le sud de l’Allemagne, la Suisse, la Tchéquie, la Slovénie et la Hongrie s’étend ensuite quasi à toute l’Europe de l’Ouest. Au point de menacer d’autres civilisations, prise de Rome en 385 av. J.-C., pillage du sanctuaire de Delphes (Grèce) en 279 av. J.-C. Ce complexe culturel subit de nombreux changements notables, notamment le passage de l’âge du bronze vers l’âge du fer ou dans les pratiques funéraires avec l’alternance entre inhumation et incinération des défunts[8].
LES ÎLES BRITANNIQUES ET L’ESPAGNE
Tout le problème vient de la présence de langues celtiques sur les côtes atlantiques (îles britanniques et Espagne). Des langues encore parlées de nos jours comme les gaéliques d’Irlande et d’Écosse ou encore le gallois et le breton ou les langues aujourd’hui disparues de la péninsule ibériques attestées par des inscriptions parmi les plus anciennes connues. Or, d’un point de vue archéologique, il n’y a aucun élément en faveur d’un transfert culturel du complexe nord-alpin vers les côtes atlantiques après 1600 av. J.-C. et l’on peut même parler d’un complexe culturel atlantique autonome. Ce qui signifie que l’extrême ouest de l’Europe a été celtisé avant cette date, mais par qui ?
UNE NOUVELLE VISION DES CHOSES
La solution au problème vient peut-être d’un peuple mystérieux qui a colonisé dès 2600 av. J.-C. ces terres qui allaient devenir celtiques, tant du côté nord-alpin que du côté atlantique.
Ce sont les porteurs de la culture campaniforme (2600-1900 av.-C.) qui devaient être probablement parmi les premiers locuteurs d’une langue celtique en Europe. Pour mieux comprendre examinons la carte suivante :
En rose, réseau de la céramique campaniforme (principales concentrations)
Complexe culturel nord-alpin
Complexe culturel atlantique
Zone admise comme celtique vers 400 avant notre ère et son expansion
Source : Patrice Brun, Les Celtes à la lumière de l’archéologie.
Le phénomène campaniforme recouvre une grande partie de l’Europe de l’Ouest. De cellule unique, il se scinde en deux cellules jumelles. Le complexe culturel atlantique et le complexe culturel nord-alpin. Ces deux entités culturelles, probablement déjà celtiques, vont nettement s’individualiser vers 1600 av. J.-C. Tout au long de l’âge du bronze, ces deux sous-ensembles vont évoluer de façon parallèle. Le complexe culturel atlantique va vivre son apogée durant l’âge du bronze grâce à ses ressources de cuivre (mines du Great Orme, Pays de Galles) et surtout d’étain (en Cornouaille[9], sud-ouest de l’Angleterre et Bretagne), les deux composants principaux du bronze.
LES PREMIERS FORGERONS
Cependant, l’apparition de la métallurgie du fer va entraîner le déclin du complexe culturel atlantique et le complexe nord-alpin va vivre à son tour un âge d’or grâce aux mines de fer que l’on trouve sur son territoire. Les deux sous-ensembles vont de nouveau fusionner au second âge du fer et adopter la culture de La Tène sur toutes les terres celtiques.
CHRONOLOGIE RÉVISÉE
LE COMPLEXE CULTUREL NORD-ALPIN
Le complexe culturel nord-alpin (v. 1600 av. J.-C. – jusqu’à la conquête romaine) qui comprend la Culture de la Tène (v. 500 av. J.-C. – jusqu’à la conquête romaine), la culture de Hallstatt (v. 800-500 av. J.-C.), la culture des champs d’urnes (v. 1200-800 av. J.-C.) et la culture des Tumulus (v. 1600-1200 av. J.-C.) semble celtique. Ce complexe culturel a évolué sans apport migratoire massif, au moins depuis 1600 av. J.-C., la population qui partage cette culture était probablement déjà locutrice d’une langue celtique. Le complexe nord-alpin a déjà été étudié en détail dans la première partie de cet article, inutile d’y revenir en détail. C’est la celtisation de la façade atlantique qui va retenir toute notre attention dans cette deuxième partie.
