LE CHEVAL ANDROCÉPHALE DES CELTES
LES DRUIDES SAISON 2 ANNEXE 27
Le cheval androcéphale des Celtes est un être étrange mi-cheval mi-homme qui se différencie pourtant nettement des centaures grecs.
UN ÊTRE HYBRIDE
Il existe chez les Celtes une créature mi-homme mi-cheval : le cheval androcéphale, c’est-à-dire le cheval à tête humaine. Ce motif est présent sur de nombreuses pièces de monnaies celtiques de l’Antiquité frappées par des peuples celtes établis sur la façade atlantique, surtout en Armorique (Vénètes, Aulerques Cénomans et Trévires). Il orne également un couvercle de cruche retrouvé à Reinheim dans l’ouest de l’Allemagne.
Statuette de cheval à tête humaine entourée de la double feuille de gui qui orne le couvercle de la cruche cérémonielle à bec de la tombe de la princesse de Reinheim, vers 400-450 av. J.-C., Sarre, Allemagne. Source : Venceslas Kruta, L’art des Celtes, Les Éditions Phaidon, Paris, 2015, p.60.
Le cheval androcéphale est un motif exclusivement celtique, doté d’une tête humaine masculine, sans buste ni bras, contrairement au centaure grec. Son sexe est généralement mis en évidence pour symboliser sa virilité. Plus rarement, il est figuré ailé ; c’est le cas chez les Aulerques Cénomans.
Cheval androcéphale ailé sur un statère en or des Cénomans, daté du Ier siècle av. J.-C. Description : cheval androcéphale galopant à droite, conduit par un aurige tenant devant lui un étendard (?), derrière, une roue du char est figurée, sous le cheval, un personnage est à terre. (Wikimedia Commons).
Ce n’est donc pas une créature tirée de la mythologie grecque. Le cheval androcéphale est fréquemment figuré courant vers la droite, sur le revers des pièces de monnaie. Il peut être représenté entouré par différents éléments. Le cheval androcéphale peut tirer un char, il peut renverser un personnage, représenté à terre, sous ses sabots. Parfois cet étrange personnage est ailé. Enfin, le cheval androcéphale peut être guidé dans sa course folle par un aurige qui tient dans ses mains différents objets.
Cheval androcéphale sur un statère frappé par les Andécaves (région d’Angers) daté du Ier siècle avant J.-C. Description : cheval androcéphale galopant à droite, conduit par un aurige étendant la main gauche ; vexillum devant le cheval et un personnage ailé replié sur lui-même entre les jambes du cheval. (Wikimedia Commons).
La signification d’un tel attelage fantastique reste obscure.
LE CONDUCTEUR DES MORTS
Le cheval androcéphale de Reinheim dont la tête est ornée de deux feuilles de gui a été découvert dans le contexte d’une sépulture.
Gui (Viscum album) Planche Flore médicinale de Chaumeton 1828.
On peut avancer avec prudence l’idée que cet étrange cheval tient le rôle de « psychopompe », un animal chargé de porter les âmes des défunts vers l’Autre Monde. Ce rôle est attesté pour le cheval dans de multiples civilisations, notamment chez les Grecs et les Étrusques, où il fait partie du statuaire mortuaire. Le cheval permet de pénétrer dans le monde des défunts, tandis que le gui, appelé le rameau d’or par Virgile dans son Énéide, permet de pénétrer et surtout de ressortir vivant du royaume des morts.
Rejeton du sang des dieux, Troyen fils d’Anchise, facile est la descente à l’Averne : nuit et jour est ouverte la porte du noir Pluton. Mais revenir sur ses pas, sortir et parvenir à l’air d’en haut, c’est la grande affaire, c’est la vraie épreuve[1].
D’après Virgile, il est facile de pénétrer le monde des morts, mais c’est d’en revenir qui est le vrai défi. Le rameau de gui est considéré en quelque sorte comme un laissez-passer pour le royaume des morts. Alors le conducteur du char qui mène le cheval androcéphale renverse-t-il la mort ?
Figurée ici comme un personnage ailé ?
LE RAMEAU D’OR
Sur une autre monnaie le conducteur de char tient une branche dans sa main avec trois rameaux. Sur ces derniers sont figurés trois boules. On peut avancer l’hypothèse qu’il s’agit d’une rameau de gui.
Statère Vénète, Ier siècle av. J.-C., Cheval androcéphale, conduit par un aurige tenant les rênes et une branche dont les rameaux sont terminés par trois points, à laquelle est attaché un étendard carré et frangé. La roue du char est visible. Sous le cheval, un personnage allongé, muni d »une aile déployée, un crochet partant de sa jambe. Source : numisbids.com
Le gui qui reste vert même en hiver est un symbole d’immortalité. Les baies devenues blanches et translucides en décembre se constituent en groupe de trois.
