LES CIMBRES (3/3) : LES VÉNÈTES

LES DRUIDES SAISON 1 ÉPISODE 8

Peuple mystérieux des confins du monde connu, les Vénètes sont les maîtres du commerce de l’ambre entre les rivages de l’océan Atlantique et la mer Baltique. C’est par cette voie maritime que le chaudron de Gundestrup, après de nombreuses péripéties, a rejoint le Danemark.

UN PEUPLE DE MARINS

Cette théorie de la route maritime de l’ambre reliant le monde celte des rivages de l’Atlantique à la Scandinavie est séduisante encore faut-il prouver que les Celtes étaient capables de construire des bateaux permettant d’effectuer ce trajet. C’est Jules César qui est notre meilleur témoin quand il parle des Vénètes des côtes bretonnes :

Ce peuple est de beaucoup le plus puissant de toute cette côte maritime : c’est lui qui possède le plus grand nombre de navires, flotte qui fait le trafic avec la Bretagne ; il est supérieur aux autres par sa science et son expérience de la navigation ; enfin, comme la mer est violente et bat librement une côte où il n’y a que quelques ports, dont ils sont les maîtres, presque tous ceux qui naviguent habituellement dans ces eaux sont leurs tributaires[1].

César est on ne peut plus clair. C’est le peuple le plus puissant de la côte atlantique de la Gaule. Ce sont eux qui possèdent le plus grand nombre de bateaux et qui organisent le trafic maritime entre le continent et les îles britanniques. Ils sont les maîtres des ports des côtes de l’Atlantique de la Bretagne, de la Manche et de la mer du Nord. Et pour finir, tous ceux qui naviguent dans ces eaux leurs paient tribut. Impossible donc qu’ils ne connaissent pas les Vénètes du Pays de Galles. De plus, ils sont supérieurs aux autres par leur science et leur expérience de la navigation. C’est un grand peuple de marins qui n’a pas peur d’affronter l’océan et ses périls[2].

DES ENNEMIS DE ROME

Les Vénètes imposent à César la seule grande bataille navale livrée pendant la guerre des Gaules. Lors de la guerre contre César en 56 av. J.-C., ils forment une alliance avec les autres peuples gaulois et belges qui habitent les côtes de la Manche et de la mer du Nord[3]. Ils demandent également de l’aide aux peuples de la Bretagne insulaire. Strabon dit que les Vénètes veulent empêcher César de passer en Bretagne[4]. Ce qui suppose un contrôle étendu des côtes, non seulement de l’Atlantique, mais de la Manche. Les Romains veulent attaquer les Vénètes, mais redoutent la navigation sur l’océan avec ses hauts-fonds, ses marées et ses tempêtes. Leurs ports et citadelles sont également d’un accès difficile pour les Romains. Puisque, selon les dires de César, ils sont placés à l’extrémité des langues de terres et de promontoire, de sorte qu’on ne peut y accéder à pied quand la mer est haute et qu’ils ne sont pas plus accessibles aux navires, ceux-ci s’échouant inévitablement à marée basse[5]. Les tentatives de déloger les Vénètes grâce à des terrassements et des digues pour contenir les flots de l’océan puis l’érection d’ouvrages pour atteindre les remparts est un échec, car les assiégés prennent leurs bateaux et se réfugient dans un autre port pourvu des mêmes défenses naturelles[6]. Ne reste l’option d’une bataille en pleine mer, pour cela César fait construire en hâte des navires de guerres sur la Loire chez les Pictons alliés de Rome.