LE COMPLEXE CULTUREL ATLANTIQUE
Le complexe culturel atlantique (v. 1600 av. J.-C. – jusqu’à la conquête romaine)[10] qui s’étend du sud-ouest de la péninsule ibérique jusqu’au nord des îles britanniques. L’absence d’éléments archéologiques venant du complexe culturel alpin montre que l’extrême ouest de l’Europe n’a pas été celtisé après 1600 av. J.-C. Ce qui signifie qu’il l’a forcément été avant.
Carte du complexe culturel atlantique et ses subdivisions. (Source : Patrice Brun, Le complexe culturel atlantique : entre 1e cristal et la fumée.)
LES ROIS DE STONEHENGE
Ce complexe culturel a notamment engendré les brillantes cultures du Wessex et des tumulus armoricains. La culture du Wessex est divisée en deux phases : Wessex I (2000-1650 av. J.-C.) et Wessex II (1650-1400 av. J.-C.). Wessex I est étroitement associée à la construction et à l’utilisation des deuxièmes et troisièmes phases de Stonehenge, au cours desquelles ont été édifiées les parties les plus monumentales du monument. Durant la phase Wessex I, l’inhumation est dominante. Les tombes recouvertes d’un tumulus sont d’une richesse exceptionnelle, armes (poignard en métal, haches de combat en pierre), de riches parures en faïence, en ambre, en or, des pierres à aiguiser perforées. Dans la phase Wessex II, l’incinération devient prépondérante et perd en splendeur.
Vue aérienne du cercle de pierre de Stonehenge.
UNE BRILLANTE CIVILISATION
La culture des Tumulus armoricains (Bretagne, Normandie) connait également deux phases : celle de l’âge du Bronze ancien (vers 2150 – 1600 av. J.-C.) et celle de l’âge du Bronze moyen (vers 1600 – 1350 av. J.-C.). Les tumuli sont souvent de grande dimension. Au-dessus de la chambre funéraire rectangulaire en bois est édifié un cairn de pierre puis recouverte d’un tertre. Les plus grands atteignent 30 à 40 m de diamètre et 4 à 6 m de haut. Le mobilier se compose de poignards triangulaires, de haches avec des décorations en or, de vases en or et en argent, de lunules en or, de parures métalliques, en ambre ou en faïence et de magnifiques pointes de flèches en silex. Voir également : ANNEXE 19 Le mystère des lunules en or
Poignards et haches en alliage cuivreux, brassard d’archer en tôle d’or, aiguisoir en schiste et pointes de flèches armoricaines en silex du tumulus de l’âge du Bronze ancien de La Motta (Lannion, Côtes-d’Armor). Mobilier exposé au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Wikimedia Commons.
Ces cultures ont été qualifiée de « princières » à cause de la richesse du mobilier funéraire : armes d’apparat, vaisselles d’or ou d’argent, parures en bronze, en or, en ambre ou en jais. L’origine du prestige de ces princes du Wessex ou d’Armorique est lié aux ressources en cuivre et en étain (Cornouaille britannique et Bretagne), métaux nécessaires pour fabriquer du bronze[11]. L’apparition de la métallurgie du fer va entraîner le déclin du complexe culturel atlantique.
Cette chronologie révisée implique une présence celtique d’au moins 2300 ans en Europe de l’Ouest. Ce qui correspond presque exactement aux 2260 ans av. J.-C. indiqué par le chaudron de Gundestrup.
