LES DRUIDES SAISON 2 ANNEXE 12
LA TARASQUE DE NOVES
Le Musée Lapidaire d’Avignon recèle un trésor d’une valeur inestimable : l’objet extraordinaire que l’on nomme à défaut d’autre chose la « Tarasque de Noves ». Comme le chaudron de Gundestrup, cet étrange objet révèle un pan entier des croyances des druides.
DESCRIPTION
Il s’agit d’une statue de grande taille de 1.18 m de haut, taillée dans du calcaire qui représente un animal fantastique. Ce dernier dénommée également monstre androphage c’est-à-dire « mangeur d’homme », dont les pattes antérieures sont posées sur deux têtes masculines tandis que le monstre tient dans sa gueule un corps humain dont il ne subsiste qu’un bras et une jambe. L’animal fantastique est un mâle puisqu’il doté d’un sexe dressé. L’œuvre est datée entre 50 av. J.-C. et les premières années de notre ère. Fortuitement découverte au XIXe siècle près du Puech de Noves.
LE MONSTRE DE NOVES
Le nom de « Tarasque » est impropre puisqu’il ne s’agit pas d’une représentation de la Tarasque, animal fabuleux des légendes provençales qui hante les eaux du Rhône[1]. Monstre de Noves ou monstre androphage semble plus adapté comme appellation.
La statue était à l’origine polychrome, mais seule des traces d’enduit rouge sont encore visibles autour de la gueule et les griffes.
Le monstre de Noves, cette œuvre est datée entre 50 av. J.-C. et les premières années de notre ère. Musée Lapidaire, Avignon.
UNE FIN DU MONDE
C’est dans en des temps incertains après la chute d’Alésia, bataille décisive de la fin de la guerre des Gaules qui voit la défaite d’une coalition de peuples gaulois menée par Vercingétorix face à l’armée romaine de Jules César en 52 av. J.-C., que le tabou sur la représentation des dieux imposée par les druides est tombé. C’est durant cette courte période d’une cinquantaine d’années que sont apparues quelques pièces extrêmement rares, comme le chaudron de Gundestrup, qui résument les croyances des druides. Moment charnière entre une période qui ne représente pas ses dieux et l’époque suivante qui montre un syncrétisme croissant entre les religions romaine et gauloise. Le monstre de Noves est donc d’une valeur inestimable et devrait de par son importance avoir sa place à côté de la Joconde au musée de Louvre.
Pour connaître les raisons soudaines de la mise en image des divinités gauloises, voir SAISON 1 ÉPSODE 12 Chaudron de Gundestrup, la fin
LE DIEU DES ENFERS
Longtemps les archéologues se sont interrogés sur la nature exacte d’une telle créature, lion, loup, dragon ?
C’est en tous cas un monstre carnassier qui tient dans sa gueule un homme nettement plus petit que l’animal fantastique.
Cette mystérieuse statue nous mène sur la piste d’un des dieux les plus importants des Celtes : le dieu des Enfers. Celui que César nomme Dis Pater.
Voici ce qu’en dit César :
Tous les Gaulois se prétendent issus de Dis Pater : c’est, disent-ils, une tradition des druides. En raison de cette croyance, ils mesurent la durée, non pas d’après le nombre des jours, mais d’après celui des nuits[2].
LE DIEU DIS
Avec Dis Pater, César utilise un nom latin pour désigner le dieu Gaulois de la vie et de la mort.
Or, il y a de bonnes raisons de croire que certains peuples de la Gaule, à une époque très ancienne, ont connu un loup totémique. En effet à l’époque où prévalut l’anthropomorphisme, nous trouvons le dieu que César appelle Dispater, qui passait, nous dit-il, pour l’ancêtre des Gaulois et dont les images, d’un type analogue au Hadès-Pluton gréco-romain, portent souvent, comme on l’a remarqué, une peau de loup[3].
Or, la fourrure de l’animal dont se recouvre le dieu n’est qu’une indication sur son aspect originel.
