DIOSCURES ET ANIMAUX
LES DRUIDES SAISON 2 ANNEXE 20
LE POUVOIR DES DIOSCURES DE SE TRANSFORMER EN ANIMAUX
Pour déchiffrer le chaudron de Gundestrup, il faut prendre en compte l’aptitude des héros celtiques de se transformer en animaux.
LE CHAUDRON DE GUNDESTRUP
Sur chaque plaque extérieure du chaudron d’argent figurent les Dioscures. Ils entourent une divinité dont on ne voit que le buste.
Image de la déesse et des Dioscures. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
La divinité est toujours immobile dans une posture hiératique. Tandis que les Dioscures sont présentés dans diverses scènes qui illustrent un mythe. Comme les cases d’une bande-dessinée qui racontent une histoire. Encore faut-il les mettre dans le bon ordre.
Ces Dioscures sont également présents sur les plaques qui ne montrent que des animaux autour des divinités. Car les deux frères jumeaux peuvent se transformer en animaux.
L’HISTOIRE DE TALIESIN
La possibilité qu’un héros puisse se transformer en animal n’est pas rare dans la mythologie celtique à l’image de Taliesin, figure importante de la littérature galloise.
Pour échapper à la magicienne Kerridwen, Taliesin (sous le nom de Gwyon Bach) doit se transformer successivement en lièvre, poisson, corneille, grenouille, chevreuil, renard, martinet, écureuil, cerf, taureau, sanglier, serpent tacheté, vipère, saumon, chien, coq blanc tacheté, bouc jaune, truie, laie, chat, chèvre et grue. Kerridwen, pour poursuivre le héros, se transforme en prédateur de chaque espèce concernée. Lors de sa dernière transformation, le héros devient un grain de blé que Kerridwen sous la forme d’une poule noire finit par avaler. Ce grain la féconde et elle enfante un garçon qu’elle confie à l’Océan[1].
L’HOMME PRIMORDIAL
Un autre personnage qui se transforme en animal vient d’Irlande : Tuan mac Cairill. Ce dernier est l’unique survivant du premier peuple qui a colonisé l’Irlande. Il est l’homme et le druide primordial qui transmet « l’histoire du monde » par le biais de ses métamorphoses successives. Il assiste à colonisation de l’île par différents peuples. Tuan vit trois cents ans sous la forme d’un cerf, deux cents ans en sanglier, trois cents ans sous la forme d’un oiseau (vautour ou aigle de mer) et pour finir trois cents ans en saumon avant de renaître sous une forme humaine.
LES DEUX PORCHERS
Deux autres personnages de la tradition irlandaise se transforment en animaux. Il s’agit des porchers Friuch et Rucht. Les porchers celtes occupent une place éminente à la cour des rois, ils sont à la fois druides et magiciens. Ils sont les gardiens des cochons des Tuatha Dé Dannan, nourriture qui procure abondance et immortalité. Malgré le fait que Friuch et Rucht sont les porchers de deux rois ennemis, ils sont amis, mais par ruse on arrive à les dresser l’un contre l’autre. Ils sont alors condamnés à une perpétuelle rivalité, mais leurs forces magiques s’équilibrent.
Friuch et Rucht au cours de leur querelle se transforment en différents animaux. Ils se battent sous la forme de deux corbeaux puis de deux poissons. Ensuite ils reprennent une apparence humaine en tant que champions des deux rois rivaux. Puis se transforment en vers et sont avalés respectivement par deux vaches, dont l’une donne naissance au fabuleux taureau, le « Brun de Cualnge » et l’autre au non moins célèbre taureau, le « Beau cornu d’Aé ». À cause ces deux taureaux, les tribus d’Irlande déclenchent une guerre meurtrière. À la fin de la guerre, les deux taureaux se déchirent mutuellement et meurent sans qu’il y ait de vainqueur ni de vaincu.