INTERPRÉTATION
Les civilisations ne sont pas immortelles, elles naissent et meurent. D’après la chronologie officielle, la civilisation celtique prend son essor vers 550-530 av.-C., grâce à l’influence méditerranéenne (Étrusques, Grecs), en contrôlant les routes commerciales nord-sud ce qui apporte richesse et prestige aux élites locales. C’est la grande époque des tombes somptueuses des princes ou des princesses celtes (Hochdorf ou Vix) du premier âge du fer (culture de Hallstatt). Viens ensuite le second âge du fer (culture de La Tène) qui voit l’expansion celtique des IVe et IIIe siècles avant notre ère sur une grande partie de l’Europe. Les Celtes menacent Rome et la Grèce, ce qui les fait entrer dans l’histoire. Vient ensuite le déclin avec la conquête romaine aux IIe et Ier siècles avant notre ère.
LES HÉROS OUBLIÉS
Tout change avec la chronologie révisée. La civilisation celtique n’émerge plus grâce à l’influence méditerranéenne, mais bien avant. Sur la façade atlantique les princes armoricains et ceux du Wessex, constructeurs des phases monumentales de Stonehenge sont déjà des Celtes. Les Guerriers en armure de bronze de la culture des champs d’urnes sont eux aussi des Celtes et devaient compter parmi eux des héros dignes des épopées d’Homère.
LES CIMMÉRIENS
Plus que les Étrusques ou les Grecs, c’est l’arrivée en Europe centrale aux VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. d’un peuple des steppes, les Cimmériens chassés des rivages de la mer Noire par les Scythes, que le mode de vie des Celtes va changer. L’influence de ces guerriers à cheval sur les élites celtes va inciter ces derniers inhumer à nouveau leurs morts dans de somptueuses tombes recouvertes d’un tertre comme le faisaient leurs ancêtres de la culture des tumulus. Ils empruntent également la culture du cheval aux nouveaux venus (grands chevaux, harnachement spécifique). L’utilisation du cheval et de la grande épée servant à frapper de taille en fait de redoutables cavaliers. Voir ANNEXE 18 Les Cimmériens
LES DERNIERS TEMPS
La culture de La Tène ne représente que la phase finale d’une civilisation celtique sur le déclin. Après plus de 2000 ans de domination ininterrompue en Europe de l’ouest, les Celtes vont finalement être pris en étau entre deux forces contraires. Tout d’abord au nord, avec les lentes migrations germaniques vers les cieux plus cléments de l’Europe tempérée à partir IIIe siècle av. J.-C. Puis au sud, les débuts de l’expansion romaine. Les deux forces se retrouverons face à face sur le Rhin et le Danube à partir du Ier siècle av. J.-C. En fait, les Celtes font leur entrée dans l’histoire peu avant de disparaître de la scène internationale. Comme les druides ont imposé un interdit religieux sur l’écriture, il ne reste aucun témoignage de ces deux millénaires d’hégémonie culturelle sur l’Europe[12]. Pas d’épopée héroïque comme dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère. Pas de description grandiose de la naissance des dieux et de leurs exploits comme dans la théogonie d’Hésiode. Pas de liste des grands rois qui resteront à jamais entités anonymes. Cependant une lueur d’espoir naît d’un chaudron d’argent découvert dans une tourbière du Nord de l’Europe. Son déchiffrement permet d’entrapercevoir les croyances de ces peuples oubliés.
LA CULTURE CAMPANIFORME
La richesse des littératures galloise et irlandaise ne peut donner qu’un petit aperçu sur ce qui a été définitivement perdu. Heureusement, il nous reste le chaudron de Gundestrup et le ciel étoilé pour en reconstituer une partie. Seule la chronologie révisée fait coïncider l’émergence de la civilisation celtique avec la présence de la culture campaniforme (2600-1900 av. J.-C.) en Europe. Ce qui permet d’identifier les premiers locuteurs d’une langue celtique avec les porteurs de la culture campaniforme. Ce qui laisse également assez de temps aux druides pour observer les astres sur une longue période et ainsi d’élaborer cette religion raffinée qui est codée sur le chaudron de Gundestrup.
