Les curieux sont récompensés…

En bonus caché :

Un extrait du Tome 1 Les dieux des druides, un manuscrit inédit.

Et accessoirement les numéros de loto gagnants : 47 41 23  7 30 16 (seconde énigme).

Il emmène son secret dans la tombe.

LE CHEMIN DES ÉTOILES

 Il est dans le ciel une grande voie qu’on découvre quand l’air est pur et sans nuages ; elle est remarquable par sa blancheur ; on la nomme lactée. C’est le chemin qui conduit au brillant séjour     du maître du tonnerre. À droite et à gauche sont les portiques des dieux les plus puissants ; ailleurs habitent les divinités vulgaires. Les plus distinguées ont fixé leur habitation à l’entrée de cette voie, qui, si l’on peut oser le dire, est le palais de l’empire céleste[1].

L’astronomie peut apporter un éclairage nouveau sur l’univers spirituel des Celtes. Les druides observaient attentivement la voûte étoilée, César le dit clairement et la recherche l’a constatée à travers les déchiffrements de la cruche de Brno et de la plaque du fond du chaudron de Gundestrup pour ne citer que ces deux exemples. Le ciel étoilé faisant office de conservatoire des mythes celtes. Il suffisait au conteur de lever les yeux vers les étoiles et immédiatement surgissaient du fond du firmament les épopées de l’ancien temps. Ainsi les constellations de l’Hydre, du corbeau et de la Coupe retracent l’aventure d’un héros à la recherche d’un objet sacré. Que le ciel étoilé interprète clairement cet objet en tant que coupe ne peut que nous interpeler.

LE CHEMIN DES ÉTOILES. Les constellations de l’Hydre (Hydra), de la Coupe (Crater) et du Corbeau (Corvus) posé sur la queue de l’Hydre. Miniature extraite d’une Bible (Santa Cruz Museo, Tolède, Espagne).

Les constellations de l’Hydre (Hydra), de la Coupe (Crater) et du Corbeau (Corvus) posé sur la queue de l’Hydre. Miniature extraite d’une Bible (Santa Cruz Museo, Tolède, Espagne).

La Quête du Graal n’est pas loin. Cette quête correspond à une errance sur la voie lactée, le chemin des étoiles. Dans le conte gallois Peredur[2], le héros lors de ses pérégrinations rencontre quelques personnages marquants. Ces derniers ne sont-ils pas des constellations sur le chemin étoilé ?

LE CHEMIN DES ÉTOILES. En clair la Voie Lactée, le chemin des étoiles. Peredur avance de la gauche vers la droite et rencontre ainsi un des personnage les plus importants de son périple. C’est la constellation de Persée (Perseus) en rouge avec l’étoile Algol en jaune. 

En clair la Voie Lactée, le chemin des étoiles. Peredur avance de la gauche vers la droite et rencontre ainsi un des personnage les plus importants de son périple. C’est la constellation de Persée (Perseus) en rouge avec l’étoile Algol en jaune. 

LE SOLEIL INVAINCU

Nous prendrons comme exemple une de ces constellations qui se trouve sur le chemin du héros. Peredur lors de sa quête assiste au cortège du Graal chez le roi Pêcheur. 

Peredur s’assit à côté de son oncle, et ils discutèrent. Puis il vit deux jeunes gens entrer dans la grande salle puis dans la chambre, portant une lance d’une taille indescriptible ; trois ruisseaux [de sang] la parcouraient tout au long, de la pointe jusqu’à terre. Lorsque les gens de la cour virent cela, tous se mirent à crier et à gémir si fort que c’était insupportable. Mais l’homme n’interrompit pas pour autant sa conversation avec Peredur ; il ne lui apprit pas ce que c’était, et l’autre ne lui posa pas de question.

Après un moment de silence, ensuite, voici deux jeunes filles qui entrent avec un grand plat, sur lequel il y avait une tête d’homme et du sang en abondance. Chacun se mit alors à crier et gémir au point qu’il était pénible de rester dans la même maison[3].

Or, sur le chemin des étoiles, le héros rencontre un personnage qui tient dans sa main une tête coupée. Il s’agit de la constellation de Persée et de l’étoile Algol qui personnifie la tête décapitée de la gorgone Méduse. Eschyle décrit les trois Gorgones en tant que « monstres abhorrés des mortels, à la chevelure de serpents, et que jamais nul homme n’envisagea sans expirer ». Elles avaient pour dents des défenses de sanglier, leurs mains étaient d’airain, des ailes d’or étaient attachées à leurs épaules, et quiconque osait les regarder en face était pétrifié sur-le-champ. Une seule était mortelle, Méduse[4].

LE CHEMIN DES ÉTOILES. Persée dans l'Uranographia de Johannes Hevelius.

Persée dans l’Uranographia de Johannes Hevelius.                                 

LE CHEMIN DES ÉTOILES. Persée tenant la tête de Méduse (Benvenuto Cellini), Place de la Seigneurie, Loggia dei Lanzi, Florence.

Persée tenant la tête de Méduse (Benvenuto Cellini), Place de la Seigneurie, Loggia dei Lanzi, Florence.

Persée tenant la tête de Méduse (Benvenuto Cellini), Place de la Seigneurie, Loggia dei Lanzi, Florence.

