LA DATATION DU CHAUDRON DE GUNDESTRUP

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10

Le chaudron de Gundestrup est la clef du déchiffrement du code secret des druides, mais avant toute chose il faut répondre à une question déterminante.

De quand date le chaudron de Gundestrup ?

LES ORIGINES DU CHAUDRON DE GUNDESTRUP (2/3)

Quelques spécialistes pensent que le chaudron de Gundestrup est un artefact construit par des artisans thraces pour leurs voisins, le peuple celte des Scordisques habitant les Balkans. Que les Cimbres s’en sont emparés lors des guerres contre ces mêmes Scordisques entre 118 et 103 av. J.-C. Un scénario parfait, tout y est, des artisans thraces, des commanditaires celtes et les Cimbres qui l’on emporté comme butin de guerre dans leur patrie nordique, le Danemark. Un scénario tellement parfait qu’il a toutes les chances d’être faux. À cause notamment d’un argument décisif, mais peu utilisé par les spécialistes qui penchent pour une origine gauloise du chaudron. Les druides interdisaient la représentation de dieux et la divulgation de leur doctrine.

Voir ANNEXE 25 La non-représentation des dieux

ANNEXE 26 Le refus de l’écriture

LES IMAGES DES DIEUX

C’est pourquoi, il n’y a pas d’images des dieux celtes avant la conquête romaine. Or, le chaudron de Gundestrup brise ces deux interdits. Il montre des dieux celtiques et révèle les croyances des druides. Donc la fabrication du chaudron intervient forcément après la conquête romaine de la Gaule, c’est-à-dire à partir de 50 av. J.-C. Pendant un court moment, les thèmes druidiques sont mis en images. Cependant, très vite commence le syncrétisme gallo-romain au cours duquel les dieux celtes sont assimilés aux dieux romains. Le chaudron ne subit pas cette influence et garde une iconographie uniquement inspirée par les druides.

LA FIN DE L’INDÉPENDANCE DES CELTES

Quelques dates pour situer les événements. Les Vénètes de l’Océan sont vaincus par César en 56 av. J.-C. lors d’une bataille navale.  Les quelques survivants du désastre trouvent refuge chez les Vénètes du Pays de Galles. César attaque ensuite l’ile de Bretagne en 55 et 54 av. J.-C. Restées sans lendemain, ces deux expéditions permettent pourtant d’inclure le sud de l’île dans la sphère d’influence économique et culturelle de Rome. La route maritime de la Gaule vers le Danemark est interrompue. La Gaule libre s’effondre définitivement en 51 av. J.-C. et tombe aux mains des Romains. C’est lors de cette fin d’un monde que la décision a été prise de briser deux tabous majeurs du druidisme. Ce devait être une décision collégiale des druides réunis en assemblée extraordinaire dans le centre druidique de l’île de Mona. Pour un certain temps encore hors de portée des Romains. On ne mesure pas assez ce que représente pour les druides une telle décision : elle brise deux millénaires de secret et de silence. Elle révèle, chose inimaginable, l’aspect gardé secret jusque-là des dieux du druidisme. Jamais auparavant les Celtes n’ont représenté leurs dieux. Jamais les Celtes n’ont représenté leurs croyances et leur mythe fondateur en image. Le chaudron de Gundestrup représente un moment unique dans l’histoire des religions. Ce n’est que la menace de leur propre disparition qui a poussé les druides à mettre en image leur testament sur un support en métal. La suite allait leur donner raison. En 5 ap. J.-C. les Cimbres sont mentionnés une dernière fois lorsqu’ils doivent remettre à l’empereur Auguste leur chaudron le plus sacré. Ce n’est pas le chaudron de Gundestrup qui a été déposé soigneusement dans une tourbière du Jutland. La conquête de l’ile de Bretagne commence sous l’empereur Claude en 43 ap. J.-C. et se termine en 83 ap. J.- C. Le centre druidique de l’île de Mona, situé sur le territoire des Vénètes du Pays de Galles, est détruit en 81 ap. J.-C.