LE DIEU GREC HADÈS
En Grèce, Hadès, qui porte une peau de loup, doit avoir aussi, à l’origine, été conçu sous l’aspect d’un loup[4].
Donc, toutes les indications tendent à confirmer notre thèse : le dieu gaulois, avant d’être assimilé à Dispater, à Hadès, à Silvain, était un dieu-loup[5].
Cerbère lui-même, avant de devenir le gardien des Enfers, a été le chien vorace qui se repaissait de la chair des trépassés[6].
LE NOM DU LOUP
On peut même aller plus loin en disant que la forme originelle du dieu des Enfers est un loup. Dans le cas précis de la Grèce, c’est Cerbère. La divinité infernale des druides est un dieu sombre. Une créature de la nuit comme le loup. Un dieu craint puisque César doit emprunter le nom latin pour nommer le dieu. Parce que le nom du loup a quasiment disparu de la langue gauloise. Ce qui au premier abord peut paraitre étonnant pour un animal dont la portée symbolique, dans le monde antique, dépasse de loin la plupart des animaux à l’exception du taureau et du serpent peut-être. Or, cette absence devrait justement éveiller l’attention du chercheur, car plus un mot qui semble refoulé, plus il est soumis à un tabou puissant et plus il est important. En fait, le mot loup désignait le terrible dieu des enfers et l’on craignait de prononcer son nom. Quand les utilisateurs du mot interdit ont disparu ce vocable maudit à laisser un vide au point de donner l’impression qu’il n’a pas existé. Voir à ce propos SAISON 2 ANNEXE 8 Les druides et le nom secret des dieux
LE DIEU LOUP
Une des rares représentation du dieu des Enfers gaulois est une statuette retrouvée à Fouqueure (Charente)[7]. Celle-ci est également classée par les spécialistes comme monstre androphage puisqu’elle représente un canidé géant qui dévore le corps d’un humain.
Loup Androphage de Fouqueure. (Musée d’Angoulême)
Une autre figure en bronze loup découverte dans les îles britanniques et montre la même scène, celle d’un loup géant qui dévore un humain.
Loup androphage d’Oxford. British Museum, Londres.
Celui-ci ne se débat pas, pour une bonne raison.
Les morts qu’avale le loup infernal ne se débattent pas, car ils sont morts[8].
Le gigantisme dans l’iconographie dans les temps anciens est toujours l’apanage des divinités. Et on peut dire que ces statuettes du canidés géants représentent le dieu-loup gaulois qui dévore un cadavre.
Ce qui soulève plusieurs questions.
Est-ce un mort anonyme ?
Est-ce un personnage important ou un druide ?
Est-ce une figure mythologique ?
LE ZODIAQUE DES DRUIDES
J’ai découvert il y près de 30 ans, l’existence d’un Zodiaque des druides[9]. Ce Zodiaque met en scène douze divinités sous forme animale. Deux de ces divinités, un dieu loup et un dieu serpent forment un axe dans lequel ils mélangent leurs caractéristiques. On peut également y voir l’inverse une divinité supérieure qui mélange des éléments de loup et de serpent se scinde en deux dieux distincts : un dieu loup et un dieu serpent.
Ce Zodiaque des druides indique ainsi un hybride loup-serpent pour figurer le dieu des Enfers.
Mais là où l’on s’attendrait plutôt à trouver un serpent avec une tête de loup, puisqu’il existe déjà dans l’iconographie celtique un serpent à tête de bélier, les druides lui ont préféré un monstre au caractère beaucoup plus primitif[10]. Car il existe, dans l’iconographie gauloise tardive, chose incroyable et chance inouï, la représentation d’une créature qui illustre à merveille cette fusion entre un loup et un serpent : le monstre de Noves.
UN LOUP-SERPENT
L’inquiétant monstre de Noves n’est pas un lion ou un ours mal exécuté, mais un hybride entre un loup et un serpent ou pour être encore plus précis un loup couvert d’écailles de reptile. Dans le langage héraldique on dirait un loup dragonné.
