MONSÉGUR
LE SECRET DES CATHARES
Le 16 mars 1244, au château de Monségur, plus de deux cent Cathares refusant de renier leur foi, sont brûlées vifs sur un bûcher collectif. Cependant la nuit précédant la date fatidique quatre hommes se seraient échappés de la forteresse assiégée en se laissant glisser à l’aide de cordes, le long des parois vertigineuses. Emportant avec eux le trésor des cathares.
Mais qu’était donc ce fameux trésor de Montségur : pièces d’or, pierres précieuses, livres saints, objets du culte ou le plus précieux d’entre tous… le Graal, la coupe ayant contenu le sang du Christ ?
Château de Montségur après une montée éreintante. ©MW2023
PETIT LEXIQUE
Quelques termes qui traverseront l’article.
Albigeois : terme désignant les hérétiques du Midi de la France. L’hérésie cathare était surtout implantée en Languedoc notamment dans les vicomtés de Carcassonne, d’Albi et de Béziers.
Bonshommes et les Bonnes Femmes sont les appellations usuelles des prédicateurs cathares. Ils sont les seuls à pouvoir donner le sacrement du consolamentum.
Bogomiles : le bogomilisme est une religion dualiste née au Xe siècle, dont le nom vient du pope bulgare Bogomil. Elle s’est développée en Bulgarie, puis en Serbie et ensuite en Bosnie. L’emploi du terme Boulgres (du bas latin bulgarus « bulgare ») pour désigner les Cathares a laissé penser que le bogomilisme a été à l’origine du mouvement cathare. Les Bogomiles croient en un dieu Père et ses deux fils. Le Père règne sur les régions supercosmiques, le Christ, fils cadet sur les cieux, l’aîné du nom de Satanaël (« qui s’oppose à dieux ») règne sur notre monde. Ce « fils ainé de dieu » a été chassé du ciel ainsi que d’autres anges qui avait participé à sa révolte contre dieu. Certains des groupes bogomiles pensent que les deux fils sont égaux en les vénérant tous les deux. Le cadet par affection, l’aîné, le « prince de ce monde » par crainte afin qu’il ne leur nuise pas.
Cathare : religion et adepte du catharisme. Considérée comme une hérésie par le clergé catholique. Le terme cathare vient du grec katharós « pur ». Expression injurieuse inventée vers 1165 par le clerc rhénan Eckbert de Schönau pour désigner des hérétiques soupçonnés de manichéisme (voir à ce mot). Ils sont également appelés Albigeois, Bonshommes, patarins ou encore boulgres (qui rappelle l’origine bulgare, balkanique et orientale de la religion). Ce n’est qu’au XXe siècle que les mots cathare et catharisme se sont substitués à toutes les autres dénominations.
Consolament : Terme occitan qui signifie « consolation » (consolamentum en latin). Les Cathares rejetaient tous les sacrements à l’exception du consolamentum. Sacrement suprême des Cathares. Suivant les circonstances, il peut être considéré comme un baptême, une pénitence, une ordination ou une extrême onction dans les derniers moments de la vie de l’adepte. Ce sacrement efface toutes les fautes passées et garantit la vie éternelle.
Endura : sorte de suicide mystique consistant à se laisser mourir de faim et de froid.
Faydit : chevaliers et seigneurs languedociens qui se sont retrouvés dépossédés de leurs fiefs et de leurs terres lors de la croisade des albigeois.
Inquisition : (du latin inquisitio, « enquête », « recherche »), juridiction spécialisée (autrement dit un tribunal) crée au XIIe siècle par l’Église catholique, afin de combattre les hérésies. L’inquisition pouvait condamner à diverses peines : peines spirituelles (prières, pénitences), amendes, confiscation des biens ou peine de mort pour l’accusé qui est considéré relaps (c’est-à-dire retombé dans l’hérésie).
Manichéisme : au IIIe siècle de notre ère, Mani ou Manès (216-277), un iranien né en Mésopotamie, fondateur du manichéisme, propage une religion dérivée à la fois du mazdéisme (religion officielle de l’empire perse) et du christianisme. Le manichéisme est influencé par la gnose, une doctrine ésotérique en marge du christianisme. Il suppose l’existence de deux principes opposés à l’origine du monde : un Dieu bon, qui a créé le monde spirituel (les anges et les âmes) et un démon, qui a forgé le monde matériel (les corps). L’âme humaine, étincelle divine, est prisonnière du corps. Comme le monde est considéré comme mauvais, il importe de s’en détacher par la quête de la pureté absolue.