LA DESTRUCTION DU DERNIER SANCTUAIRE

L’armée romaine attaque l’île, refuge de tous les exilés[1]. C’est une défense désespérée devant les légions romaines. Tacite décrit les événements :

L’ennemi bordait le rivage : à travers ses bataillons épais et hérissés de fer, couraient, semblables aux Furies, des femmes échevelées, en vêtements lugubres, agitant des torches ardentes ; et des druides, rangés à l’entour, levaient les mains vers le ciel avec d’horribles prières. Ce spectacle saisit d’effroi nos soldats, comme si leurs membres eussent été glacés, s’offraient immobiles aux coups de l’ennemi. Rassurés enfin par les exhortations du général, et s’excitant eux-mêmes à ne pas trembler devant un troupeau fanatique de femmes et d’insensés, ils marchent en avant, terrassent ce qu’ils rencontrent, et enveloppent les barbares de leurs propres flammes. On laissa une garnison chez les vaincus, et l’on coupa les bois consacrés à leurs atroces superstitions ; car ils prenaient pour un culte pieux d’arroser les autels du sang des prisonniers, et de consulter les dieux dans des entrailles humaines[2].

Les légions font un massacre parmi les défenseurs et détruisent le sanctuaire. Les Romains sont les ennemis jurés des druides. Pourtant Rome est normalement fort tolérants avec les cultes étrangers. Citons l’exemple de l’assimilation des dieux romains aux dieux grecs, les cultes Isis ou de Cybèle ou encore le Mithraïsme. César semble avoir interdit le culte aux druides puisqu’après son départ pour Rome, Lucain signale une reprise des anciennes coutumes[3]. L’empereur Auguste interdit aux citoyens romains la pratique du druidisme[4]. L’empereur Tibère interdit les druides[5]. L’empereur Claude interdit la religion des druides en 43 ap. J.-C.[6]. Le motif est toujours le même, la pratique du sacrifice humain[7]. Procédé efficace pour discréditer des adversaires et de les éliminer ensuite. Du Ier au IIIe siècle, ce sont les Chrétiens que l’on accuse de tuer des enfants et de manger de la chair humaine[8].

UN ROULEAU EN CUIVRE

Cette urgence de mettre par écrit des secrets sur un support en métal se retrouve en Palestine au Ier siècle de notre ère. Des archéologues ont trouvé en 1952 un rouleau en cuivre cassé en deux parties dans une grotte de Qumrân. L’oxydation du cuivre ne permettant pas de dérouler le rouleau. C’est donc à la demande des autorités jordaniennes que les deux parties formant le lot ont été sciés en lamelles au College of Technology de Manchester (Angleterre). Tout cela pour obtenir 23 bandes incurvées, ainsi que de nombreux éclats qui s’étaient détachés au cours du découpage.

CHAUDRON DE GUNDESTRUP DATATION. Qumran, Mer Morte, Rouleaux de cuivre contenant la “Liste des Trésors”

Qumran, Mer Morte, Rouleaux de cuivre contenant la “Liste des Trésors”, Amman, Musée Archéologique. (Source : akg-images / Jean-Louis Nou).

Les chercheurs ont alors découvert que le rouleau fabriqué avec trois feuilles de cuivre rivées les unes aux autres avait une longueur totale de 2.28 mètres, une hauteur de 30 cm et moins d’un millimètre d’épaisseur. Le rouleau transcrit et traduit révèle alors une liste de trésors cachés dans différents endroits autour de Qumran et de Jérusalem. Ces valeurs (or, argent, encens, vêtements précieux) ont été cachées par les combattants de la Grande révolte juive déclenchée en 66, afin de les soustraire à l’éventuelle prise de Jérusalem par les troupes romaines de Titus. Ce qui arrive en 70 de notre ère.