Vue arrière du monstre de Noves qui montre le dos couvert d’écailles. Musée Lapidaire, Avignon.
Comme si les gènes du serpent transfiguraient l’apparence du canidé en en faisant une créature supérieure, divine. Car avec la figure du dieu des Enfers gaulois nous entrons dans une autre dimension de la pensée religieuse des druides. Grâce à cette statue nous pourrons décrypter une partie des croyances qui régnaient à l’époque des sages celtes. Il faut revenir un instant sur l’œuvre elle-même, qui est réalisée dans ce que l’on pourrait appeler un style archaïsant. Barbare, au sens noble du terme, car ici nous ne trouvons aucune influence grecque ou romaine. Certains ont parlé d’un style grossier, alors que le sculpteur a interprété à merveille la demande des commanditaires.
SEREIN DEVANT LA MORT
Le monstre de Noves est représenté assis sur son arrière train, les pattes postérieures tendues vers l’avant. Sur ces dernières sont posées deux têtes portant de longues barbes. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit des crânes de deux druides défunts. Deux sages dont le visage est serein, ce sont donc des individus qui à l’évidence n’ont pas craint la mort. Il ne s’agit pas de têtes de décapités car ce ne sont pas des guerriers, mais des crânes prélevés sur des défunts dont on a, soit conservé le faciès en l’embaumant avec de l’huile de cèdre comme le signalent les auteurs antiques, soit reconstitué la face grâce à un masque d’argile. Car l’arrière du crâne est mis à nu et ne porte aucune trace de leur enveloppe charnelle. Les pattes avant griffues de la bête sont posées sur ces deux têtes.
Le visage serein d’une des têtes du monument. Musée Lapidaire Avignon.
UN RELIQUAIRE
Une reconstitution de la statue permet de dire que le monstre serrait entre ses dents le corps d’un être humain[11]. L’individu qui pend dans la gueule du monstre forme un arc de cercle qui donne à l’ensemble l’aspect d’un réceptacle. Les archéologues ont pensé à une sorte de reliquaire dans lequel était déposé le crâne d’un ancêtre. Les archéologues sont encore allés plus loin en proposant que le visage de ce défunt était reconstitué sur le crâne grâce à un masque en argile et peint pour lui redonner l’apparence de la vie.
À gauche l’original et à droite une reconstitution hypothétique du monument. L’homme mutilé a été complété en fonction des traces d’arrachements et des parties conservées. Musée Lapidaire, Avignon.
LE DIEU PÈRE DES GAULOIS
Quant au personnage que le monstre tient dans sa gueule, il fait penser aux défunts qui sont avalés par le dieu loup évoqué plus haut. Ainsi on peut avancer l’idée que le monstre carnassier de Noves est une image du dieu, que César nomme Dis Pater, le Dieu Père des Celtes et divinité tutélaire des druides, qui, comme Cronos, mange ses propres enfants. Le phallus dressé indique que le dieu est le dispensateur de vie, mais que ce qu’il donne, il peut le reprendre. Car tout ce qui naît est condamné à mourir. Le dieu créateur est aussi le dieu destructeur. C’est pourquoi il symbolise également la mort qui dévore de sa gueule vorace les défunts. L’alpha et l’oméga, les symboles de la vie et de la mort associés dans un même monument funéraire.