Parfaits et Parfaites : ceux qui avaient reçu le consolamentum. Les Parfaits sont ceux qui était parvenus à un haut degré d’initiation et de « pureté » de vie. Pratiquant l’austérité, l’abstinence sexuelle, le végétarisme, ne pouvant pas porter d’armes. Ils se livraient à des méditations et des prédications. D’après la croyance cathare, ils étaient prêts à retourner au royaume de Dieu, sans devoir se réincarner une nouvelle fois pour se purifier. Se libérer enfin de cette prison que représentait pour eux leur corps, une création du mal.
Patarins : il existe de nombreuses hypothèses pour expliquer ce nom, patarin serait dérivé du nom de la ville de Patara en Asie Mineure, ou de la Pattaria (quartier des fripiers) de Milan. C’est dans ce quartier que vivaient les membres de la Pataria, mouvement religieux de la 2e moitié du XIe siècle, qui luttait contre les vices du clergé de l’époque, en particulier le mariage des prêtres et la simonie[1]. Une autre hypothèse fait dériver cette appellation des hérétiques de patère, une coupe antique qui servait soit pour boire, soit pour verser des libations. Ce qui ferait des Patarins les « possesseurs de la Patère », une coupe sacrée. Ce qui relierait directement les Patarins au Graal.
LA CROISADE CONTRE LES ALBIGEOIS
La chute de Montségur n’est qu’un épisode tragique de la terrible croisade menée contre les Cathares. C’est en Orient que commence leur l’histoire. Partie de Perse en passant par les Balkans cette doctrine religieuse s’étend peu à peu vers l’Occident. Une religion fondée sur le dualisme, une opposition sans concession entre le bien, représenté par le monde spirituel, et le mal dont émane le monde matériel. Pour s’échapper de ce monde mauvais, création du démon, l’adepte s’astreint à une vie chaste et austère. Au XIIe siècle, une église est fondée dans le sud de la France avec, inspirée sur le modèle catholique, quatre évêques qui siègent à Albi, Toulouse, Agen, et Carcassonne. Des prêtres, les « Parfaits », répandent leurs croyances parmi les populations du sud de la France en menant une vie exemplaire, prenant notamment soin des malades et des pauvres. Ce qui leur attire la sympathie de la population. Situation intolérable pour l’Élise catholique. En 1208, le pape Innocent III proclame la croisade contre l’hérésie conduite par Simon de Montfort, un soldat redoutable.
Le pape innocent III excommunie les Albigeois et appelle à la croisade contre les hérétiques. (Extrait des Grandes Chroniques de France, manuscrit de 1335, British Library, Londres.
LE SOLDAT DE DIEU
Figure principale de la croisade contre les Albigeois, Simon IV de Montfort (né entre 1164 et 1175 – 1218), est issu d’une famille de barons d’Île-de-France, seigneur de Montfort (aujourd’hui Montfort-l’Amaury) de 1188 à 1218, comte de Leicester entre 1206 et 1207, vicomte d’Albi, de Béziers et de Carcassonne de 1213 à 1218, comte de Toulouse de 1215 à 1218. Les chroniqueurs de l’époque louent sa foi profonde, sa piété et son attachement indéfectible à l’Église. Simon de Montfort participe en 1202 au début de la quatrième croisade, mais refuse de prendre part au sac de Constantinople et rentre rapidement en Île-de-France, ramenant avec lui un morceau de la Sainte-Croix.
Sceau de Simon de Montfort en 1911, à cheval et sonnant le cor. Moulage Archives Nationales.
L’armée des croisés, forte d’environ 20 000 hommes, est responsable du sac de Béziers et du massacre de plusieurs milliers d’habitants de la ville, n’épargnant ni les femmes ni les enfants. C’est au cours de cette tuerie que le légat pontifical Arnaud Amaury, archevêque de Narbonne, aurait prononcé cette sentence en réponse à un chevalier qui lui demandait comment distinguer les hérétiques des catholiques : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Après la capitulation de Carcassonne et la bataille de Muret, Simon de Montfort conquiert tout le Languedoc, exterminant les hérétiques.
La bataille de Muret, au cours de laquelle se sont affrontés Raymond VI, comte de Toulouse, et ses alliés Raymond-Roger, comte de Foix ; Pierre le Catholique, roi d’Aragon, comte de Barcelone et seigneur de Montpellier ; et Bernard IV de Comminges, et les troupes croisées commandées par Simon de Montfort. D’après une enluminure du XIVe siècle (Grandes Chroniques de France, BNF, Ms français 2813, fol. 252v.).