LA DESTRUCTION DU TEMPLE DE JÉRUSALEM

C’est le plus grand massacre de l’Antiquité. Flavius Josèphe évalue dans sa Guerre des Juifs le nombre des victimes à plus d’un million.  La ville est mise à sac, les murailles abattues, le second Temple de Jérusalem incendié, les archives détruites. La population est dispersée ou réduite en esclavage. Les Romains se montrent impitoyable avec leurs ennemis. Le bilan de la Guerre des Gaules n’est pas moins effrayant. Entre 600000 à 1 200000 tués chez les gaulois selon les sources[9]. Un million de prisonniers qui inonderont les marchés aux esclaves romains et qui feront la fortune de César[10]. C’est cette même menace d’un anéantissement total qui a poussé les druides à mettre leur propre trésor à l’abri des Romains. Pour cela, ils prennent la décision extraordinaire de mettre leurs croyances en image sur un chaudron en argent. De le transporter loin de la sphère d’influence des Romains en l’offrant aux confins du monde connu comme cadeau diplomatique à un des chefs celtisés des Cimbres.

TRANSMETTRE UN MESSAGE

Il est intéressant de noter que les druides ont préféré briser l’interdiction de représenter les dieux par des images plutôt que de recourir à l’écriture comme les auteurs du rouleau de cuivre. Il est vrai que ce dernier est long de plus de deux mètres. Les druides ont dû recourir à un trésor d’imagination pour résumer leur religion en quelques images. Pour cela, ils ont utilisé un langage universel :  l’astronomie. Suivant la position des étoiles on peut transmettre une date. Ce qu’ils ont fait en indiquant la fin de l’ère du taureau aux alentours de 2260 av. J.-C. À travers les constellations, ils peuvent également raconter une histoire, un mythe fondateur sur lequel repose l’enseignement des druides. L’astronomie, avec les mathématiques, est certainement un des meilleurs vecteurs de transmission de données mis à la disposition de l’humanité pour communiquer avec les générations futures.

DES ÎLES MYTHIQUES

Que cherchent les druides lorsqu’ils offrent ce chaudron à un chef des Cimbres ?

La première chose qui vient à l’esprit est bien sûr une protection pour eux et leur chaudron loin des serres acérées de l’aigle romain. Pourtant il y a autre chose. Les légendes irlandaises disent que le druidisme vient des Îles du Nord du Monde. C’est dans ces îles légendaires que résident les quatre druides primordiaux, maîtres de la science et de la connaissance.  De ces quatre îles, Falias, Gorias, Murias et Findias viennent également les quatre talismans sacrés des druides. De Falias vient la pierre magique de souveraineté, la Pierre de Fal qui est à Tara, capitale mythique de l’Irlande, Cette pierre crie sous chaque roi qui prend l’Irlande. De Gorias vient la lance de Lug, une des divinités principales des Celtes. Aucune bataille n’est gagnée contre elle ou contre celui qui l’a dans la main. De Findias vient l’épée de Nuada, le roi des dieux. Personne ne lui échappe quand elle est tirée du fourreau de la Bodb[11] et on ne lui résiste pas. De Murias vient le chaudron de Dagda[12], un chaudron d’abondance. Aucune troupe ne le quitte insatisfait[13].

Voir ANNEXE 13 Les chaudrons celtiques

UN MONDE PERDU

De ces îles mythiques viennent également le peuple mythique des Tuatha Dé Danann[14], ce sont les grands dieux du panthéon irlandais. Les druides ont-ils vu dans la presqu’ile du Jutland et des îles environnantes, l’incarnation des mythiques Îles du Nord du Monde. Les druides voulaient-ils ainsi opérer un retour aux sources, recréer une société celtique idéale loin de la sphère d’influence des Romains ? Peut-être même créer un centre druidique inspiré de celui de l’île de Mona au Pays de Galles qui pourrait un jour de nouveaux rayonner vers les anciennes terres celtiques. Un retour du chaudron sacré de Dagda vers son ancienne patrie ? Le travail est à moitié fait puisqu’après les contacts commerciaux et culturels grâce à la route maritime de l’ambre, les élites des Cimbres sont déjà celtisées.

UNE LEÇON DE DRUIDISME

Le chaudron est destiné aux élites des Cimbres. Il leur explique avec des images la religion des druides, leurs dieux principaux[15] et leur mythe central. C’est un livre d’images suivant l’adage de Napoléon Bonaparte : « Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ». En quelque sorte une Bible en images. Une Bible en argent finement ouvragée. Nulle part ailleurs les druides ont fait une chose pareille. Révéler ouvertement leurs croyances secrètes. Car, comment expliquer des notions abstraites à des gens qui ne comprennent peut-être pas toutes les finesses de votre langue. Mais peut-être désireux de se convertir. C’est pourquoi le chaudron de Gundestrup est le seul artefact connu qui explique la religion des druides. Le chaudron est certainement un cadeau apprécié des Cimbres. Non seulement il est magnifique et il est de grande valeur puisqu’il est en argent. Mais surtout il correspond parfaitement aux propres croyances des Cimbres.