LE DIEU DES ENFERS CHEZ LES GRECS
Comme le dieu cornu ou la mère des eaux, le dieu des Enfers est un archétype divin si ancien qu’il est présent dans toutes les civilisations. C’est pourquoi il faut faire un détour par la Grèce avec Hadès, le dieu des Enfers des Grecs, vêtu d’une peau de loup. On ne peut être que de l’avis de Salomon Reinach qui pense que l’apparence la plus ancienne d’Hadès devait être celle du loup qui dévore les défunts[12]. D’ailleurs cette image n’a pas tout à fait disparue, car au côté du dieu des Enfers, nous trouvons Cerbère, le chien à trois têtes, gardien des Enfers. Celui-ci représente le maître des Enfers avant l’anthropomorphisation des dieux grecs. Dans l’évolution de la figuration des divinités à travers le temps, l’image la plus ancienne est celle du loup, ensuite vient celle mi-humaine mi-animale, souvent un homme à tête de canidé, comme le dieu égyptien Anubis, et pour finir le dieu devient dans son apparence un homme à part entière accompagné d’un loup[13].
LE CHIEN DES ENFERS
Mais il faut revenir un instant sur Cerbère, car c’est lui la clef de l’énigme. Car dans l’iconographie grecque apparait un motif récurrent qui n’a pas été expliqué jusqu’à présent. Il s’agit de serpents recouvrant le corps et les têtes du gardien des Enfers. Apollodore le décrit ainsi :
Eurysthée lui ordonna pour le douzième de ses travaux, d’amener Cerbère des enfers. Ce monstre avait trois têtes de chien, une queue de dragon, et sur le dos des têtes de serpent de diverses espèces[14].
La meilleure illustration de cette description est un vase grec (une hydrie) exposée au musée du Louvres représentant un Cerbère couvert de serpents. Même si Cerbère est souvent désigné sous l’appellation de chien, il ressemble à s’y méprendre à un loup.
Héraklès et Cerbère, vers 525 av. J.-C., Musée du Louvre.
Mais pourquoi ce chien-loup infernal est-il hérissé de menaçant reptiles menaçant ?
Le Zodiaque des druides peut nous renseigner sur ce constat étrange[15]. La seule réponse possible veut que le gardien des Enfers grec comme le monstre de Noves est un hybride entre un loup et un serpent[16]. Si pour les druides le mélange canidé-ophidien devient un monstre couvert d’écailles, le parti pris esthétique des Grecs est différent et ils optent pour un loup bien reconnaissable, mais dont le corps est recouvert de serpents en position d’attaque. Le choix des druides semble plus fusionnel et primitif.
LE LOUP ET LE SERPENT
Cette idée d’un dieu hybridé avec un serpent refait surface quelques siècles plus tard sur une sculpture en haut-relief romain daté du IIIe siècle de notre ère.
Dieu loup avec des pattes en forme de serpent, haut-relief en calcaire, art romain, 3e siècle. La scène présente un être hybride entre un loup et un serpent dans un édifice dont l’architecture rappelle un temple. Ce dieu étrange a une tête de loup, un buste et des bras humains et deux serpents comme pattes. Il porte sur lui une peau d’animal au sabot fendu nouée sur l’épaule gauche. Dans sa main droite il tient un objet (clef ?). Dans sa main gauche un caducée, deux tiges avec des capsules de pavot et deux gerbes de blé. Une tête de bélier est posée sur une table d’offrande. Un homme barbu, un genou à terre, fait une offrande au dieu (un pain ?). Source : drouot.com
Dans ce cas, le choix iconographique de l’artiste s’est porté sur la représentation d’un loup avec deux pattes en forme de serpents. De par la taille de l’être hybride, la présence d’un temple et des offrandes, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un dieu. L’explication qui accompagne ce relief fait de cet étrange loup une association entre Hermanubis et Abraxas. Hermanubis est la fusion entre un dieu grec et égyptien. Hermès psychopompe et Anubis l’embaumeur. Le rôle de ces deux dieux est de conduire les âmes des morts aux Enfers. Les jambes en forme de serpents viennent du dieu Abraxas qui est souvent représenté avec une tête de coq et des jambes serpentiformes. Divinité suprême de la religion gnostique. Beaucoup de circonvolutions pour décrire tout simplement le dieu loup des anciens, Maître des Enfers.
