ORION ET LA STÈLE DE LOCMARIAQUER
LES DRUIDES SAISON 2 ÉPISODE 9
Un mythe mésopotamien permet de déchiffrer les gravures d’un des plus mystérieux mégalithes de Bretagne.
ORION ET GILGAMESH (Suite)
Les textes mésopotamiens sont très clairs sur la répartition des rôles. Gilgamesh y est décrit en tant que « Taureau à la corne terrible », « L’enfant de la Vache sublime ; Ninsuna », ou encore comme un bovidé « Tête haute, pareil à un taureau » ainsi que « Gilgamesh, ce taureau arrogant »[1]. Tandis que son ami Enkidu est un homme sauvage vivant heureux au milieu des gazelles.
Les images des sceau-cylindres sont loin de refléter la même harmonie puisque Gilgamesh y est représenté sous les traits d’un homme qui affronte un taureau (à gauche) et c’est Enkidu qui prend les traits d’un être hybride entre un homme et un taureau (à droite). Il porte des cornes et le bas du corps est celui d’un bovidé.
Sceau cylindrique akkadien (vers 2200 av. J.-C.) montrant Gilgamesh affrontant le taureau du ciel et Enkidu se battant avec un lion. De Dury, Art de l’Ancien Proche et Moyen-Orient, Abrams, NY.
Détail important, pour bien distinguer les personnages et éviter la confusion entre les deux, l’artiste qui a fabriqué le sceau-cylindre a placé une gazelle auprès d’Enkidu (en bas à droite).
Ce sont surtout les textes qui vont retenir notre attention pour décrypter les images du dolmen de la Table des Marchand et la dalle de Gavrinis qui forment à l’origine qu’un seul ensemble.
LA TABLE DES MARCHAND
La Table des Marchand est un dolmen à couloir. À l’origine, le cairn à double parement mesurait 30 m sur 25 m, et 6 à 8 m de hauteur. Le couloir, d’une longueur de 7 m, débouche sur une chambre de 3,50 m sur 3 m et haute de 2,40 m. L’entrée du couloir, haute de 1,30 m, est orientée au sud-est, vers l’entrée du golfe du Morbihan.
Le cairn restauré du dolmen appelé « La Table des Marchand » à Locmariaquer (Morbihan, Bretagne, France). (Wikimedia Commons).
La construction du dolmen et du cairn remonte au début du IVe millénaire av. J.-C. ; la datation retenue se situe entre -3900 et -3800. La dalle de couverture de la chambre (6 m sur 4 m) pèse environ 40 t.
Intérieur du cairn de la Table des Marchand avec la dalle de chevet et de la dalle de couverture, toutes deux gravées. (Wikimedia Commons).
UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
La dalle de couverture de la chambre funéraire de la Table des Marchand est issue du débitage d’un grand menhir dont deux autres éléments servent de dalles de couvertures aux dolmens de Gavrinis et du tumulus d’Er Grah. Ces trois dalles formaient à l’origine qu’une seule grande stèle de 14 m de haut. Monument qui n’existe plus en tant que tel, mais que l’on peut appeler par commodité la stèle de Locmariaquer.
Reconstitution de la « stèle de Locmariaquer » avec les deux dalles des chambres funéraires de la Table des Marchand et du cairn de Gavrinis. Une hypothétique troisième partie est formée par la dalle du tumulus d’Er Grah. Source : Prospectus du Centre des monuments nationaux. Disponible sur le site des mégalithes de Locmariaquer.
La dalle de la tables des Marchand est ornée d’une hache emmanchée avec sa lame triangulaire, d’une crosse et, du train avant d’un caprin, caractérisé par un mufle large, la nuque courte, l’échine droite et la croupe anguleuse.
Dalle de couverture de la Table des Marchand ornée de gravures, Locmariaquer (Morbihan, Bretagne, France). De droite à gauche : une hache emmanchée, une crosse, et un capriné incomplet. (Wikimedia Commons).
GAVRINIS
La deuxième partie de cette stèle a été retrouvée au plafond du dolmen de l’île de Gavrinis.