LE REBELLE
Raimond-Roger Trencavel (né en 1185 et mort le 10 novembre 1209 à l’âge de 24 ans) est le héros et en même temps l’une des premières victimes de la croisade contre les Albigeois. Neveu de Raymond VI, comte de Toulouse, il est vicomte d’Albi, d’Ambialet, de Béziers, de Carcassonne et du Razès. Trencavel n’est pas cathare, mais, éduqué par Bertrand de Saissac, dignitaire cathare, il est un ami des Parfaits, à qui il accorde bienveillance et protection. Accusés par le pape Innocent III de défendre l’hérésie cathare, le comte de Toulouse et son neveu seront frappés d’excommunication.
Avers du premier sceau de Trencavel, 1248. La tête du cheval et une partie de la légende, manquantes sur l’empreinte originale, ont été restituées à l’aide durevers par montage photographique. (Moulage : Arch. nat. Paris). Source : hal.science
En 1209, les croisés se rassemblent à Lyon et commencent à marcher vers le Sud. En juin, pour écarter la menace de ses États, Raymond de Toulouse, fait acte de contrition à Valence et promet de lutter contre l’hérésie. Son excommunication est levée, il se joint aux croisés. Trahi par son oncle Raymond VI de Toulouse, Trencavel se retrouve seul aux côtés des Cathares. En juillet 1209, les croisés pillent et mettent à sac la ville de Béziers. Raymond-Roger Trencavel est contraint de se replier sur Carcassonne.
La ville est assiégée et un premier assaut échoue. Cependant, la chaleur, le manque d’eau et de trop nombreux réfugiés incitent le vicomte à négocier la reddition. Un accord est conclu le 15 août, Carcassonne capitule, Trencavel se livre comme otage et ses habitants sont contraint de quitter de la ville.
Les habitants de Carcassonne expulsés en 1209, miniature extraite d’un manuscrit des Grandes Chroniques de France. (Wikimedia Commons).
Raimond-Roger Trencavel meurt peu après dans sa prison de la cité de Carcassonne, vraisemblablement d’une dysenterie, à l’âge de 24 ans. Selon la rumeur, c’est Simon de Montfort qui a pris possession des territoires de Trencavel qui l’aurait fait empoisonner.
L’INQUISITION
La lutte contre les Cathares atteint son point culminant après 1233 lorsque les dominicains se voient confiés la direction des tribunaux inquisitoriaux et font régner la terreur parmi les diocèses méridionaux, n’hésitant pas à brûler les cathares, favorisant les dénonciations, allant même jusqu’à déterrer les morts soupçonnés d’hérésie pour brûler leurs cadavres sur un bûcher.
Hérétiques mourant sur le bûcher vu par un enlumineur du XVe siècle. Bibliothèque municipale de Toulouse.
La croisade s’achève avec la chute de la forteresse de Montségur en 1244, un des derniers refuges des hérétiques.
CONSÉQUENCE DE LA CROISADE
La croisade des albigeois engendre deux conséquences majeures pour le Languedoc.
Sur le plan religieux avec l’éradication du catharisme dans le Midi de la France et la création de l’Inquisition médiévale de sinistre mémoire.
Sur le plan politique, la croisade déclenchée par la papauté pour des raisons religieuses s’est transformée en guerre de conquête. Le comté de Toulouse et les vicomtés de Béziers, de Carcassonne et d’Albi finissent par être rattachés au royaume de France.
LA CHUTE DU CHÂTEAU DE MONSÉGUR
La forteresse de Monségur, véritable nid d’aigle, se dresse sur un pog[2] aux pentes escarpées à 1 207 mètres d’altitude.
Château de Montségur, vue aérienne en 2005. (Wikimedia Commons).
Du sommet, la vue est imprenable dans toutes les directions, ce qui justifie son occupation très ancienne. La disposition des lieux fait de cette montagne une forteresse naturelle aux redoutables parois verticales.
LE SYSTÈME DÉFENSIF DU CHÂTEAU
Le flanc sud-ouest, le plus facilement accessible, est barré de trois rangée de murailles. Un poste de guet fortifié a été aménagé à l’extrémité du pog, au sommet du Roc de la Tour. Plus près du château se trouve un système défensif appelé improprement barbacane pour interdire aux assaillants l’accès à la porte sud du château. Celle-ci, au seuil surélevé était défendue par une galerie de bois en surplomb, accrochée en haut de la muraille. Les murs du château constituent l’ultime rempart. Trois escaliers permettent d’accéder au chemin de ronde. Le flanc est du château a été renforcé par des murailles mesurant plus de quatre mètres d’épaisseur. Au pied de la forteresse s’étendait un petit village avec quelques habitations.