LES RELIGIONS ANTIQUES
Pour retrouver d’autres traces du dieu loup dans les mythologies anciennes, il faut se tourner vers l’Égypte. Puisqu’il existe également dans cette très ancienne civilisation l’image d’un canidé divin. Il s’agit du dieu Anubis, dans une forme certes plus policée du maître des Enfers. Le choix iconographique retenu par les égyptiens est intermédiaire entre celui plus archaïsant des druides avec leur loup couvert d’écailles et celui complètement anthropomorphe des grecs puisque le dieu égyptien est représenté sous la forme d’un humain avec une tête de canidé.
Anubis préside à la pesée du jugement des morts. Papyrus Ani – British Museum
LE DIEU CHACAL
Une forme entièrement animale de la divinité existe toutefois, même si les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’espèce représentée. Chacal ou chien ?
Anubis. Tombeau de Toutankhamon – Musée du Caire
En tout cas Anubis est le dieu des morts et le conducteur des âmes ainsi que le gardien des nécropoles. Il participe à la pesée des âmes et à l’embaumement des corps. Il existe en Égypte d’autres canidés liés à la mort. Citons Oupouaout dont le nom signifie « ouvreur des chemins ». C’est la divinité protectrice de la ville de Siout (Assiout) en Haute-Égypte. Il est intéressant de noter que les Grecs voyaient dans cette divinité un loup puisqu’ils ont appelé cette cité Lykopolis « la ville du loup ». Mais il y a mieux, car l’élément ophidien n’est pas absent de la représentation de ce canidé divin puisque Oupouaout est souvent montré debout sur des serpents.
Oupouaout, l’« ouvreur des chemins » debout sur des serpents. Cette image est tirée de l’ouvrage de Baladji Mundkur, The cult of the serpent, State University of New-York, 1983, p.156.
Une autre divinité égyptienne peu connue est également représentée avec une tête de canidé, est le dieu du royaume des morts Am-Heh, appelé le « dévoreur de millions (d’âmes) » et qui habite dans un lac de flammes[17]. Nous voici très près du monstre de Noves qui était pour les druides le dévoreur des âmes, celui qui engloutit le corps des défunts.
UN DIEU SOMBRE, MAÎTRE DE LA NUIT.
Le monstre de Noves dévore les morts, mais son sexe dressé indique également qu’il est celui qui donne la vie, qu’il est le Dis Pater, le dieu de la nuit et le Père de tous. Cette notion est très importante pour bien comprendre cette divinité, car ce n’est pas un dieu du mal ou un dieu mauvais, non, c’est un dieu que l’on craint parce qu’il est puissant et potentiellement destructeur. Cependant, il est également celui qui dispense la vie et donne l’abondance à condition de respecter les préceptes druidiques dont trois nous sont parvenus, à savoir « il faut honorer les dieux », « il ne faut pas faire le mal », et pour finir « il faut s’exercer à la bravoure ». Le monstre de Nove était pour les druides le dévoreur des âmes, celui qui engloutit le corps des défunts. Mais aussi le gardien des nécropoles, rappelons que la statue du monstre androphage a été retrouvée dans le cimetière de Noves[18]. Certains indices laissent penser que le royaume du Dis Pater était réservé aux druides et que les destinées des défunts étaient différentes suivant leurs catégories sociales. Dans le druidisme les Enfers ne sont pas un lieu de désolation et de damnation. Dans les récits gallois, Annwynn, le royaume des morts, désigne un monde souterrain où règne la paix et l’abondance.
UN ILLUSTRE INCONNU
Nous avons maintenant clairement identifié le dieu qui se cache derrière le monstre androphage, mais concernant la statue de Noves, il reste un mystère à élucider.
Car, qui est ce personnage pris dans la gueule du loup ?
Reconstitution hypothétique du monument. L’homme mutilé a été complété en fonction des traces d’arrachements et des parties conservées. Musée Lapidaire, Avignon.