L’île, rocher granitique de 750 m de long et 400 m de large, est située non loin de l’ouverture du Golfe du Morbihan sur la haute mer, à dix minutes en bateau du port de Larmor-Baden, dans le golfe du Morbihan. À l’époque de la construction du cairn (entre 4250 et 4000 ans avant J.-C), l’île était encore rattachée au continent.
Cairn situé au sud de l’île de Gavrinis. (Wikimedia Commons).
Le cairn, qui recouvre un grand dolmen, est presque circulaire (60 × 54 m) et a une hauteur de 8 m. Le couloir, couvert par 9 dalles, a une longueur de 11,80 m. Sa largeur de 0,8 m et sa hauteur avoisinant 1,5 m.
Intérieur du cairn de Gavrinis avec sa décoration curviligne. (Wikimedia Commons).
Les parois du couloir sont composées de 29 pierres dressées (orthostates). 15 orthostates forment le côté nord-est, 14 le côté sud-ouest. 23 de ces pierres sont ornés de gravures sur leur face visible, avec des motifs parfois stylisés jusqu’à l’abstraction : écussons composés d’arceaux rayonnants, crosses, haches, zig-zag, lignes serpentiformes etc.
Coupe du cairn de Gavrinis avec le couloir et la chambre funéraire. Source : http://photos.piganl.net.
Le couloir se termine par une chambre funéraire simple, presque carrée, de 2,60 de longueur, 2,50 m de largeur et 1,80 m de hauteur. La chambre, située au centre du cairn, est formée de six orthostates et d’une dalle de couverture. Cette dernière est la dalle brute la plus importante du monument. Pesant près de 17 tonnes, elle provient de Locmariaquer, à 4 kilomètres de Gavrinis. C’est la deuxième partie de la stèle de Locmariaquer.
Couloir du cairn de Gavrinis avec ses pierres dressées ornées de gravures. Source : cairndegavrinis.com
On peut noter que les morceaux de la stèle originelle n’ont pas été employés au hasard, mais forment toujours le plafond de la chambre funéraire. Ce qui démontre son importance, sa sacralité pourrait-on dire, aux yeux des constructeurs.
LE TUMULUS D’ER GRAH
La troisième partie de la stèle originelle serait le bloc couvrant le caveau du tumulus d’Er Grah. Construction gigantesque, le tumulus appartient à la catégorie des sépultures à caveau fermé. En raison de sa dimension et du matériel funéraire retrouvé à l’intérieur, il devait s’agir de tombes réservées à une élite.
Le tumulus a été construit en plusieurs fois :
Vers 4500 av. J.-C., de très petits cairns surmontant quelques fosses, dont celles où ont été découverts les squelettes de deux bovins, qui furent peut-être les victimes de sacrifices rituels.
Vers 4200 av. J.-C., la petite chambre funéraire entourée d’un cairn circulaire.
Vers 4000 av. J.-C., deux extensions au nord et au sud, constituées de murets de pierre soutenant une masse de limon gris recouverts de pierres qui portent la longueur totale du monument à 140 mètres.
Le tumulus d’ Er Grah avec son entrée. (Wikimedia Commons).
L’INTERPRÉTATION TRADITIONNELLE
Depuis 100 ans, les spécialistes ont vu dans ces gravures ornant les dalles différents objets.
Les éléments constituant l’iconographie de la « stèle de Locmariaquer ». Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
La thèse qui faisait jusque-là la quasi-unanimité interprétait ces signes comme une « hache-charrue » en haut, sous laquelle se trouve un attelage de bovins surmontant une hache et une crosse. Avec l’explication suivante : la Table des Marchand montre les travaux des champs avec une charrue et son attelage, la hache renvoyant au travail du bois et la crosse aux activités pastorales.
UNE NOUVELLE INTERPRÉTATION
Cependant les travaux de Serge Cassen[2] ont changé la donne. Car cette stèle en bordure de mer marque une frontière entre la terre et la mer, entre le monde des humains et un Autre Monde. Le spécialiste pense que le premier signe n’est pas une « hache charrue », mais un cachalot avec sa bosse sur l’avant de la tête, le souffle projeté en l’air et la nageoire caudale, grande et élancée.