DES BATEAUX CAPABLES D’AFFRONTER L’OCÉAN

César décrit les bateaux vénètes : les vaisseaux des ennemis sont construits et armés de la manière suivante. Leur carène est notablement plus plate que celle des nôtres, afin qu’ils aient moins à craindre les bas-fonds et le reflux ; leurs proues sont très relevées, et les poupes de même, appropriés à la hauteur des vagues et à la violence des tempêtes ; le navire entier est en bois de chêne, pour résister à tous les chocs et à tous les outrages ; les traverses ont un pied d’épaisseur, les ancres sont retenues non par des cordes, mais par des chaînes en fer ; en guise de voiles, des peaux, des cuirs minces et souples qui résistent mieux aux tempêtes de l’océan et à ses vents impétueux. Quand la flotte romaine se heurte à de pareils vaisseaux, elle n’a d’autre avantage que sa rapidité et l’élan des rames, tout le reste est en faveur des navires ennemis mieux adaptés à la nature de cette mer et à ses tempêtes. Les éperons[7] ne peuvent rien contre les navires vénètes, tant ils sont solides ; leurs bords étaient également plus hauts, ce qui protègent les marins vénètes des tirs des Romains, qui eux-mêmes étaient en position vulnérable, enfin ces hauts bords rendaient difficile un abordage de l’ennemi[8].

DES BATEAUX DE COMMERCE

Ce sont des vaisseaux admirablement adaptés à la navigation dans les eaux tumultueuse de l’Atlantique, mais ce ne sont pas des navires de guerre. Ce sont des bateaux qui assurent le transport de marchandises, d’environ 30 à 35 m. de long, d’une largeur de 8 m. 50 à 9 m. Le plat bord de ces bâtiments peut donc varier entre 2 m. 50 à 3 m. au-dessus de la ligne de flottaison, le tirant d’eau pouvant atteindre entre 1 m. 80 et 2 m.  Sur une monnaie des Morins figure un de ces bateau à deux mats et à la proue et à la poupe très relevées pour supporter les tempêtes de l’Atlantique.

LES DRUIDES 1 ÉPISODE 8 Monnaie des Vénètes

Quart de statère « à l’arbre et au bateau à deux mâts » du peuple Morins[9], Ier siècle av. J.-C., région du littoral de la Manche et de la Mer du Nord. (Photo cercle numismatique Dainvillois)

Ce sont donc des navires parfaitement capables d’entreprendre un voyage au long cours sur la route de l’ambre qui relie la Manche à la Baltique.

LA BATAILLE NAVALE

D’après César, les Romains se retrouvent face à 220 navires de la coalition vénète et sont perplexe sur la méthode de combat à adopter. Grâce à la supériorité de leurs navires les Gaulois ont d’abord l’avantage et infligent des pertes aux Romains. Les éperons de ses galères sont inefficaces, les tours des navires romains sont trop basses. Les traits lancés par les Romains n’atteignent que difficilement leurs cibles, par contre, ceux des Gaulois n’en sont que plus efficaces. Les seuls engins utiles lors de l’engagement sont de longues perches munies de faux qui servent à couper les cordes qui retiennent les voiles des navires vénètes. Cette ruse permet de neutraliser quelques navires mais elle est insuffisante pour remporter la victoire. Decimus Brutus envisage d’abandonner le combat. Lorsque, tout à coup, le vent tombe et les bateaux celtes qui ne naviguent qu’à la voile se retrouvent immobilisés. Les Romains contre-attaquent, leurs navires à rames plus maniables encerclent les vaisseaux gaulois qu’ils incendient ou prennent à l’abordage. Après plusieurs heures de combat, toute l’escadre gauloise est anéantie.

LA FIN DES VÉNÈTES

Après cette cuisante défaite, les Vénètes se rendent aux Romains. Jules César est impitoyable face à ses ennemis, puisqu’il fait égorger tous les sénateurs vénètes et vendre le reste de la population comme esclaves[10].

C’est la fin des Vénètes, on n’entendra plus jamais parler d’eux.

On peut pourtant se demander si leur défaite a rayé définitivement les Vénètes de la Carte de la Gaule ?

LES RESCAPÉS

César dit qu’un nombre infime de bateaux, grâce à la nuit, parvient à s’échapper[11]. Les Vénètes survivants savent qu’ils ne peuvent trouver refuge sur le continent. Il semble logique qu’ils fuient vers la Bretagne insulaire auprès de leurs frères vénètes du Pays de Galles[12]. Il faut également compter les navires qui sont encore sur la route de l’ambre en mer du Nord et en Baltique qui eux aussi ne peuvent plus regagner la mère patrie détruite et occupée par les Romains.