Morphologie des baies de gui. Source : biologie.ens-lyon.fr
Ce qui signifie que non seulement le conducteur du char tient un rameau de gui dans sa main pour pénétrer le royaume des morts, mais il renverse la mort pour en ressortir. Le passage d’une vie vers une autre.
LES DRUIDES ET LA MORT
L’image sur cette monnaie illustre bien la croyance des druides en la survie de l’âme après la mort puisqu’ils prétendent d’après le poète Lucain que la mort n’est que le milieu d’une longue vie. Voir également SAISON 1 ANNEXE 31 Les druides et l’immortalité de l’âme
Vous aussi poètes, vous qui avez par vos louanges conduit à l’éternité les âmes courageuses de ceux qui sont morts au combat, vous qui sans peur avez répandu de nombreux chants, vous les bardes. Et vous druides qui une fois la guerre terminée vous avez repris vos rites barbares et votre sinistre coutume des sacrifices. À vous seuls il a été donné de connaître les dieux, les divinités du ciel, à vous seuls il a été donné de les ignorer. Vous habitez au fond des forêts dans des bois reculés. Pour vous les ombres ne recherchent pas les demeures silencieuses de l’Erèbe ni le blême royaume souterrain de Pluton. Un même souffle dirige nos membres dans un autre monde. Si vous chantez la vérité, la mort est le milieu d’une longue vie. Ils sont donc heureux dans leur erreur ces peuples que regarde la Grande Ourse : la plus grande peur, celle de la mort, ne les accable pas. À cause de cela il y a chez les hommes un esprit enclin à prendre les armes, des âmes capables de mourir et l’idée qu’il est lâche d’épargner une vie qui doit renaître[2].
Comme le mythe est perdu, on ne connaîtra jamais la réelle identité du cheval androcéphale.
LE CHAUDRON DE GUNDESTRUP
Cependant, encore une fois, les informations contenues dans l’iconographie du chaudron de Gundestrup permettent de résoudre une énigme d’apparence insoluble.
Deux personnages principaux sont figurés sur le chaudron d’argent. Deux frères jumeaux qui sont représentés sur pratiquement toutes les plaques extérieures du chaudron.
Voir à ce propos SAISON 1 ÉPISODE 1 Chaudron de Gundestrup : les images
Ils entourent une divinité centrale, masculine ou féminine. Orion est toujours reconnaissable grâce à la présence de son fidèle chien. De son côté, Cernunnos, en tant que Maître des animaux, change souvent d’animal de compagnie. Parfois il est accompagné par un cerf, mais pas toujours. D’autres animaux peuvent devenir son véhicule au sens hindou du terme, c’est-à-dire un animal qui peut symboliser le dieu, être son compagnon ou encore la divinité peut prendre l’apparence de cet animal. Voir également SAISON 2 ANNEXE 2 Dieux celtes et animaux
Le dieu Cernunnos accompagné par ses animaux symboles, le lion qui se détourne du dieu est l’animal réservé à la déesse. Détail du chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré. (Wikimedia Commons).
Ainsi les animaux véhicules du dieu aux bois de cerf sont outre un cervidé, le loup, le taureau, le serpent. Auxquels s’ajoute sur une des plaques du chaudron de Gundestrup, un cheval, ailé.
De l’autre côté de la scène Orion est restitué de façon classique avec son chien. Tandis que Cernunnos est du côté droit avec un cheval ailé à ses pieds qui fait figure dans ce cas d’animal symbole du dieu.
Cernunnos et le cheval ailé. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet
Cernunnos étant le maître des transformations, il peut revêtir l’apparence d’un de ses animaux fétiches. C’est pourquoi le cheval androcéphale n’est qu’un des avatars du dieu aux bois de cerf. Un avatar qui prend en compte l’aspect psychopompe du dieu. Un détail qui va dans le sens de cette interprétation vient du fait que le cheval androcéphale est parfois ailé comme le cheval du chaudron de Gundestrup.
CONCLUSION
Si l’identité du cheval androcéphale permet d’être établie grâce au chaudron d’argent, il n’en va pas de même pour le mythe qui met en scène cet étrange quadrupède. Mythe qui semble perdu à tout jamais. En tous cas, Cernunnos sous l’apparence d’un cheval avec une tête humaine semble être l’allié d’un personnage — un héros ? — qui pénètre l’Autre Monde et qui grâce au rameau de gui peut ressortir indemne de l’Au-delà en renversant un autre personnage, une sorte d’Ange de la mort avant l’heure, gardien du seuil.
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NOTES :
[1] Vigile, L’Énéide, Chant VI, 124-148, Traduction Paul Veyne, Albin Michel / Les Belles Lettres, Paris, 2012.
[2] Lucain, I, 447 – 462.
Voir également : Cheval androcéphale — Wikipédia (wikipedia.org)
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