LA RELIGION DES CIMBRES

Les Cimbres semblent vouer un culte particulier au taureau. Plutarque mentionne dans un de ses textes que les Cimbres sont en possession d’une statue d’un taureau d’airain sur laquelle les Romains vaincus, mais valeureux dans la bataille, doivent jurer lors de leur capitulation[16]. Le chaudron de Gundestrup semble fait pour eux puisqu’il présente sur la magnifique plaque du fond le sacrifice d’un taureau.

CHAUDRON DE GUNDESTRUP DATATION Chaudron de Gundestrup Plaque du fond

Chaudron de Gundestrup, plaque du fond. Nationalmuseet, Danemark.

Scène qui est répété sur une plaque extérieure avec le sacrifice de trois taureaux.

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10 Le triple sacrifice du taureau

Chaudron de Gundestrup. Plaque aux trois taureaux. Nationalmuseet, Danemark.

Sur le territoire des Cimbres, les archéologues ont retrouvé d’autres chaudrons avec des motifs taurins, notamment le chaudron de Rynkeby et ses protomés en forme de taureaux.

CHAUDRON DE GUNDESTRUP DATATION Chaudron de Rynkeby

Chaudron de Rynkeby, d’un diamètre initial de 70 cm, tête humaine avec un énorme torque autour du cou, entourée de part et d’autre de protomés en forme de taureaux (Source pinterest).

Il y a également ces mystérieuses figurines de taureaux aux cornes bouletées d’origine ou d’inspiration gauloises retrouvées dans différents pays nordiques.

Exemples du motif de la tête du taureau aux cornes bouletées provenant du bassin de la mer Baltique.

Exemples du motif de la tête du taureau aux cornes bouletées provenant du bassin de la mer Baltique. (Source : Tomasz Bochnak)

Ces cornes particulières que l’on retrouve à deux reprises sur des casques dans l’iconographie du chaudron en argent.

CHAUDRON DE GUNDESTRUP DATATION Chaudron de Gundestrup , plaque du dieu à la roue

Détail du chaudron de Gundestrup, personnage avec un casque à corne.

Chaudron de Gundestrup, plaque du dieu à la roue, personnage avec un casque à cornes. Nationalmuseet, Danemark.

CHAUDRON DE GUNDESTRUP DATATION Chaudron de Gundestrup, plaque du défilé militaire.

Chaudron de Gundestrup, cavalier avec un casque à cornes

Chaudron de Gundestrup, plaque du défilé militaire, cavalier avec un casque à corne. Nationalmuseet, Danemark.

DES CASQUES EN BRONZE

Ces casques en bronze arborant des cornes bouletées ressemblent étonnement aux deux casques qui ont été découvert en 1942 en Zélande au Danemark.

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10 Les casques de Veksø

Les casques de Veksø, Nationalmuseet, Danemark. (Wikimedia Commons).

C’est dans la tourbière de Brøns Mose, près du village de Viksø, que deux magnifiques casques à cornes presque identique ont été mis à jour. On pense que le Brøns Mose était un lac à l’âge du bronze et que ces casques ont été immergés dans l’eau en tant qu’offrande votive. Datés de la fin de l’âge du bronze nordique (entre 800 et 500 av. J.-C.) ces casques à cornes utilisée lors de cérémonies montrent que le culte du taureau est très ancien en Scandinavie.

LE CULTE DES JUMEAUX

Parmi les nombreuses hypothèses proposées pour expliquer la signification de ces objets, une retiendra particulièrement notre attention puisque ces deux casques presque identiques ont été mis en relation avec le culte des jumeaux divins des religions indo-européenne. Ce que l’étude du chaudron de Gundestrup que nous menons ne fera que confirmer. Des figures de jumeaux portant des casques à cornes font également partie d’un trésor datant de la fin de l’âge du bronze nordique ont été découverte à la fin du 18ème siècle à Grevensvænge, ​​municipalité de Næstved, Zélande, Danemark. Le trésor se composait de sept figurines en bronze dont cinq sont aujourd’hui perdues.