ÉPILOGUE :

En 1888, à Brech (Morbihan) sur l’ancien territoire des Vénètes, un paysan met au jour par hasard dans une lande un vase enfoui dans le sol et contenant des monnaies celtiques[13], des parures de cou, des fibules, des bracelets, des bagues et des anneaux. Ce dépôt est daté de la fin du 1er siècle av. J.-C. (probablement entre – 40 et le début du notre ère) par la présence d’un peu plus de trente-deux monnaies gauloises. De petits billons[14], probablement vénètes et sans doute contemporaines des dernières épreuves de la cité et des premiers temps de l’occupation romaine. Or, on a constaté que ces monnaies peuvent se classer en deux catégories, les unes contenant entre 23 et 35 % d’argent, les autres n’en contenant aucune trace. Les monnaies du temps de l’indépendance des Vénètes contiennent de l’argent et celles des temps de l’occupation romaine n’en contiennent pas.  Mais où est passé l’argent des Vénètes ? Qu’en ont-ils fait ?

Un chaudron en argent de près de 9 kg ?

©JPS2021

Voir également ANNEXE 15 L’origine des Constellations

[SAISON 1 ÉPISODE 9]

[ACCUEIL]

Bibliographie :

À propos des Vénètes :

Michel Clément, Patrick Galliou. Le dépôt gaulois de Brech (Morbihan). In: Revue archéologique de l’ouest, tome 2, 1985. pp. 65-71, disponible sur www.persee.fr

R.-Y Creston, Considérations techniques sur la flotte des Vénètes et des Romains. In: Annales de Bretagne. Tome 63, numéro 1, 1956. pp. 88-107, disponible sur www.persee.fr

Michel Denis, La campagne de César contre les Vénètes. In: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 1, 1954. pp. 126- 153, disponible sur www.persee.fr

Jean Loicq, Sur les peuples de nom «vénète» ou assimilé dans l’Occident européen. In: Etudes Celtiques, vol. 35, 2003. pp. 133-165, disponible sur www.persee.fr

Pierre Merlat, César et les Vénètes. In: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 1, 1954. pp. 154-183, disponible sur www.persee.fr

Patrick Thollard, César, Strabon et les Vénètes : un faux «emporion». In: Revue archéologique de l’ouest, tome 2, 1985. pp. 115-118, disponible sur www.persee.fr

Image mise en avant :

LES DRUIDES 1 ÉPISODE 8 Quart de Statère des Vénètes

Quart de statère « à l’arbre et au bateau à deux mâts ».

[1] César, Guerre des Gaules, III, VIII, Traduction L.-A. Constans, Les Belles Lettres, Paris, 1941.

[2] Les vénètes de l’Adriatique sont eux aussi de grands marins, la réputation de grande nation maritime de Venise n’est plus à faire avec ses possessions et comptoirs dans toute la Méditerranée et la mer Noire durant Moyen Age et de la Renaissance.

[3] César cite dans cette coalition les Osismes, les Lexoviens, les Namnètes, les Ambiliates, les Morins, les Diablintes et les Ménapes.

[4] Strabon IV, 4.

[5] César, Guerre des Gaules, III, XII. Strabon (V, 1, 5) décrit la même situation pour les Vénètes de l’Adriatique qui vivent sur l’eau. Avec des villes d’un accès difficile tant par voie terrestre que par voie maritime si l’on ne connait pas la lagune. En Paphlagonie se trouve le delta de l’Halys (aujourd’hui Kizilirmak) et qui est l’une des plus importantes zones humides de la Turquie.

[6] César, Guerre des Gaules, III, XII.

[7] L’éperon ou rostre (rostrum en latin), est une pointe renforcée située sur la proue d’un navire, utilisée comme arme pour couler les bateaux adverses.