Plan d’ensemble de la forteresse et des vestiges du moyen âge. Source : belcaire.over-blog.com
Les aménagements défensifs du château renforcent l’impression qu’inspire son nom, Montségur (mons securus en latin, mont segur en occitan) le « Mont Sûr ». À partir de 1233 Montségur devient le siège de l’église cathare.
LE SIÈGE DU CHÂTEAU
Dans la nuit du 28 au 29 mai 1242, des inquisiteurs particulièrement fanatiques sont massacrés à Avignonet par une soixantaine d’hommes issus de la garnison de Montségur. Au mois de mai 1243, sur l’ordre de Blanche de Castille[3] et du roi Louis IX (Saint Louis), environ 6000 hommes conduits par le sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis, de l’archevêque de Narbonne Pierre Amiel et de l’inquisiteur Ferrer prennent position au pied du pog. Le décompte des forces en présence joue en défaveurs des assiégées. La garnison défendant le château ne compte que 150 hommes dont une quinzaine de chevaliers et leurs écuyers pour une population totale de 500 personnes encadrés par l’évêque cathare de Toulouse Bertrand Marti et par le chevalier faydit, Pierre-Roger de Mirepoix, commandant de la garnison. Malgré leur écrasante supériorité numérique, les assaillants ne parviennent pas à prendre la citadelle et le siège du château est mis en place. Pour les croisées, il est impossible d’isoler la forteresse hermétiquement du fait de sa situation dans un paysage montagneux très accidentée. Ce qui fait que des messages, du ravitaillement et même des renforts peuvent être acheminés en permanence à travers les lignes ennemies. Dix mois durant, les défenseurs repoussent tous les assauts. Au début de l’hiver 1243, Hugues des Arcis fait appel à des mercenaires gascons, d’excellents montagnards qui de nuit s’emparent du poste de guet du Roc de la Tour située à l’extrémité oriental du pog après avoir égorgé les défenseurs. Un trébuchet est alors installé dans le poste de guet qui bombarde sans relâche la position des assiégés, comme en témoignent les nombreux boulets de pierre taillée sur place (entre 23 et 78 kg) retrouvés sur le site.
Utilisation de trébuchets lors du siège de La Rochelle en 1224. Source : www.chateaucalmont.org
Le siège dure encore deux longs mois au cœur d’un hiver rigoureux. Les combats sont meurtriers. Les conditions de vies sont toujours plus difficiles et les vivres commencent à manquer. Lorsque tout espoir d’une assistance armée est perdu, Les assiégés négocient leur reddition.
LA REDDITION DES CATHARES
Le 1er mars 1244, Pierre-Roger de Mirepoix, chef de la garnison de Montségur, se voit contraint de négocier la reddition de la place forte après un blocus de dix mois. Les conditions en sont les suivantes :
Tous ceux qui se rendront auront la vie sauve s’ils acceptent une confession sincère de leurs fautes. Les participants à l’expédition d’Avignonet seront amnistiés.
Les Parfaits qui renieront leur foi seront sauvés. Dans le cas contraire, ils seront livrés au bûcher.
Une trêve de quinze jours est accordée aux défenseurs qui devront se rendre le 16 mars.
POURQUOI UNE TRÊVE ?
On a avancé l’idée que les cathares voulaient célébrer une dernière fois une fête solaire. Dans le calendrier julien qui avait cours à cette époque l’équinoxe de printemps a eu lieu le 15 mars 1244. Ont-ils fêté l’équinoxe de printemps ? Mais l’équinoxe n’est pas le solstice. C’est lors du solstice d’été que les rayons de soleil traversent de part en part les archères du donjon de Montségur.
On peut également avancer l’hypothèse que les Cathares se sont spirituellement préparés à mourir et pour recevoir le consolamentum. Car les Cathares ont le choix : soit abjurer leur foi, soit périr par le feu. À la date fatidique, aucun Cathare n’a renoncé à sa foi et même une vingtaine de combattants catholiques se sont convertis in extremis, n’ignorant pas le sort qui leur est réservé.
LE BÛCHER
Le 16 mars 1244, les occupants de Montségur quittent le château. Précédés par Bertrand Marti, leur évêque, plus de deux cent cathares descendent de la montagne en se tenant par la main. Un immense bûcher les attend. Les hérétiques s’y précipitent en chantant. Leurs corps réduits en cendres donnent au lieu son nom sinistre : le Prat del Cremats « le champ des brûlés ».
Croisade contre les Albigeois – Les derniers défenseurs de Montségur brûlés en 1244 – Gravure d’Émile Antoine Bayard. Private Collection / bridgemanimages.com
La mort sur le bûcher de plus de deux cent Cathares fait définitivement entrer Montségur dans l’histoire et… la légende.