Différents éléments constituant le cachalot de Gavrinis. La bosse, la queue, le souffle. Il faut noter l’absence de pénis sur la gravure de Gavrinis, alors qu’il est présent sur celle de Kercado qui d’après les relevés montre un cachalot mâle bondissant sur une embarcation. Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
Il ne faut pas oublier qu’après l’ère glaciaire l’eau monte et présente une menace : inondations, raz de marées. Ce qui est ici symbolisé par un monstre marin. Le plus puissant des habitants des côtes de l’Atlantique de cette époque : le cachalot (Physeter macrocephalus). Certains mâles adultes pouvant mesurer jusqu’à 20 m de long et peser jusqu’à 57 tonnes.
Le grand cachalot, le plus grand habitant des côtes de l’Atlantique. Source : thelostcetacean.com
Le cachalot a de tout temps impressionné les marins par sa taille. Le naufrage en 1820 du baleinier américain Essex coulé par un énorme cachalot de 25 m de long a inspiré le romancier Hermann Melville pour l’écriture de son roman Moby Dick. Voir à ce propos l’épopée extraordinaire de la réalité à la fiction d’un monstre mythique MOBY-DICK – [K]ernunnos (kernunnoslecodesecret.com)
Illustration d’une première édition de Moby-Dick, 1892. (Wikimedia Commons).
DES CORNES IMPRESSIONNANTES
En ce qui concerne l’attelage de deux bovins, le spécialiste remarque que les cornes des animaux représentés ne sont pas identiques. Il estime que les graveurs ont figuré sur la roche deux animaux cornus distincts : un bovidé et un capriné.
Comparaison avec d’autres représentations de bovins et de caprinés retrouvées dans d’autres cultures éloignées dans le temps et l’espace. Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
On peut avancer l’idée qu’il s’agit d’animaux sauvages, car leur énorme encornure est mise en avant et il se tiennent dans une posture d’attente, tête baissée prêt à se battre.
Celui du bas a des cornes parallèles arrondies vers l’arrière-train comme un bouquetin. Ce dernier mesure entre 75 et 90 cm au garrot pour une longueur, du museau à la queue, entre 1,40 et 1,60 mètre. Son poids varie en fonction des saisons, de 65 à 100 kilogrammes. C’est donc un animal imposant avec ses grandes cornes.
Panneau du bouquetin, Grotte Chauvet. Source : archeologie.culture.gouv.fr
Le second animal est un bœuf sauvage, l’aurochs. Cet animal a des cornes en forme de lyre, cependant sur la gravure les cornes sont déformées par la perspective.
Grotte de Lascaux : la salle des taureaux ; panneau de la licorne : deuxième taureau. Photo (C) Ministère de la Culture.
Animal d’une taille de 1.85 m au garrot pour un poids de 800 à 1000 kg. C’est donc un animal impressionnant avec ses cornes démesurées.
Le taureau avec ses cornes en forme de lyre de la dalle de couverture de Gavrinis. Source : Cairn de Gavrinis.com
La taille des cornes, sans doute exagérée, ressemble étrangement à celle de la race Texas Longhorn dont l’envergure totale peut dépasser les deux mètres.
Texas Longhorn, race américaine de bovidés. Source : www.futura-sciences.com
Dans les deux cas ce sont les grandes cornes menaçantes, comme des armes, qui sont mises en avant.
DES ARMES POUR LE COMBAT
Les deux objets en-dessous peuvent être interprétés comme des armes. De défense comme d’attaque. La hache est un outil pour travailler le bois, mais elle est aussi une arme de guerre qui cause de graves blessures à l’adversaire. D’un point de vue symbolique la hache est associée à la foudre car elle frappe et tranche vive comme l’éclair avec parfois des étincelles. La hache de pierre est appelée pierre de foudre et l’on dit d’elle qu’elle est tombée du ciel.
Lames polies, Petit Rohu, Saint-Pierre de Quiberon ©L. Rannou
Les recherches ethno-archéologiques peuvent apporter un nouvel éclairage sur ces étranges objets. Dans les sociétés papoues, la hache polie de grande taille constitue un objet d’apparat. Elle symbolise le prestige des individus qui la portent, souvent les chefs de village. En somme une sorte de sceptre royal avant l’heure.