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10 Statuettes de l'âge du bronze de Grevensvænge

Dessin de quatre des figurines Grevensvaenge de 1779

En haut : Statuettes de l’âge du bronze de Grevensvænge, le guerrier agenouillé et l’acrobate. Nationalmuseet, Danemark. (Wikimedia Commons). En bas : Dessin de quatre des figurines Grevensvaenge de 1779 (Âge du bronze nordique, première moitié du 1er millénaire av. J.-C.), par Marcus Schnabel.

Un dessin réalisé en 1779 montre deux figures agenouillées de guerriers avec des casques à cornes et des haches ainsi qu’un acrobate bondissant et une femme debout. Sur la base d’une comparaison avec des pétroglyphes de la même époque (Tanumshede, Suède), on suppose que les figurines faisaient à l’origine partie d’un ensemble disposé sur un navire. Les figures de guerriers agenouillés ont été interprétées comme les jumeaux divins de la religion indo-européenne.

LE CULTE DU TAUREAU

Le chaudron de Gundestrup des druides avec ses thématiques du sacrifice du taureau ou des jumeaux divins a trouvé un terrain favorable chez les Cimbres puisque ces thèmes étaient largement répandus en Scandinavie depuis l’âge du bronze nordique. On peut même se demander si les cornes manquantes du taureau sur la plaque du fond n’étaient pas des cornes bouletées[17]. Ce culte du taureau devait être partagé par les alliés celtes des Cimbres, notamment les Tigurins, Helvètes qui suivront les Cimbres et les Teutons lors de leur migration à travers la Gaule. Puisqu’après leur victoire sur les légions romaines lors de la bataille d’Agen en 107 av. J.-C., les Tigurins font passer les vaincus sous le joug.

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10 Charles Gleyre (Chevilly, 1806 - Paris, 1874), Les Romains passant sous le joug ou La bataille du Léman, 1858

Charles Gleyre (Chevilly, 1806 – Paris, 1874), Les Romains passant sous le joug ou La bataille du Léman, 1858, le moment représenté est celui de l’humiliation des Romains contraints par les Helvètes à plier l’échine sous un joug réservé aux bœufs. La scène se déroule sous un chêne, l’armée helvète est conduite par Divico qui brandit le glaive, à droite, le char des druides et des prêtresses qui font monter vers le ciel le chant de la victoire, au centre, les prisonniers romains qui défilent, flagellés par les guerriers et moqués par les enfants. Huile sur toile, Commande de l’État de Vaud, 1850. © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.

Scène extraordinaire qui a marqué les esprits au cours de laquelle les romains doivent passer en acte de soumission sous un joug destinés aux bœufs[18]. Humiliation suprême dont se souviendra César lorsqu’il se vengera plusieurs décennies plus tard des descendants des Tigurins au début de la guerre des Gaules en 58 av. J.-C.[19].

UN GIGANTESQUE CHAUDRON DE CUIVRE

Cependant les Romains semble suivre les druides à la trace et cet établissement dans les Îles du Nord du Monde est un échec. Puisque dès 5 ap. J.-C. les Cimbres doivent en guise de soumission faire don de leur chaudron sacré à l’empereur Auguste[20]. Ce n’est pas le chaudron de Gundestrup, mais il semble que c’est un récipient beaucoup plus grand qui est mentionné dans un texte de Strabon :

C’était une coutume chez les Cimbres, que leurs femmes, qui prenaient part à toutes leurs expéditions, fussent accompagnées elles-mêmes de prêtresses ou de prophétesses, reconnaissables à leurs cheveux blancs, à leur robe blanche que retenait une écharpe de carbase ou de lin très fin agrafé par-dessus, à leur ceinture de cuivre et à leurs pieds nus. Amenait-on des prisonniers dans le camp, ces prêtresses, le glaive à la main, allaient au-devant d’eux, et, après les avoir couronnés de fleurs, les conduisaient vers un grand bassin de cuivre pouvant contenir vingt amphores et contre lequel était appliquée une sorte d’échelle ou de marchepied ; l’une d’elles y montait, et, tirant après soi jusqu’à la hauteur du bassin qu’elle dominait ainsi chaque captif à son tour, elle l’égorgeait, prononçant telle ou telle prédiction suivant la manière dont le sang avait jailli dans le bassin. Quant aux autres, elles ouvraient le corps des victimes et, d’après l’examen des entrailles, annonçaient et promettaient la victoire[21].