LES PIERRES BLEUES
C’est la culture campaniforme qui a dressé un double cercle de « pierres bleues » à Stonehenge lors de la deuxième phase de construction du monument (Stonehenge II vers -2100/-2000 av. J.-C.). Alors la date de 2260 av. J.-C. prend tout son sens puisque nous sommes non seulement devant un changement d’ère — du Taureau vers le Bélier —, mais également devant un changement de civilisation (langue, mode de vie, religion). Parce que la culture campaniforme est intrusive en Europe de l’Ouest. De récentes études génétiques indiquent qu’en Grande-Bretagne par exemple, la propagation de la culture campaniforme a entrainé le remplacement d’environ 90% du patrimoine génétique britannique en quelques centaines d’années. Les porteurs de cette culture viennent non seulement d’ailleurs, mais ces nouveaux venus remplacent les autochtones.
CONCLUSION
Contrairement de ce que l’on pensait jusqu’à récemment la présence des Celtes en Europe de l’Ouest n’est pas un phénomène récent. On peut résumer les évènements de la façon suivante. Vers le début du IIe millénaire av. J.-C., un peuple appartenant à la grande famille des Indo-Européens envahit l’Europe de l’Ouest à partir des régions bordant la Mer Noire. Il trouve sur place une population bien établie à laquelle il se mêle en lui imposant ses institutions : système à trois classes, caste de guerriers utilisant des chevaux et des armes offensives, inhumation sous un tumulus, mais également sa langue qui est déjà celtique. Le chaudron de Gundestrup indique que la religion de ces envahisseurs s’adapte aux croyances des autochtones en leurs imposant un cadre Indo-Européens. Cependant le contenu de cette religion reprend largement le corpus existant des peuples néolithiques qui sont partis du Croissant fertile quelques millénaires auparavant. C’est pourquoi étudier la religion des druides uniquement dans un cadre Indo-Européens n’est pas suffisant. Cela reviendrais à analyser qu’une seule face d’une monnaie. Or, le chaudron de Gundestrup permet justement d’entrevoir cette face cachée de la religion des Celtes.
©JPS2021
[SAISON 1 ÉPISODE 14]
[ACCUEIL]
Sources :
Pour la chronologie officielle.
Iaroslav Lebedynsky, Les Indo-Européens, Éditions Errance, Paris, 2006.
Bernard Sergent, Les Indo-Européens, Éditions Payot et Rivages, Paris, 1995.
Études générales.
Marcel Otte, La protohistoire, 2e édition, avec les contributions de Mirelle David-Elbiali, Christiane Éluère, Jean-Pierre Mohen, Pierre Noiret, Groupe de Boeck, Bruxelles, 2008.
Jean-Pierre Mohen, Christiane Éluère, L’Europe à l’âge du bronze, Le temps des héros, Découvertes Gallimard, 1999.
Pour la chronologie révisée.
Je me base sur l’excellent travail mené par Patrice Brun, archéologue, professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, qui place l’origine des Celtes dès l’époque de la culture campaniforme. Je pense que l’avenir lui donnera raison, mais seulement dans trente ou quarante ans. Ce n’est que à partir de 2015 que la théorie de la migration des Indo-européens lancée en 1956 par Marija Gimbutas, archéologue d’origine lituanienne, a été acceptée définitivement devant l’évidence des preuves apportées par les études génétiques qui se sont succédées depuis.
Patrice Brun, Le complexe culturel atlantique : entre 1e cristal et la fumée. In OLIVEIRA JORGE S. (ed.) — Existe uma Idade do Bronze atlântico ? Lisbonne : Instituto Português de Arqueologia, p. 40-51, 1998. Consultable sur www.academia.edu
Patrice Brun, L’origine des Celtes. Communautés linguistiques et réseaux sociaux. In VITALI D. (dir.) Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 2 : la Préhistoire des Celtes. Actes de la table ronde de Bologne-Monterenzio, 28-29 mai 2005. Consultable sur www.academia.edu
Patrice Brun, Les Celtes à la lumière de l’archéologie, Archéopages, Paris : INRAP, p. 16-21, 2007. Consultable sur www.academia.edu
Patrice Brun La formation de l’entité celtique : migration ou acculturation. In Archéologie des migrations, actes du colloque de Paris 11/2015. Consultable sur www.academia.edu
Image mise en avant :
Carnyx trouvé dans le sanctuaire gaulois de Tintignac
[1] L’ère du Taureau s’étend entre 4420 et 2260 avant J.-C.