La crosse en bois est une arme de jet qui lancé dans les airs entame une rotation autour de son centre de gravité. Un ancêtre du boomerang en quelque sorte, mais qui ne revient pas vers son propriétaire. Cet arme sert a chasser du petit gibier, lièvre, lapin et ne semble dans la pratique n’avoir aucune utilité contre un cachalot. Il faudrait plutôt retenir l’aspect symbolique de cet objet.
Bâton de jet en forme de crosse, 51 cm de longueur, Zuni, Arizona. Musée Quai Branly. ©Luc Bordes
Car la crosse n’est pas seulement une arme pour chasser ou faire la guerre, mais également un objet d’apparat qui confère à son possesseur un certain prestige.
Personnage dans une posture hiératique avec une crosse sur l’épaule. Céramique, Vᵉ millénaire avant J.-C., Szentes (Koszta Museum, Hongrie). Crédits : Dea/Dagli Orti/Getty
Ce personnage figé en toute majesté, voir hautain, semble détenir une fonction importante, royale ou sacerdotale.
OPPOSITIONS
Les images de la stèle de Locmariaquer montrent l’affrontement entre d’un côté le cachalot et de l’autre côté les animaux cornus et les armes. Mais également l’opposition entre la mer et la terre ferme. De plus il semble que le cachalot bondit hors de l’eau. C’est une intrusion du monstre marin dans un milieu qui n’est pas le sien. Une agression contre les habitants de la terre ferme.
Opposition des différents éléments. Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
Ces images imposent plusieurs niveaux de lecture. La plus évidente : les hommes avec leurs armes se battent contre la montée des eaux. Chaque tempête qui apparaissait à l’horizon devait être annonciatrice de catastrophe. Le monstre des profondeurs allait à nouveau passer à l’attaque. Synonyme d’engloutissement et de mort…
LA MONTÉE DES EAUX
Les rivages atlantiques ont beaucoup changé au cours du Néolithique. Des terres ont été englouties par les flots, d’autres sont devenues impropres à l’agriculture à cause de leur salinité. Depuis le dernier maximum glaciaire, le niveau de la mer est passé en 20000 ans de –130 mètres sous le niveau actuel jusqu’au niveau que nous connaissons actuellement. La vitesse de remontée du niveau marin atteint jusqu’à 12 mm/an (1,2 m/100 ans) sur cette période. Au début du Néolithique moyen (autour de 5700 av. J.-C.) le niveau de la mer est encore situé aux environs de -8 mètres par rapport aux plus hautes mers actuelles.
Il y a 18 000 ans, lors du Dernier Maximum Glaciaire, le niveau marin était 100 à 120 m plus bas qu’aujourd’hui, laissant émerger de vastes surfaces entre la côte de cette époque et la côte actuelle. Après une remontée rapide d’environ 80 à 100 m en 10 000 ans, le niveau marin a évolué entre -10 m et + 2 m depuis environ 7 000 ans. Il y a environ 5 000 à 6 000 ans lors de l’Optimum Climatique, la mer a ennoyé les côtes basses de la façade atlantique (marais bretons et marais vendéens) puis s’est retirée par la suite. Depuis cette période, les variations cycliques du niveau marin entre -5 m et le niveau actuel ont accompagné les sociétés humaines qui ont occupé le littoral morbihannais. Source : csem.morbihan.fr
Cependant la Manche et l’Atlantique ne sont pas des baignoires au bords lisses et les eaux sont montées par à-coups lors de tempêtes avec de grandes inondations ou des raz-de-marée. De nombreux monuments mégalithiques du Néolithique atlantiques ont été submergés par la remontée du niveau des océans. Voir SAISON 1 ANNEXE 12 La migration des Cimbres
PRÉHISTOIRE : LA COLONISATION DE L’EUROPE
Il y a un deuxième niveau de lecture car Serge Cassen va plus loin et pense que la hache et la crosse sont des armes. Il faut alors envisager qu’il s’agit d’un conflit armé entre les habitants autochtones (des terriens) représenté par les animaux cornus et les armes et de nouveaux arrivants, des gens venus de la mer en quête de nouvelles terres. Cette menace est représentée par le cachalot qui symbolise alors l’inconnu, l’étranger. Si l’on regarde la carte on peut penser que les gens de la culture rubanée (des terriens) et les gens de la culture cardiale (des marins), tous deux partis du Proche-Orient au IXe millénaires, se sont retrouvés au bout du monde, en Bretagne, le point le plus occidental du continent européens, véritable cul-de-sac.