[8] César, Guerre des Gaules, III, XIII. Nous sommes ici très loin des bateaux (de type Coracle) que l’on attribue habituellement aux Celtes. Rappelons que le coracle est un bateau de forme ronde ou ovale doté d’une structure en bois recouverte de peau d’animaux et enduit de goudron pour les rendre étanches. Ce sont des embarcations adaptées à la navigation sur les rivières et les lacs.

[9] Les Morins (Morini en latin), peuple de Gaule Belgique, se trouvent situés en bordure de la mer du Nord sur les actuels départements du Pas-de-Calais et du Nord pour la France et des régions de la Flandre maritime et de la Zélande (Belgique et Pays-Bas).  Toujours en révolte contre Rome. Ils participent à la coalition des peuples belges en 57 avant J.-C., menée par les Bellovaques. En 56 avant J.-C., ils adhérèrent à la coalition maritime des Vénètes. César mène alors une expédition contre les Morins et les Ménapiens qui se solde par un échec. Cependant, c’est de Portus Itius (Boulogne-sur-Mer), placée sur leur territoire, que César embarque pour aller envahir l’île de Bretagne.

[10] Dion Cassius (XXXIX, 43, 5) contredit César. Il indique clairement que les Vénètes mis à mort ou vendus à l’encan sont les prisonniers faits au cours de la bataille navale. Pourtant les Vénètes sont absents de la liste des peuples armoricains qui envoient des troupes au secours de Vercingétorix lors du siège d’Alésia, la bataille décisive de la fin de la guerre des Gaules en 52 av. J.-C.

[11] César, Guerre des Gaules, III, XV.

[12] Lors de la destruction du sanctuaire druidique de l’île de Mona (Anglesey) situé sur le territoire des Vénètes au Pays de Galles en 61 ap. J.-C., Tacite raconte que l’île est le refuge de tous les fugitifs. Tacite, Annales, XIV, 29.

[13] Une série d’importants trésors monétaires gaulois, datées de la première moitié du Ier s. av. J.-C. ont été découvert dans l’est de la Bretagne actuelle et, au-delà, jusque dans l’île de Jersey. Citons le trésor de Saint-Jacques-de-la-Lande qui aurait comporté environ 2000 monnaies. Le trésor d’Amanlis (Ille-et-Vilaine) estimé à 10.000 pièces. Celui de Trébry (Côtes-d’Armor), où 1756 statères de billon avaient été déposés dans un vase en céramique enfoui dans le sol. Celui de Saint-Aubin-du-Pavail (Ille-et-Vilaine), où un ensemble de plus de 1000 statères a été mis au jour. Mais les dépôts les plus considérables sont ceux de l’île de Jersey, qui a fourni deux trésors contenants chacun plus de 10000 monnaies des peuples de l’ouest de la Gaule. En 2012, deux prospecteurs anglais ont découvert un trésor de monnaies gauloises de 750 kilos dans un champ. Le trésor de Grouville est composé de 70000 statères et demi statères Coriosolites. Le dépôt contient aussi des monnaies d’autres tribus armoricaines (Osismes, Riedones, Vénètes, Baïocasses), mais aussi des monnaies britonnes (Durotriges). Le trésor contient également une douzaine de torques en or et en bronze ont été repérés, ainsi qu’une bague, une probable hache polie, une broche en argent et quelques bracelets. Ces découvertes ont permis de mieux dater l’enfouissement du trésor de Grouville, la période retenue étant dorénavant de 50 à 30 ans avant J.-C., c’est-à-dire après la conquête des Gaules. Ces dépôts prouvent en tout cas que les peuples armoricains attaqués par les troupes romaines de César ont eu le temps fuir et de cacher leurs trésors monétaires.

[14] Le billon est un alliage de cuivre, zinc et argent, contenant souvent moins de 30 % d’argent, cet alliage servit à la frappe de pièces dévaluées ayant le même cours que les vraies monnaies en argent, notamment dans le système monétaire romain dans l’Antiquité.