La première impression que l’on ressent devant cet ensemble est qu’il s’agit d’une scène bien connue des adeptes du druidisme comme peut l’être une sculpture du christ en croix pour un chrétien. Cela implique que ce personnage a une histoire, un mythe connu de tous auquel on peut le rattacher. Il faut imaginer un instant un archéologue dans un futur lointain qui découvre un crucifix dans les ruines d’une église. Comment à partir de ce simple objet pourrait-il reconstituer la riche histoire du Christianisme ?
Car la croix symbolise une réalité bien précise à savoir la mort et la résurrection du Christ.
Alors qu’en est-il de ce personnage ?
Est-ce un homme ou est-ce un dieu ?
Plusieurs hypothèses se présentent à nous. La première est que c’est un mort anonyme et qu’en tant que tel, il symbolise tous les défunts dans leur ensemble. En quelque sorte comme le soldat inconnu qui représente tous les morts d’un conflit. Une autre serait qu’il s’agit d’un druide. Mais là encore, est-ce un druide anonyme ou un personnage connu de tous, en quelque sorte un grand ancêtre prestigieux.
Il existe une troisième hypothèse, celle d’un personnage divin. Un être exceptionnel, bien connu de la communauté des croyants. Pour rester dans le parallèle avec le Christ, il faudrait que notre archéologue cité plus haut, retrouve un exemplaire des Évangiles pour pouvoir retracer l’histoire de Jésus. Or, aussi incroyable que cela puisse paraître, et ce malgré le tabou sur l’écriture, il existe un objet qui peut nous révéler l’identité et le mythe concernant ce personnage mystérieux. Cet objet, nous l’avons déjà évoqué à mainte reprise : le Chaudron de Gundestrup.
LES IMAGES DU CHAUDRON
Sur le chaudron de Gundestrup, il y a un mort célèbre : c’est Orion. Car le chaudron d’argent montre clairement le corps d’un dieu mort entre les bras de la déesse-mère. Luxe suprême, pour qu’il n’y ait pas de confusion et bien identifier le dieu mort, l’artisan qui a réalisé le chaudron a même ajouté le fidèle chien du dieu dans la composition de l’image. C’est bien d’Orion qu’il s’agit. Pas d’erreur possible.
Parmi les nombreux éléments qui entourent la déesse, il faut retenir le corps d’Orion qui est couché dans ses bras (en bas à droite). Orion est la plupart du temps accompagné par son fidèle chien, couché lui aussi sur le dos. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
Pourquoi Orion et son chien sont-ils représentés sur le dos ?
C’est une fois de plus que l’astronomie peut nous livrer une explication. Les constellations d’Orion et du Grand Chien descendent sous l’horizon, donc sous terre, et disparaissent du ciel étoilé pendant un certain temps. Ils sont morts parce qu’ils ne sont plus visibles pour l’observateur. Vers le Nord, les étoiles circumpolaires sont visibles toute l’année parce qu’elles ne descendent jamais sous l’horizon. C’est pourquoi elles sont considérées par les anciens comme immortelles. Les Égyptiens les ont qualifiés en tant que « Celles qui ne connaissent pas la destruction » ou encore les « impérissables ». Les Égyptiens considéraient que les étoiles « vivent » lorsqu’elles sont visibles et qu’elles meurent lorsqu’elles sont invisibles. Toujours selon les Égyptiens, les étoiles disparaissant sous l’horizon sont absentes du ciel étoilé pendant 70 jours avant de réapparaître.
L’image du dieu dans les bras de la déesse n’est pas sans rappeler l’image d’une mater dolorosa. Cette scène du chaudron de Gundestrup est le strict équivalent druidique de la pietà qui représente la Sainte Vierge tenant le corps du Christ dans ses bras.
La Pietà est une statue en marbre de Michel-Ange de la basilique Saint-Pierre du Vatican à Rome, représentant le thème biblique de la « Vierge Marie douloureuse » (Mater dolorosa en latin ou Pietà), tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de la Croix avant sa Mise au tombeau, sa Résurrection et son Ascension. Elle a été sculptée entre 1498 et 1499.