Les premiers ont emprunté la voie terrestre et les seconds ont longé les côtes méditerranéennes puis atlantiques pour ensuite remonter vers l’Europe du Nord. Voir à ce propos SAISON 1 ANNEXE 16 Préhistoire : La colonisation de l’Europe
Expansion néolithique de la culture de la céramique cardiale et de la culture rubanée en Europe d’après l’archéologie. (Wikimedia Commons).
Impossible d’avancer encore plus loin vers l’Ouest pour chercher de nouvelles terres. Ainsi la notion de territoire à défendre contre des envahisseurs devient une préoccupation primordiale. Il faut montrer aux étrangers que cette terre est déjà occupée depuis des générations et qu’elle est la terre des ancêtres. C’est pourquoi, les tombes deviennent toujours plus grandes, ostentatoires, avec des tumuli de plus de 100 m de long. Le continent européen a été colonisé par les premiers agriculteurs qui sont partis du Croissant fertile dès le Xe millénaire av. J.-C. avançant km après km en suivant les axes des grands fleuves ou les côtes de la Méditerranée. Emportant avec eux non seulement de nouvelles techniques (agriculture, élevages), mais également leurs croyances et leurs dieux. Si le savoir, les connaissances, les traditions et la religion venaient du Proche-Orient distant de milliers de kilomètres. Les gens, eux, génération après génération ne venaient que du village précédent sur la longue route vers l’Occident, c’est-à-dire quelques kilomètres à peine.
UNE INTERPRÉTATION MYTHOLOGIQUE
La scène de la stèle de Locmariaquer peut être tout simplement une représentation symbolique de la montée des eaux. Le cachalot représente les flots tumultueux qui engloutissent. Elle peut également symboliser l’inconnu, l’étranger qui vient de la mer et qui veut conquérir les terres des autochtones. Le cachalot représente alors la menace de groupes humains qui cherchent de nouvelles terres. Cependant on peut encore aller plus loin grâce au code secret des druides inscrit sur le chaudron de Gundestrup. Dans ce cas, le cachalot est toujours synonyme de montée des eaux. Terrifiantes et imprévisible pour les humains. Pour se défendre, les hommes avancent armés contre les flots. Un rite de conjuration pour exorciser cette terreur des eaux qui engloutissent. Cette action de marcher armés contre les eaux existera encore des millénaires plus tard chez les Celtes.
Elien écrit dans ses Histoires variées (XII, 23) :
« Beaucoup attendent de pied ferme la mer qui les inonde. Il y en a même qui prenant les armes, se précipitent contre les flots, en agitant leurs épées ou leur lances nues, comme s’ils pouvaient effrayer l’eau ou la blesser ».
Le rituel est le même à des milliers d’années d’écart, il s’agit d’avancer armé contre les flots. L’auteur latin n’ayant pas compris que les flots sont symboliquement représentée par un monstre marin qu’il faut combattre. La version maritime de Saint Georges se battant contre le dragon. Lors de ce rituel, imprégné de pensée magique, les hommes qui avancent armés contre les flots pensent réellement combattre un monstre marin. Le cachalot, animal puissant, incarne à merveille la nature tumultueuse et imprévisible de l’océan.
L’affrontement avec un monstre. Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
DES HOMMES ANIMAUX
Il faut revenir aux animaux cornus. Ce ne sont pas de simples bêtes à cornes. Un détail va dans ce sens puisque le bouquetin, tout du moins, semble avoir des jambes humaines.
Le bouquetin n’a pas de sabots, mais des pieds humains. Source : Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, 2003.
Des personnages se cachent donc derrière ces animaux/symboles. C’est ici qu’interviennent les textes mésopotamiens qui assimilent Gilgamesh à un taureau et Enkidu à un homme sauvage vivant parmi les gazelles. Ce sont donc les deux héros mésopotamiens qui sont les protagonistes de la scène représentée sur la stèle de Locmariaquer sous un forme animale.
UN DÉTOUR PAR L’INDE
Comme sur les sceau-cylindre mésopotamien le Maître des animaux porte des cornes de taureau, mais sur le socle sur lequel il est assis on peut distinguer un bouquetin. Cet animal est également un des animaux emblème du Maître des animaux.