C’est un grand chaudron de cuivre d’une contenance de vingt amphores (environ 500 litres) auquel est adossé une échelle ou un marchepied. On ne sait pas ce qu’est devenu ce bassin de cuivre, mais le chaudron d’argent lui a été retrouvé soigneusement démonté dans une tourbière.

AU BOUT DU MONDE CONNU

Les druides le savent désormais, ils ne seront jamais à l’abri des Romains. Même au bout du monde connu. Leur établissement dans les Îles du Nord Du Monde est une utopie. Avec l’expansion romaine, la celtisation des Cimbres s’est interrompue en même temps que les contacts avec le monde celtique. Avec le temps les Cimbres redeviennent ce qu’ils ont toujours été des Germains. Le chaudron de Gundestrup n’a plus aucune utilité et il est finalement démonté et déposé dans une tourbière. Il est rendu aux dieux. Le démontage du chaudron indique que c’est un sacrifice. Lors d’une offrande aux dieux, un objet est consacré à une divinité sans la destruction de l’objet. Dans le sacrifice, en revanche la consécration implique la destruction ou la mise hors usage de l’objet offert. Le démontage rituel du chaudron est une transformation. En étant déposé dans une tourbière le chaudron disparait peu à peu du regard humain et passe d’un monde à l’autre. Petit à petit, il est englouti par la tourbière et retourne dans le monde des dieux.

UN MESSAGE POUR LE MONDE FUTUR

Pour transmettre un message, l’écriture semble être le vecteur parfait. Sauf que les millénaires passent et il ne reste plus personne pour comprendre la signification des signes et symboles utilisés pour écrire ce message. C’est pourquoi nombres d’écritures antiques sont difficilement ou pas du tout déchiffrées[22]. Les druides ne nous ont laissé aucun texte sacré indéchiffrable parce qu’ils ont tout simplement interdit l’usage de l’écriture. Avec le chaudron de Gundestrup ils ont opté pour une autre solution. L’utilisation de dessins pour transmettre leur message. Pourtant ils se sont retrouvés devant un énorme problème. Comment résumer leur religion complexe en un nombre limité d’images. Les druides ont utilisé un système à la fois simple et efficace puisque le chaudron de Gundestrup est crypté avec des symboles tirés de l’astronomie, notamment les images qui figurent les constellations.

LA CONSTELLATION DES GÉMEAUX

Les constellations forment en elle-même un système déjà très visuel composé de signes et de dessins. Prenons l’exemple des Gémeaux. Sur une carte du ciel les étoiles de la constellation sont reliées entre elles par des traits.

Carte du ciel Gémeaux

Carte du ciel montrant la constellation des Gémeaux (Gemini) (Wikimedia Commons).

En astrologie les constellations sont symbolisées par des signes.

Gémeaux (astrologie) — Wikipédia

Représentation symbolique du signe Gémeaux. (Wikimedia Commons).

En plus il existe d’innombrables dessins mettant en scène les Gémeaux. Rappelons que la constellation des Gémeaux est composée des jumeaux Castor et Pollux, les Dioscures.

Livre des Heures, le Maître Fastolf

Représentation des Gémeaux, Livre des Heures, le Maître Fastolf, 1440-1450, Bodleian Library, Oxford. (Wikimedia Commons).

Sur un magnifique fourreau d’épée en bronze retrouvée à Hallstatt (Autriche) nous retrouvons à la fois la représentation des Gémeaux et des Dioscures.