LE TRÉSOR ET SES MYSTÈRES
En réalité, il y a eu deux trésors à Montségur. Le premier est composé « d’or et d’argent et d’une grande quantité de monnaie » qui doit être acheminé vers l’Italie. Aux environs de Noël 1243, deux cathares, le parfait Mathieu et le diacre Bonnet, parviennent à fuir Montségur se faufilant entre les lignes ennemies. Ils s’embarquent en bateau à Port-la-Nouvelle pour rejoindre Menton puis le trésor est acheminé à Crémone en Lombardie pour se réfugier auprès d’une importante communauté cathare habitant cette ville.
C’est le sort du second qui nous intéresse ici. Dans la nuit qui précède la reddition du 16 mars, quatre parfaits s’échappent discrètement de la forteresse assiégée en laissant glisser, à l’aide de cordes, le long des parois vertigineuses emportant avec eux le trésor des Cathares. Des textes hérétiques et des pièces d’or et d’argent. Or les tractations entre les croisés et les défenseurs de Montségur vont être menée sous la garantie de Ramon d’Aniort seigneur de la région de Rennes-le-Château. Après la fuite des Cathares, on allume un feu au sommet du Bidorta pour avertir les assiégés de Montségur que le trésor était en lieu sûr. Or ce feu a été allumé par un nommé Escot de Belcaire, envoyé de Ramon d’Aniort. La famille d’Aniort a combattu aux côtés des Cathares contre Simon de Montfort puis ils ont été excommuniés et ont été forcé de remettre leurs possessions entre les mains des croisés, mais ensuite ils font l’objet d’une curieuse indulgence de la part du roi Louis IX, sous l’influence de Blanche de Castille. Leur excommunication est rapidement levée et leurs biens leur sont en partie restitués, leur château n’est finalement pas rasé. Ramon d’Aniort est même reçu par le roi Louis IX qui lui manifeste des égards surprenants, lui un rebelle et un allié des hérétiques[4].
Ramon d’Aniort a-t-il joué un double jeu en aidant les Cathares ? On peut même avancer l’hypothèse que les quatre fuyards ont trouvé refuge sur ses terres dans le Razès. C’est dans les années1880 que le curé de Rennes-le-Château a trouvé un fabuleux trésor dans son église. Le trésor des Cathares ?
Il y a un nom qui revient souvent dans l’affaire cathare, c’est le Razès. Raimond-Roger Trencavel est vicomte du Razès. Ramon d’Aniort est un seigneur avec des terres dans le Razès. Le nom du Razès provient de l’évolution d’un ancien Rhedae, qui lui-même vient du nom d’un peuple gaulois, les Rhedones et leur nom s’explique par le gaulois redo– qui signifie « aller à cheval / voyager / char », et pourrait se traduire par « les conducteurs de chars ». Le mot gaulois reda signifie « char »[5] et Redae ou Reddae pourrait signifier la cité du chariot. Or Reddea est à l’origine du nom du village de Rennes-le-Château.
Voir à ce propos Le mystère de Rennes-le-Château
Le trésor des Cathares comporte, comme toutes les histoires de trésors mythique, une part de mystère et d’incertitude qui ouvre la voie au rêve. Et le rêve est important…
LE GRAAL
Pour d’autres passionnés par la légende cathare, le véritable trésor de Montségur n’est pas un trésor monétaire, mais le Graal, la coupe dans laquelle Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ. Voir SAISON 2 ANNEXE 13 Les différents aspects du Graal
Les Cathares ont également été nommés les « Patarins », il existe de nombreuses hypothèses pour expliquer ce nom, l’une d’elle fait dériver cette appellation de patère, une coupe antique qui servait soit pour boire, soit pour verser des libations. Ce qui ferait des Patarins les « possesseurs de la Patère ». Cette Patère ne serait-elle pas le Graal ?
Joseph d’Arimathie, agenouillé devant la Vierge Marie et l’apôtre Jean, recueille le sang du Christ dans le Saint Graal, miniature du 13e siècle tirée du Livre de Messire Lancelot du Lac de Gautier de Map. © Bibliothèque nationale de France
Ce vase sacré, signe de la présence divine, est le but de la Quête menée par les chevaliers de la Table ronde. Source de nombreux récits au Moyen-Âge, dont celui de Chrétien de Troyes, considéré comme le fondateur de la littérature arthurienne qui est le premier à évoquer le nom du Graal dans son roman Perceval ou le Conte du Graal. Cependant le Graal des Cathares est plutôt à rattacher au roman Parzival de Wolfram von Eschenbach, poète allemand qui emprunte, outre les sources celtiques utilisées par Chrétien de Troyes, aux traditions orientales qui confère à son texte un aspect profondément ésotérique, alchimique et manichéen.