Certes le style presque schématique et symbolique du chaudron n’a rien à voir avec la figuration expressive de cette scène par Michel-Ange, mais le sujet central reste le même, la mère divine tient son fils défunt dans ses bras.
CONCLUSION
Dans un système dualiste comme les religions monothéistes, le Maître des Enfers est un démon, le mal incarné, le diable. Par contre dans un système polythéiste, le Maître des Enfers est un dieu, certes sombre, inquiétant et craint, mais il est un dieu qui accueille les défunts dans l’Autre Monde.
©JPS2023 (Texte écrit en 2015, remanié en 2023)
[ACCUEIL]
Voir également comment ne pas confondre Orion et le Maître des animaux SAISON 2 ANNEXE 13 Loup ou chien, Orion et le Maître des animaux
[1] Tarasque, nom féminin, n’est pas vraiment approprié puisque le monstre de Noves exhibe un pénis en érection qui ne laisse aucun doute sur le genre de cette créature.
[2] César, Guerre des Gaules, Livre VI, 18, Traduction L.-A. Constans, Les Belles Lettres, Paris, 1989.
[3] Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions, Robert Laffont, Paris, 1996, p. 237.
[4] Salomon Reinach, p237.
[5] Salomon Reinach, p237.
[6] Salomon Reinach, p238.
[7] Une figure en bronze retrouvée près d’Oxford représente la même scène du loup androphage.
[8] Salomon Reinach, p238.
[9] Il serait trop long dans ce court article d’expliquer les circonstances et les conséquences d’une telle découverte. J’ai écrit un manuscrit de plus de 300 pages sur le sujet qui n’est pas publié à ce jour.
[10] Même si Salomon Reinach signale une telle créature. « L’idée que le démon, qui participe à la nature du dieu infernal, est un loup ou un serpent, paraît encore dans une étrange histoire à la date de 1275 ; une dame de Labarthe, à Toulouse, qui avait eu commerce avec le diable, accoucha d’un enfant à tête de loup et a queue de serpent ». Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions, Éditions Robert Laffont, Paris 1996, p.238.
[11] L’Archéologue n°71, avril-mai 2004.
[12] Attention il faut le rappeler avec force, cela ne signifie pas que l’on adore un animal mais tout simplement qu’un des aspects du dieu, parmi bien d’autres, est un animal. L’image n’est qu’un support qui permet à l’esprit humain de vénérer l’invisible à travers le visible. C’est pourquoi l’on a longtemps cru, sans le comprendre, que les Celtes adoraient des sources, des arbres, des animaux et d’autres éléments de la nature.
Mais dans le cas de l’animal, il y a toujours un élément qui le distingue des bêtes que l’on mène à l’abattoir ou que l’on tue à la chasse et qui souligne son essence divine. Le taureau à trois cornes par exemple ou le loup couvert d’écailles qui tient dans sa gueule un défunt.
[13] La partie animale est en quelque sorte rejetée vers l’extérieur et se cristallise sous la forme d’un compagnon. Le dieu cerf par exemple devient ainsi une divinité accompagnée d’un cerf.
[14] Apollodore, bibliothèque, Livre II, 5, 12, Traduction E. Lesueur, Delance et Lesueur, Paris, 1905.
[15] On peut se poser la question si les artistes grecs ou leurs commanditaires étaient des initiés à l’ancienne religion des étoiles ou ont-ils transmis un message qu’ils ne comprenaient plus ?
[16] Le Zodiaque des Druides est si anciens qu’il permet de décrypter les figurations des divinités grecques les plus archaïques.
[17] George Hart, The Routledge Dictionary of Egyptian Gods and Goddesses, London and New-York, 2005, p.12.
[18] Peut-être est-il même le patron des embaumeurs comme en Égypte puisque les Gaulois embaumait les têtes de leurs victimes prestigieuses avec de l’huile de cèdre. D’ailleurs tous les raffinements du procédé ne nous sont pas connus.