LES DEUX DRAGONS
Dans un conte gallois trois fléaux s’abattent sur l’île de Bretagne. C’est le second fléau qui nous intéresse ici qui consiste en un grand cri qui se fait entendre chaque nuit de premier mai. Date importante. Ce terrible cri traverse le cœur des humains et fait perdre la force aux hommes, les femmes perdent les enfants dans leur sein et les jeunes gens perdent la raison, tandis que les animaux deviennent stériles. Lludd est le roi de l’île et demande conseille à son frère pour faire cesser ces calamités. Le frère, nommé Llevelys, comprend l’origine du fléau. Il s’agit d’un dragon qui est attaqué par un dragon étranger qui se bat avec lui et qui cherche à le vaincre. C’est pourquoi le dragon pousse ce cri effrayant. Llevelys conseille à son frère Lludd de mesurer l’île de Bretagne et d’en déterminer le centre exact, d’y creuser un trou et d’y mettre une cuve d’hydromel recouverte d’un tissu. Les dragons se battent d’abord sous la forme d’animaux horribles puis sous la forme de dragons dans le ciel. Lorsque les dragons sont fatigués de ce terrible et farouche combat, ils tombent sur le tissu sous la forme de deux porcelets, ils boivent ensuite l’hydromel et s’endorment. C’est alors qu’il faut les enfermer dans un coffre de pierre à l’endroit le mieux fortifié de l’île et de cacher celui-ci sous terre. Aussi longtemps qu’ils resteront enfermés dans ce lieu fortifié, aucun fléau étranger n’atteindra l’île de Bretagne.
Dans ce texte gallois ce ne sont pas des humains qui se transforment, mais des dragons qui peuvent prendre la forme de porcelets. Ce lien entre porcelet et dragon est un détail important pour la suite de la démonstration puisque sur les images du chaudron d’argent apparaissent à la fois de dragons et des porcelets.
Dans toutes ces histoires, il y a à chaque fois une série de transformations qui se retrouvent également sur les plaques du chaudron de Gundestrup.
LES JUMEAUX DIVINS
Sur une des plaques du chaudron d’argent, les Dioscures sont représentés en tant que porchers qui se font face.
Les deux porchers. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
La rivalité entre les deux est patente puisque le dieu central doit les retenir. Les Dioscures tiennent bien en évidence chacun un porcelet dans la main. Du côté gauche se trouve Orion, reconnaissable à son chien (la constellation du Grand Chien, Canis Major) et en face est figuré Cernunnos qui est placé au-dessus d’un de ses nombreux animaux fétiches, en l’occurrence le cheval ailé (la constellation de Pégase, Pegasus). Les Dioscures sont en place pour s’affronter sous différentes formes animales comme les porchers du texte irlandais.
LES TRANSFORMATIONS DES DIOSCURES
Ils apparaissent d’abord en tant que Dioscures qui se battent pour être les souverains d’une partie de l’année. À gauche Orion règne lors de la saison sombre (automne, hiver), à droite est le souverain de la saison claire (printemps, été). La déesse symbolise la souveraineté à laquelle ils veulent accéder en alternance. Comme avec les porchers d’Irlande, ils se neutralisent et il y a un équilibre entre les deux saisons qui se succèdent dans un cycle sans fin.
La rivalité entre les deux Dioscures. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
Les Dioscures doivent se battre aux deux dates importantes du calendrier celtique. Bien entendu ces images comportent comme toute l’iconographie élaborée par les druides plusieurs niveaux de lecture. Dans cet article ne sera abordé que la rivalité des Dioscures
LE CHANGEMENT DE SAISON
D’abord au premier mai, comme l’indique le conte gallois, lors de la fête druidique de Beltaine qui marque le début de la période claire. Ils se battent sous la forme de deux dragons.
Le dieu aux deux dragons. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
C’est l’hiver et l’été qui s’affrontent. Les ténèbres et la lumière. Le chaud et le froid. Mais ce n’est en aucun cas le combat entre le bien et le mal, il faut plutôt chercher l’explication du côté du Ying et du Yang chinois qui sont des puissances complémentaires dans leur opposition. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Selon la tradition celtique ces deux dragons ont deux couleurs différentes, l’un est blanc et l’autre est rouge.