Représentation de Wolfram von Eschenbach, Codex Manesse, 1305-1315. (Wikimedia Commons).
Le Graal de Wolfram von Eschenbach est une pierre tombée du ciel[6], que l’on a identifiée à l’émeraude tombée du front de Lucifer[7], lors de la chute des anges après leur rébellion contre Dieu. Outre le fait qu’ils sont quasi contemporains, il y a quelques points communs entre les Cathares et le roman du Graal de Wolfram von Eschenbach. Une recherche de la pureté absolue, et une origine « iranienne » commune qui se reflète dans les motifs qui constellent le roman Parzival. Ce Graal, gardé par des Templeisen identifiés aux Templiers, est conservé dans le château de Munsalvasche « Montsalvage » que certains n’ont pas hésiter à identifier au château de Montségur[8]. Notamment un universitaire allemand du nom d’Otto Rahn.
LE GRAAL D’OTTO RAHN
Otto Rahn (1904-1939), est un écrivain allemand, archéologue amateur[9] et officier de la SS. Il est l’auteur de deux ouvrages consacrés à la légende du Graal et à la croisade contre les Albigeois, Croisade contre le Graal (1933) et La Cour de Lucifer (1937) avec lesquels il cherche à prouver l’origine aryenne du Graal. Rahn oppose à la version communément admise qui assimile le Graal à la coupe dans laquelle fut recueilli le sang du Christ une autre version dans laquelle le Graal est un livre-pierre ou Table d’émeraude inspiré de la légende orientale transmise par Wolfram von Eschenbach dans son œuvre Parsifal. Pour connaître les différents aspects du Graal voir SAISON 2 ANNEXE 13 Le Graal
Otto Rahn et sa mère dans les jardins des « marronniers ». À noter le double S sur le pull d’Otto Rahn. Photo datant de 1930-31-32. Source : Christian Bernadac, Le mystère Otto Rahn, , Éditions France-Empire, 1978.
MONSÉGUR LE CHÂTEAU DU GRAAL
Otto Rahn s’installe en 1931 en Ariège et prépare un ouvrage sur le catharisme, tout en veillant au développement d’une hôtel qu’il prend en gérance, les « marronniers ». Les journalistes régionaux et le service de contre-espionnage français s’intéressent a ce « curieux chercheurs ». Otto Rahn croyait fermement pouvoir localiser le Graal dans certains secteurs des Pyrénées, outre Monségur, il entreprit des recherches dans les grottes et cavernes du Sabarthès. Cependant son hôtel est déclaré en faillite par le Tribunal de Commerce de Foix et Otto Rahn échappe à l’emprisonnement en quittant la France. Plus tard, dans son livre Croisade contre le Graal, il affirme pour des raisons étymologiques que Monségur est le légendaire château du Graal.
AU SERVICE DU REICH
Officiellement il entre dans la Schutzstaffel (SS) en 1936 comme archéologue pour pouvoir effectuer ses recherches sur le catharisme. Pourtant des photos de lui, datant du début des années 30, le montrent arborant un énorme double S sur son pull-over (voir photo). Il est incorporé à l’état-major privé du Reichsführer SS Heinrich Himmler, et entretient d’excellentes relations avec le chef d’état-major d’Himmler, Karl Wolff. Sa progression rapide dans la hiérarchie SS l’amène au grade de Obersturmführer. Bien plus que Hitler, c’est Himmler qui était féru d’occultisme.
UNE MORT MYSTÉRIEUSE
En 1939, Otto Rahn meurt dans des circonstances mystérieuses « dans une tempête de neige en montagne ». Il se serait donné la mort en absorbant une dose de cyanure au sommet d’une montagne de Kufstein. Son corps aurait été retrouvé congelé, le , sur le glacier du massif de l’Empereur. Suicide, assassinat (à cause de ses origines juives ?) ou fausse mort pour réapparaitre sous une autre identité ? Certains ont avancé l’idée d’un suicide selon le rite cathare de l’Endura. D’autres pensent qu’il a mené sous une autre identité une carrière au sein de la SS en tant que Rudolf Rahn, agent secret et diplomate du Reich au Liban, en Italie, à Paris et au Moyen-Orient. Ce Rudolf Rahn étant sans doute le frère cadet d’Otto Rahn, ce qui explique la confusion entre les deux.