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 10 Fourreau d’épée en bronze, Hallstatt

Fourreau d’épée en bronze, Hallstatt, vers 400 av. J.-C. © Naturhistorisches Museum Wien (Source phm)

LES MAÎTRES DU TEMPS

Les jumeaux divins semblent se partager une roue. Rappelez-vous, les Dioscures passent en alternance une partie de l’année aux Enfers et l’autre partie parmi les dieux de l’Olympe. Ils sont les maîtres du temps. Les deux frères se partagent la roue du temps. Cette roue symbolise le calendrier des huit fêtes celtiques. Les quatre fêtes du calendrier solaire et les quatre fêtes basées sur le calendrier lunaire. Comme une majorité des peuples indo-européens et même au-delà, les Celtes ont représenté la constellation des Gémeaux par un couple de jumeaux. On peut même aller plus loin, ils ont partagé avec les autres peuples, les mêmes images des constellations à quelques exceptions près. Mais le problème reste toujours le même, comment résumer une religion complexe en un nombre limité d’images ?

UN PROBLÈME DE TRANSMISSION

Les scientifiques modernes ont été confrontés au même problème lorsqu’ils ont voulu communiquer avec d’hypothétiques formes intelligentes extra-terrestres en envoyant les sondes Pioneer 10 et 11 aux confins de l’espace en 1972 et 1973. Comment concevoir et envoyer un message, et sous quelle forme ? Les savants Carl Sagan et Frank Drake[23] chargé de cette mission ont opté pour une plaque faite d’un alliage aluminium-or anodisé sur laquelle des dessins sont gravées[24].

Plaque envoyée avec les sondes Pionner 10 et 11.

Plaque envoyée avec les sondes Pionner 10 et 11. © Nasa (Wikimedia Commons).

Comment résumer l’humanité en quelques dessins. Vaste programme. Sur cette plaque on peut voir un homme et une femme qui représentent le genre humain. Derrière eux, la sonde Pioneer est schématisée à la même échelle pour donner une idée de leurs tailles. Le système solaire (en bas de la plaque) est représenté avec le Soleil à gauche et les 9 planètes alignées sur sa droite. La trajectoire de la sonde partant de la Terre est indiquée par une flèche. Ce qui indique au lecteur potentiel de la plaque que notre planète est le point de départ de la sonde. En haut à gauche, ce qui ressemble à un petit haltère devient la représentation symbolique de la transition hyperfine de l’atome d’hydrogène. En dessous, un autre schéma montre 14 pulsars qui indiquent la position du Soleil dans notre Galaxie. Grâce à leur période d’émission codées en binaire et leurs distances au Soleil. Sur les sondes Voyager, les scientifiques répètent l’exercice avec nettement plus de moyens. La communication se fait, cette fois-ci, à travers un disque en or intitulé The Sounds of Earth (« Les sons de la Terre ») embarqué dans les sondes spatiales Voyager 1 et 2, lancées en 1977.

Disque d'or Voyager

Les sondes Voyager

Disque d’or de 30 cm de diamètre envoyé dans l’espace avec les sondes Voyager, à droite le boitier contenant le disque en or et les instructions d’utilisation et une répétition partielle des informations envoyées par les sondes précédentes. © Nasa (Wikimedia Commons).

UN DISQUE D’OR

La NASA a nommé un comité de sélection, afin de constituer le contenu du disque. Ce comité est encore une fois présidé par l’astrophysicien Carl Sagan et comprend, entre autres, Frank Drake qui avaient déjà été chargés de la réalisation de la plaque des sondes Pioneer lancées quelques années plus tôt. Sagan et ses confrères ont rassemblé 116 images, une variété de bruits provenant de la nature (vague, vent ou tonnerre). On trouve également des bruits d’animaux, des chants d’oiseaux et de baleines. L’équipe a ensuite ajouté une sélection musicale issue de différentes cultures et époques, d’une durée de 90 minutes. Ainsi que des salutations prononcées par des Terriens dans cinquante-cinq langues, et enfin des messages imprimés écrits par Jimmy Carter, président des États-Unis et Kurt Waldheim, secrétaire général des Nations unies. Le comité autour de Carl Sagan a cette fois privilégié des photos et des sons plutôt que des images dessinées puis gravés. Encore faut-il que l’interlocuteur potentiel puissent visionner ces images et entendre des sons, ce qui est loin d’être évident. Le dessin reste quand même une valeur sûre, même si les druides n’ont pas tout à fait réussi dans leur entreprise puisque l’iconographie du chaudron reste en grande partie un mystère. Une seule discipline peut nous aider à y voir plus clair : L’astronomie.