Shiva Pashupati entouré de ses animaux familiers. À noter le bouquetin sous le dieu. (Wikimedia Commons).
C’est pourquoi on avancer l’hypothèse que sur la stèle de Locmariaquer est représenté le duo Gilgamesh-Enkidu sous la forme d’un taureau (Gilgamesh) et d’un bouquetin (Enkidu)[3].
Il est évident qu’en Bretagne après plusieurs millénaires de voyage à travers l’Europe, ces personnages ne portent plus les noms de Gilgamesh et Enkidu. Les noms des divinités étant particulièrement volatiles à cause des tabous les entourant. Voir à ce propos SAISON 2 ANNEXE 8 Les druides et le nom secret des dieux
LE COMBAT CONTRE UN DRAGON
Les deux personnages se battent contre un monstre marin symbolisé sur la stèle de Locmariaquer par un cachalot. Ce qui rappelle le mythe de Mardouk contre Tiamat, déesse mésopotamienne de la mer. Tiamat est la personnification des eaux salées primordiales, des forces chaotiques. Dans un milieu océanique comme la Bretagne, Tiamat peut très bien revêtir les traits d’un cachalot. Selon le mythe mésopotamien elle s’unit à Apsou[4], dieu des eaux douces et donne naissance aux grands dieux. Apsou est tué par le dieu Éa/Enki et pour se venger Tiamat met au monde des monstres qu’elle lance contre les grands dieux. Tiamat semble être représentée sur les sceau mésopotamiens comme un serpent ou un dragon marin.
L’entité primordiale Tiamat est peut-être représentée comme un serpent gigantesque sur ce sceau babylonien. (Wikimedia Commons).
LA CRÉATION DU MONDE
Dans la cosmogonie babylonienne, au terme d’une longue guerre, le dieu Mardouk tue et découpe la mère des dieux Tiamat, incarnation de la Déesse du Chaos primordial et des eaux salées. Du torse et de la tête du monstre, Mardouk crée les cieux, de ses membres inférieurs il crée la terre. De Tiamat naît l’eau venue en nuages et ses larmes deviennent la source du Tigre et de l’Euphrate. Kingu, fils de Tiamat périt lui aussi dans ce combat, et de son sang, Mardouk crée les premiers hommes.
Contrairement à d’autres gravures de cachalot (Kercado), celui de la stèle de Locmariaquer ne montre pas de pénis apparent et il est sans doute un cachalot femelle. Ce qui semble correspondre à Tiamat qui est une déesse au départ avant de se transformer en monstre marin. Tiamat est donc en Mésopotamie un dragon marin qui devient un cachalot sur les côtes atlantiques.
SUR LA TERRE COMME AU CIEL
Il est certainement intéressant de regarder encore un fois le ciel étoilé, car il existe une constellation de la Baleine, (Cetus en latin). Pourtant les gravures anciennes ne montrent pas un cétacé, mais un magnifique dragon marin.
Constellation de la Baleine (Cetus), Johann Bayer, Uranometria, 1603. (Source Wallhapp.com).
Ce genre de changement d’un animal à un autre dans les récits mythologiques n’est pas unique. Ainsi l’équivalent du dragon Vritra de la tradition indienne devient dans le monde celtique l’avanc…un castor monstrueux.
LA HACHE ET LA CROSSE
Les deux signes qui sont sous les animaux à cornes sont une hache et une crosse. La hache est en temps de guerre l’arme du guerrier et même le symbole du chef.
Gravure rupestre du Bohuslän (Suède) : à l’avant hommes en armes sur un bateau, au milieu le chef qui brandit une hache. On peut noter la présence de trompettes à l’arrière du bateau. Photo Yann Lorin.
La crosse est peut-être une arme, mais symboliquement est le bâton du pâtre, le gardien et protecteur du troupeau. On ne peut pas exclure que c’est un symbole sacerdotal. Dans le Christianisme, Jésus s’identifie au Bon Pasteur qui veille sur ses brebis, c’est-à-dire les humains.
Le bon Pasteur, Philippe de Champaigne, 1650-60, huile sur toile, Musée des Beaux-arts, Tours.
L’évêque, successeur de Jésus, avec sa crosse épiscopale devient le guide et de protecteur du peuple chrétien.