Le parcours d’Otto Rahn montre que l’intérêt des nazis pour le Graal n’est pas une invention d’Hollywood (notamment Indiana Jones et la dernière croisade).
L’APRÈS MONTSÉGUR
Le bûcher de Montségur n’aura pas réussi à faire disparaître l’hérésie cathare et d’autres forteresses résisteront, à l’exemple des châteaux de Quéribus et de Niort qui tomberont finalement en 1255 aux mains des croisés.
Château de Quéribus. (Wikimedia Commons).
LE DERNIER CATHARE
C’est en 1321, devant le château de Villerouge-Termenes, que périt Guilhem Bélibaste le dernier « bon homme » ou « Parfait » occitan connu. Il refusa d’abjurer la foi cathare et fut brûlé vif.
LE TEMPLE DU SOLEIL
L’architecture du château présente un aspect intéressant et pour le moins étrange. Ainsi, lors du solstice d’été, le château est traversé de part en part par les rayons du soleil.
Le phénomène lumineux du solstice d’été dans le donjon du château de Montségur. Source : http://terrescathares.overblog.com/
Le donjon orienté sous un angle insolite par rapport à l’enceinte permet aux rayons du soleil levant de s’aligner dans l’axe des seules quatre archères de part et d’autre de la salle principale. Monségur, un temple consacré au culte du soleil ?
Il faut dire que de nombreux édifices tiennent compte dans leur architecture du lever solticiel. De Stonehenge à la cathédrale de Chartres, les exemples sont nombreux.
LE CHÂTEAU ET LES ÉTOILES
Un autre problème concerne le plan du château, car Montségur est davantage défendu par l’escarpement et les précipices que par son architecture militaire. Ainsi l’édifice ne couvre pas tout le sommet du pog. Quelques mètres au nord et au sud ne sont pas inclus dans le système de protection. Si l’ensemble avait été utilisé, comme à Peyrepertuse et Quéribus, avec des murailles prolongeant les à-pics, le château aurait été bien mieux protégé. Peut-être l’aspect militaire du château n’était pas le plus important. Et l’on peut faire remarquer que le plan du château reproduit la constellation du Bouvier (en latin Bootes) tandis que le donjon occupe l’emplacement de l’étoile Arcturus, l’étoile la plus brillante de la constellation. Simple coïncidence ?
Le plan du château de Montségur offre une ressemblance avec la constellation du Bouvier (Bootes). Source : www.cathares.org
La constellation du Bouvier. (Wikimedia Commons).
LES CROYANCES DES CATHARES
Les Cathares pratiquent une religion dualiste qui a subi une longue maturation et dont le dogme n’est toujours pas fixé définitivement lorsque commence la croisade contre eux. Suivants les différents courants de pensées qui traversent le catharisme, il peut y avoir en gros deux tendances : soit un dualisme absolu soit un dualisme mitigé.
Un dualisme absolu signifie qu’il y a une confrontation entre deux principes antagonistes. L’un représente le bien, l’autre le mal. Dans l’ancienne religion des Perses, le mazdéisme, le principe du bien est représenté par le dieu Ahura Mazda (ou Ormazd) et celui du mal par le dieu Ahriman (ou Angra Manyu). Il s’agit d’une lutte sans merci entre deux dieux au cours de laquelle chacun des deux adversaires prend successivement l’avantage. Certaines périodes de l’histoire universelle sont sous la coupe du mal, d’autres sous celle du bien. Ce qui explique l’imperfection du monde. Ahriman est l’égal du dieu du bien d’Ahura Mazda, son frère jumeau. Cependant à la fin des temps, Ahriman sera vaincu et retournera au néant, laissant la victoire à Ahura Mazda. Le mazdéisme est un dualisme absolu puisqu’il a deux dieux, deux jumeaux, qui se partagent la création.
Le dualisme mitigé se retrouve également dans l’ancienne Perse à travers une variante du mazdéisme, le zervanisme. Ahura Mazda et Ahriman sont égaux. L’un est le principe du bien et de la Lumière, l’autre le principe du mal et des Ténèbres. Ces deux personnages divins sont en conflit continuel, ce qui explique les turbulences du monde. La grande différence entre le mazdéisme et le zervanisme est que Ahura Mazda et Ahriman ne sont pas des dieux suprêmes. Ils sont l’émanation d’un principe supérieur : Zurvan (« Temps » en langue zend). Le zervanisme est ainsi un dualisme relatif puisqu’il place un Principe, le Temps, Zurvan, au-dessus des dieux Ahura Mazda et Ahriman, ses fils jumeaux.
Ce sont exactement ces deux courants que l’on retrouve dans le catharisme qui se divise en dualisme absolu et dualisme mitigé.