©JPS2021

[SAISON 1 ÉPISODE 11]

[ACCUEIL]

Photos mise en avant :

Monnaies des Aulerques Diablintes

Cheval androcéphale (à tête d’homme), monnaies des Aulerques Diablintes aux IIe-Ier s. av. J.-C. (Source : AlexisMagister).

[1] Tacite, Annales, XIV, 29.

[2] Tacite, Annales, XIV, 30.

[3] Lucain, I, 450.

[4] Suétone, Claude, 25. 1.

[5] Pline XXX, 13.

[6] Suétone, Claude, 25, 1.

[7] Le sacrifice humain pour raison religieuse est interdit à Rome depuis 97 av. J.-C. Les jeux du cirque avec les combats de gladiateurs ou les Chrétiens dévorés par des lions n’entrent pas compte. J’ai consacré un long chapitre à la mort chez les Celtes y compris les sacrifices humains qui existaient, mais étaient peu nombreux et surtout pratiqués en cas de danger imminent. Les dieux des druides, Tome I, chapitre VI, Des morts étranges, (non publié).

[8] Tertullien, Apologétique, VII, 1. Tertullien théologien chrétien de Carthage réfute dans son texte ces accusations.

[9] Velleius Paterculus, Histoire romaine, II, XLVII, donne le chiffre de 400000 morts, Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre VI, parle de 1200000 tués, Plutarque, Vies parrallèles, avance le chiffre de1000000 de morts.

[10] César a fait des profits considérables en vendant ces esclaves à Rome, mais il a également enrichi notablement ses légionnaires. En effet à Alésia, il fait remettre un esclave à chacun des ses hommes de troupe. Sachant que la vente des esclaves est un des commerces les plus lucratifs à Rome. À titre de comparaison les guerres contre la Cimbres et les Teutons en 104 av. J.-C. ont fournies 150000 esclaves à Rome et la prise de Carthage en 146 av. J.-C. environ 50000.

[11] Bodb signifie « corneille », c’est la déesse guerrière des Irlandais.

[12] Dieu le plus important des Tuatha Dé Danann juste après Lug.

[13] Pp. 312-313.

[14] Tuatha Dé Danann : « Tribus de la déesse Dana ».

[15] Ils semblent innombrables (400) et pourtant il n’y en pas tellement puisque ce sont toujours les mêmes qui apparaissent sous des noms différents. Il n’y a guère que l’astronomie qui permet d’y voir plus clair. Les articles à venir permettront de trancher ce nœud gordien.

[16] Plutarque, La vie de Marius, 23. Voir également [SAISON 1 ÉPISODE 2] Un chaudron qui n’en est pas un.

[17]  Voir [Saison 1 ÉPISODE 4] Le taureau aux cornes d’or.

[18] C’est une remise en question à connotation sexuelle de la valeur des guerriers vaincus qui laisse entendre qu’ils ne se sont pas battus comme des taureaux, mais comme des bœufs. Une castration symbolique.

[19] Le légat Lucius Calpurnius Piso Caesoninus aïeul du beau-père de César est tué lors de cette bataille.

[20] Strabon VII, 2,1.

[21] Strabon, VII, 2,3.

[22] Par exemple l’écriture de l’Indus qui reste à ce jour indéchiffrée ou l’alphabet étrusque, dérivé de l’alphabet grec, cette écriture est déchiffrée mais la langue elle-même reste globalement inconnue.

[23] Carl Sagan est un scientifique et astronome américain. Il est l’un des fondateurs de l’exobiologie, et a soutenu le programme SETI de recherche d’intelligence extraterrestre. Frank Drake est un astronome américain. Fondateur du projet SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence).

[24] Il faut rappeler que le chaudron de Gundestrup est en argent presque pur, dont certaines plaques étaient recouvertes d’or.

Pour en savoir plus: Chaudron de Gundestrup — Wikipédia (wikipedia.org)