[2] La culture de la Tène tire son nom du site archéologique de La Tène découvert en 1857 à Marin-Epagnier, sur les bords du lac de Neuchâtel en Suisse.
[3] La première mention de ce peuple date du Ve siècle av. J.-C. et se trouve dans les Histoires d’Hérodote (né vers -480, mort vers -425) : « L’Istros (le Danube) prend sa source au pays des Celtes (Κελτοί, Keltoi) près de la ville de Pyrèné et traverse l’Europe qu’il coupe en deux » (Histoires II, 33).
[4] Sauf quelques inscriptions funéraires et votives, des légendes monétaires, des dédicaces, des marques de propriété, des estampilles de potiers, des indications calendaires (Coligny), des invocations sur des plaques en plomb. Tous ces textes utilisent des alphabets étrangers : étrusque, grec et latin.
[5] La culture de Hallstatt tire son nom d’un site archéologique qui se trouve à Hallstatt, dans la région du Salzkammergut, en Autriche.
[6] À partir de la culture d’Unétice puis des Tumulus et des champs d’Urnes, les archéologues distinguent souvent deux sous-ensembles, oriental et occidental qui forment peut-être deux populations distinctes. Les groupes occidentaux de ces différentes cultures sont probablement déjà des Celtes.
[7] La culture d’Unétice tire son nom du site archéologique d’Únětice en République tchèque.
[8] Les incinérations ou les inhumations ne disparaissent jamais totalement. Ainsi lors de la culture des Tumulus l’inhumation sous un tertre est dominante, mais les incinérations représentent une tombe sur six (les restes brulés ne sont pas encore mis dans des urnes) Les incinérations féminines sont deux fois plus nombreuses que les masculines. Lors de la culture des champs d’urnes les tombes à incinérations sont très souvent plates, mais parfois elles sont recouvertes d’un tertre en terre.
[9] La richesse extraordinaire de ces gisements sera connue du monde méditerranéen et en fera les fabuleuses Îles Cassitérides (du grec Κασσίτερος = « étain »).
[10] La date peut varier, ainsi pour la Gaule la conquête romaine est concrète à partir de 50 av J.-C. Pour la Bretagne insulaire à partir de 43 apr. J.-C., sans compter le temps entre la conquête effective et le début de la romanisation qui prend un certain temps.
[11] Les ressources en cuivre sont très inégalement réparties en Europe et plus encore les ressources en étain. Il est encore plus rare que les gisements de cuivre et d’étain (les deux composants du bronze) se localisent l’un à proximité de l’autre. C’est alors c’est le jackpot pour les populations alentours. Or, il y en a six en Europe : les Balkans, l’Erzgebirge (à la frontière de l’Allemagne et de la Tchéquie), l’Étrurie, l’ouest de la péninsule ibérique, l’Armorique et le sud-ouest britannique. L’Erzgebirge fait partie du complexe culturel nord-alpin. Tandis que l’ouest de la péninsule ibérique, l’Armorique et le sud-ouest britannique font partie du complexe culturel atlantique. Ce n’est pas un hasard si les cultures du Wessex et d’Armorique sont parmi les plus riches de leur époque.
[12] L’efficacité des interdits druidique est également démontré par l’absence totale de figuration des divinités durant ces 2300 ans. Un silence qui n’est brisé qu’avec le chaudron de Gundestrup et quelques autres rares artefacts.