LE CATHARISME
Le premier courant prône que deux dieux se partagent la création. Le Dieu bon est créateur du monde spirituel (les anges et les âmes). Le Dieu mauvais est la source de tout mal, dont le monde matériel. Les hommes sont des anges déchus, enfermés dans un véhicule matériel, leurs corps. Les âmes sont sauvées en brisant le cycle des réincarnations
Le dualisme mitigé repose sur l’idée que Dieu, infiniment bon, ne peut pas être à l’origine du mal. Le diable ou Lucifer (dont le nom signifie « porteur de lumière ») ne serait qu’une création de Dieu qui se serait corrompu lui-même, en utilisant son libre arbitre pour se révolter contre Dieu. Ce qui fait que l’homme est libre de faire le bien ou le mal. De ses actions, il est jugé et obtient le paradis ou la damnation.
LA RELIGION DE ÉTOILES ET LES CATHARES
Le catharisme, comme les autres religions dualistes ne sont en fait que des produits dérivés de la Religion des Étoiles, dans lesquelles les jumeaux divins, simples concurrents pour la royauté suprême qu’ils se partagent à tour de rôle, sont devenus des ennemis irréconciliables. Voir à ce propos SAISON 2 ANNEXE 23 La Religion des Étoiles
PETIT APARTÉ
Je suis allé à Montségur pour la première fois en 1997 et je me souviens que près de l’entrée du château il y avait un pentagramme et divers signes ésotériques dessinés par terre ainsi que des bougies consumées presque entièrement, reliques d’étranges cérémonies. Preuves que les visites n’avaient pas toutes lieues durant les horaires d’ouvertures. (Dommage que je n’ai plus les photos).
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[ACCUEIL]
SOURCES :
Christian Bernadac, Le mystère Otto Rahn, Éditions France-Empire, Paris, 1978.
Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Éditions errance, Paris, 2001.
Michel Lamy, Jules Verne, Initié et initiateur, Éditions Payot & Rivages, Paris, 1994.
François de Lannois, La croisade albigeoise, Éditions Ouest-France, Aix-en Provence, 2013.
Jean Markale, Le Graal, Éditions Albin Michel, Paris, 1996.
Jean Markale, Montségur et l’énigme cathare, Éditions Pygmalion/Gérard Watelet, Paris, 1986.
Georges Serrus, Montségur, Éditions Loubatières, Toulouse, 1994.
Dictionnaire des religions, Presses Universitaires de France, Paris, 2007.
Les grandes énigmes des trésors perdus, Éditions Famot, Genève, 1974.
Quelques sites internet :
Les cathares – L’Histoire de France (histoire-france.net)
1208 à 1244 – Les Cathares – Herodote.net
Dictionnaire du catharisme | Lexique (cathares.org)
NOTES :
[1] Simonie : (latin ecclésiastique simonia, du nom de Simon le Magicien). Trafic des choses saintes ; vente ou achat de biens spirituels, de charges ecclésiastiques. (Larousse).
[2] Sommet, pic d’une petite montagne ou d’une colline.
[3] Blanche de Castille a laissé un curieux souvenir dans la mémoire populaire des pays cathares, ouu un mystérieux trésor lui est attribué.
[4] Jean Markale, Montségur et l’énigme cathare, Les Éditions Pygmalion/Gérard Watelet, Paris, 1986, pp. 98-99. Ceci reste une hypothèse, d’autres sources montrent que Ramon d’Aniort ou Raymond de Niort faisait partie des cathares qui sont montés sur le bûcher de Montségur. En tous cas, la forteresse de la famille d’Aniort ou Niort a été le dernier refuge des Cathares lors de la croisade contre les albigeois avec le château de Niort qui appartenait au frère ainé de Ramon, Géraud de Niort.
[5] Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Éditions errance, Paris, 2001.
[6] Wolfram von Eschenbach donne le nom de lapsit exillis à cette pierre. Ce qu’il faut corriger en lapis (pierre) exillis. Plusieurs interprétations sont possibles, le terme est proche de lapis elixir, la pierre philosophale ou une déformation de lapis e coelis « pierre tombée des cieux ».
[7] Le Graal aurait été taillé en forme de vase dans une émeraude tombée du front de Lucifer.
[8] Montsalvage peut être interprété de deux manière soit « Mont Sauvage » soit Mont du Salut », tandis que Monségur est un « Mont Sûr ».
[9] Le terme est encore trop indulgent puisque Rahn n’hésitait pas à dessiner des faux symboles sur les parois des cavernes pour mieux étayer ses thèses.
MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR MONSÉGUR