Vortigern témoin de la lutte entre le Dragon Rouge et le Dragon Blanc. Illustration issue du Historia regum Britanniae. (Wikimedia Commons).
LES DEUX CERFS
Ensuite, les deux jumeaux se battent sous la forme de deux cerfs en automne lors de la fête de Samonios placée au 1er novembre qui marque le début de la période sombre.
Le dieu aux deux cerfs. Détail du chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
Il faudra bien sûr revenir dans un autre article sur le décalage qui existe entre le calendrier solaire (équinoxes et solstices) et le calendrier celtique puisque le mot gaélique Samain est issu du vieil irlandais samuin (variations : samain ou samfhuin) et qu’il est composé des racines *sam (« été ») et *fuin (« fin »), ce qui ne correspond pas vraiment au mois de novembre. Ce décalage est dû au verrouillage du calendrier celtique vers 1300 av. J.-C.
Deux cerfs qui se battent en Sologne. Photo : gitesologne41.fr
La période du brame s’étend de la mi-septembre à la mi-octobre.
UNE APPARENCE HUMAINE
Comme les deux porchers irlandais, les Dioscures peuvent prendre l’apparence de deux champions pour se combattre lors d’une assemblée entre tribus. Une des dates possibles est le 1er aout lors de la fête de Lugnasad qui signifie « assemblée de Lug ». Cette fête se situe entre les deux précédentes
Les Dioscures, à gauche Orion, à droite Cernunnos. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
Le dernier combat se situe en hiver lors de la fête d’imbolc, le 1er février. L’image montre, à gauche, Orion qui se bat contre un sanglier et, à droite, Cernunnos qui danse.
L’affrontement d’Orion avec un sanglier. Chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
Les druides qui ont élaboré l’iconographie du chaudron de Gundestrup ont habilement glissé plusieurs informations dans une même image. C’est le cas de cette plaque qui sort de l’ordinaire puisqu’elle montre d’un côté les Dioscures se faisant face ce qui permet de terminer le cycle des saisons commencé sur les plaques précédentes. Mais elle montre en même temps ce qu’on appelle dans l’écriture d’un scénario : le climax, c’est-à-dire le point culminant d’une histoire. Puisque Orion meurt au cours de cet affrontement avec le sanglier.
LES DEUX CORBEAUX
Les Dioscures apparaissent sous la forme d’animaux sur d’autres supports que le chaudron de Gundestrup. Par exemple comme les deux porchers du mythe irlandais en tant que deux corbeaux sur une sculpture gallo-romaine sur laquelle est représenté un dieu ayant deux corbeaux sur ses épaules.
Dieu aux oiseaux, sculpture gallo-romaine, Découvert au hameau de Moux, conservé au musée archéologique de Dijon (Wikimedia Commons).
Il s’agit bien d’Orion reconnaissable grâce à son chien. Le dieu est entouré par les deux Dioscures transformés pour l’occasion en corbeaux.
©JPS2024
[ACCUEIL]
Image mise en avant :
Un des deux porchers. Détail du chaudron de Gundestrup, Ier siècle av. J.-C., Argent doré, © Copenhague, Nationalmuseet.
BIBLIOGRAPHIE :
Les Quatre Branches du Mabinogi, Traduction P-Y. Lambert, Gallimard, Paris, 1993.
L’épopée celtique en Irlande, Traduction H. D’Arbois de Jubainville, A. Fontemoing, Éditeur, Paris, 1892.
Philippe Walter, Tristan et Iseut, Le porcher et la truie, Éditions Imago, Paris, 2006.
Jean-Paul Persigout, Dictionnaire de mythologie celtique, Éditions Imago, Paris 2009.
Jean Markale, L’épopée celtique d’Irlande, Éditions Payot & Rivages, Paris 1993.
Chaudron de Gundestrup — Wikipédia (wikipedia.org)
NOTES :
[1] Jean-Paul Persigout, Dictionnaire de mythologie celtique, Éditions Imago, Paris 2009.
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