En Inde, Shiva Pashupati est à la fois le « Maître des âmes » ou le « Maître du troupeau ». Le troupeau de Shiva comprend tous les êtres vivants y compris l’homme.
La hache et la crosse peuvent donc être considérées comme un symbole guerrier pour l’un et un symbole sacerdotal pour l’autre. Les deux signes représentent donc l’alliance entre le guerrier et le prêtre pour combattre le monstre marin. Le précurseur chez les Celtes du couple formé par le roi et le druide. Si l’on projette ce contexte sur les deux héros mésopotamiens, cela signifie que la hache symbole du guerrier et du chef appartient à Gilgamesh qui est, rappelons-le, roi. Tandis qu’Enkidu reste le Maitre des animaux, le bon pasteur, le guide et le protecteur du troupeau, hommes ou animaux. Il prend donc sur les gravures de la stèle bretonne une fonction sacerdotale qu’il ne semble pas avoir dans les textes mésopotamiens.
Le portrait-robot du dieu Orion s’allonge au fil des articles.
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Le combat contre un taureau
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La présence d’un chien
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Orion est armé d’une épée
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Orion affronte un adversaire triple
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Le héros est lui aussi triple
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Une massue
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Une peau de lion ce qui fait d’Orion un tueur de lion
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Orion est le « père des Celtes »
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Orion est un archer et ses attributs sont l’arc et le carquois
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Orion conduit les âmes des morts
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Orion est un chasseur
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Orion porte un vase
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Un maillet
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Trois pommes
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Une serpe
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La présence de deux corbeaux
Il faut y ajouter quelques traits typiquement mésopotamiens
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Orion/Gilgamesh est roi
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Orion/Gilgamesh est comparé à un taureau
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Orion/Gilgamesh et Enkidu sont adversaires, mais deviennent par la suite amis
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Orion/Gilgamesh affronte le Taureau Céleste, mais il n’est pas seul, il est assisté par Enkidu
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Dans certains cas ce n’est pas Orion/Gilgamesh qui tue le lion, mais Enkidu
En Armorique le duo Orion/Gilgamesh et Enkidu/Maître des animaux montre quelques caractéristiques originales.
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Orion/Gilgamesh et Enkidu sont représentés sous forme animale. Orion est un taureau et Enkidu un bouquetin
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Orion/Gilgamesh et Enkidu sont les protagonistes principaux du mythe de la création mésopotamien
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Orion/Gilgamesh et Enkidu sont également figurés par une hache (symbole de souveraineté) et une crosse (symbole sacerdotal)
CONCLUSION
Chose incroyable, un mythe mésopotamien permet de décrypter une stèle bretonne pourtant séparés par des milliers d’années et des milliers de kilomètres.
Cela signifie plusieurs choses qu’un mythe mettant en scène les deux personnages affrontant un monstre symbolisant les eaux primordiales existait en Mésopotamie avant le départ des premiers colons vers l’Europe. Cela signifie également que les colons ont emmenés avec leurs mythes et leurs dieux. Le mythe met en scène le duo Gilgamesh-Enkidu affrontant Tiamat et non Mardouk comme dans les récits qui nous sont parvenus. Le mythe conservé sur la « stèle de Locmariaquer » doit être antérieur à l’arrivée des Akkadiens, peuple sémite, qui a dominé la Mésopotamie de la fin du XXIe au début du XXIIe siècle av. J.-C. Les Akkadiens soumettent les Sumériens et impose leur langue et leur religion.
Stèle de victoire du roi Naram-Sin sur un peuple rebelle du Zagros, les Lullubis, datant du XXIIIe siècle avant notre ère. Naram-Sin d’Akkad domine la scène et porte une tiare à cornes, attribut divin. Musée du Louvre. (Wikimedia Commons).
Notamment leur dieu Mardouk qui devient le souverain des dieux et qui apparemment prend dans l’affrontement contre Tiamat la place du duo Gilgamesh- Enkidu.
Il semble que partis très tôt, les premiers colons ont conservé l’ancienne version du mythe, un récit très ancien remontant à plus de 10000 ans, au moins, qui s’est pour ainsi dire fossilisé dans la roche bretonne.
Contrairement à l’hypothèse avancée dans un précédent article, il semble que « l’amitié » et la coopération entre Enkidu et Gilgamesh est très ancienne. Pourtant les mythes celtiques très conservateurs démontrent de façon explicite la rivalité entre Orion et le Maître des animaux qui va jusqu’au meurtre. D’ailleurs la configuration des constellations dans le ciel étoilé démontre également une opposition irréversible.
©JPS2023
[ACCUEIL]
Image mise en avant :
Cairn de Gavrinis. Parois gravées d’arceaux emboîtés, de cupules, spirales, couple de lames de haches polies verticales. (Wikimedia Commons).
LEXIQUE :
MENHIR : Les menhirs sont des pierres dressées verticalement. Le terme « menhir » est construit à partir du breton maen, « pierre », et hir, « longue ».
Le menhir de Kerloas, Plouarzel (Finistère), a une hauteur de 9.5 mètres ce qui en fait le plus grand menhir encore dressé de Bretagne. (Wikimedia Commons).
DOLMEN : Sépulture mégalithique préhistorique constituée d’une ou plusieurs grosses dalles horizontales posées sur des pierres verticales recouverte par un tumulus. Les dolmens se présentent souvent comme d’énormes tables de pierre qui ne forment plus que le squelette de la sépulture originelle. Le terme est forgé à partir des mots bretons t(d)aol (apparenté au latin tabula), « table », et maen, « pierre », soit la « table de pierre »
Dolmen de Garde-Epée, St-Brice, Charente, France. (Wikimedia Commons).
TUMULUS : Éminence artificielle élevée au-dessus d’une ou plusieurs tombes. Lorsque le tumulus est entièrement en terre, c’est un tertre. Lorsqu’il est en pierre, c’est un cairn.
Le tumulus de Dissignac est un monument mégalithique situé dans la commune française de Saint-Nazaire, dans le département de la Loire-Atlantique. (Wikimedia Commons).
CAIRN : Tumulus de terre et de pierres recouvrant les sépultures mégalithiques.
Le cairn de Barnenez est un monument mégalithique du Néolithique se trouvant au lieu-dit Barnenez dans la commune de Plouezoc’h, sur la côte nord du Finistère, en Bretagne. Le monument est d’une longueur de 75 m et recouvre onze dolmens à couloir. Cet ensemble est le plus grand mausolée mégalithique après celui de Newgrange en Irlande et est avec le cairn III de Guennoc, le plus vieux monument d’Europe.
NOTES
[1] Jean Bottéro dans sa traduction de l’Épopée de Gilgamesh utilise le terme « buffle ». Dans leurs traductions de l’épopée les traducteurs de langue anglaise utilisent le mot « bull » communément traduit en français par taureau. C’est ce terme que nous retenons ici.
[2] Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, dans Arts et symboles du Néolothique à la Protohistoire, Séminaire du Collège de France, Sous la direction de Jean Guilaine, Édition Errance, Paris, 2003.
[3] Comme le Maitre des animaux est un homme sauvage vivant parmi les bêtes sauvages. Il faut voir dans ce capriné un animal sauvage plutôt qu’un bouc animal domestique.
[4] Apsou est le nom de l’océan souterrain de la mythologie mésopotamienne. Il est composé d’eau douce et les lacs, rivières et sources proviennent de cet océan.
Bibliographie :
Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, Le désir médusé, dans Arts et symboles du Néolothique à la Protohistoire, Séminaire du Collège de France, Sous la direction de Jean Guilaine, Édition Errance, Paris, 2003. Passionnant ! Disponible sur (37) Le Désir médusé | Serge Cassen – Academia.edu
Jean Chevalier et Alain Gheerbrandt, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1982.
Félix Guirand et, Joël Schmidt, Mythes et mythologie, Larousse-Bordas, Paris, 1996.
Les Cahiers Science &Vie, n°103, Février-Mars. 2008, Les racines du monde, Stonehenge, Carnac… D’où viennent les mégalithes ?.
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Éditions Payot, Paris, 1996.
Cornelius G. et Devereux P., Le langage des étoiles, Éditions Gründ, Paris, 2004.
L’Épopée de Gilgamesh, Traduction Jean Bottéro, Éditions Gallimard, Paris, 1992.