Détail de l’œuvre précédente.

Pourtant il existe des variantes dans la représentation des Gorgones. Ainsi sur le cratère de Vix retrouvé dans la tombe d’une princesse celte, la Gorgone est une femme avec les jambes en forme de serpents. A noter que cette gorgone très spéciale est ailée puisque les anses du récipient forment des ailes stylisées visibles de profil.

Gorgone du Cratère de Vix, découvert en 1953 dans la tombe d'une princesse celte à Vix (Côte-d'Or) datée vers 510 av. J.-C. (Musée du Châtillonnais Châtillon-sur-Seine).

Gorgone du Cratère de Vix, découvert en 1953 dans la tombe d’une princesse celte à Vix (Côte-d’Or) datée vers 510 av. J.-C. (Musée du Châtillonnais Châtillon-sur-Seine).

Vue de 3/4 de la Gorgone.  Les ailes stylisées et les jambes en forme de serpents

Vue de 3/4 de la Gorgone.  Les ailes stylisées et les jambes en forme de serpents

Dans le domaine celtique nous retrouvons ce genre de personnage insolite avec les Vouivres et Mélusine. Les Vouivres sont des serpentes ailées portant une pierre précieuse[5] au milieu du front. Marcel Aymé décrit la Vouivre comme une jeune femme vivant au milieu des marais et des serpents et protégeant un énorme rubis. Mélusine réunie les deux cas de figure puisqu’elle est une jeune femme avec le bas du corps en forme de serpent. De plus, Mélusine est une serpente ailée.

L’envol et le retour (allaitement) Coudrette : Le roman de Mélusine ou l'histoire de Lusignan.

L’envol et le retour (allaitement) Coudrette : Le roman de Mélusine ou l’histoire de Lusignan. (BN ms Fr 24383 fol 30 r°)

La Vouivre du château de Salmaise — que la tradition confond avec Mélusine elle-même — fascine ses proies de son diamant. L’escarboucle brillante sert en effet à la vouivre à fasciner ses proies, comme les yeux de Méduse pétrifiaient ceux dont le regard croisait le sien[6]. Pourtant le conte gallois évoque une tête d’homme, mais ce serait oublier l’équivalent masculin des femmes-serpents : le géant Anguipède. 

Tongres. Détail du groupe du cavalier aux géants anguipèdes (vue latérale gauche)

Tongres. Détail du groupe du cavalier aux géants anguipèdes (vue latérale gauche)[7]. (Cliché ACL. Bruxelles).

L’apport des éléments astronomiques permet d’émettre l’hypothèse que c’est la tête du géant Anguipède qui est porté en procession lors du cortège du Graal.

 Tongres. Détail de la tête d’un des deux anguipèdes.

Tongres. Détail de la tête d’un des deux anguipèdes.

D’autant plus qu’il existe dans le roman Florimont d’Aymon de Varennes daté de la seconde moitié du XIIème siècle un géant Garganeüs au corps de serpent.

Il avait une tête de léopard et un regard particulièrement traître ainsi que le corps d’une guivre[8] volante. Personne n’avait jamais vu de créature plus grande. À partir des cuisses environ, son corps était celui d’un serpent et d’un poisson[9].

Ce roman décrit une créature qui ressemble à s’y méprendre au géant Anguipède. Ce personnage lance également un regard traître. Un regard paralysant, médusant ou pétrifiant comme celui d’une Gorgone[10]. Il faut rajouter que Florimont vainc Garganeüs en combat singulier et le décapite[11]. Couper la tête d’un géant est un thème récurrent de la mythologie celtique. Cette décapitation rituelle est appelée le « Jeu du Décapité ». Après un défi, le héros est obligé de couper la tête d’un géant ou d’un chevalier à condition que le héros vienne, au bout d’un an (ou un jour), se faire couper la tête à son tour par celui-ci. Le géant (ou chevalier) ne meurt pas, mais emporte sa tête sous le bras en promettant de revenir dans un an. Au bout d’un an le héros ne subit pourtant qu’un simulacre de décapitation. Lancelot du Lac (Perlesvaux), Gauvain (Sire Gauvain et le Chevalier Vert) et le héros irlandais Cúchulainn (Le festin de Bricriu) devront se soumettre au cours d’une de leurs aventures au rituel de la décapitation symbolique. Une autre tête coupée joue un rôle important dans la mythologie galloise, celle du géant Brân le Béni.

Brân, roi de l’Ile de Bretagne, a donné au roi d’Irlande sa sœur Branwen en mariage ainsi qu’un chaudron d’immortalité qui rend la vie à tout guerrier mort sur le champ de bataille. Mais Branwen est maltraité par le roi d’Irlande et Bran décide de récupérer sa sœur et le chaudron magique. L’expédition des Gallois en Irlande tourne au désastre, l’armée de Brân est anéantie et le chaudron détruit. Le héros qui est blessé à la jambe par une lance empoisonnée demande à ses sept compagnons survivants de lui couper la tête. S’ensuit un festin d’immortalité présidée par la tête de Brân qui ressemble beaucoup au festin du Graal dans Peredur avec la fameuse scène de la tête coupée posée sur un plateau. A la fin de l’histoire, la tête de Brân est enterrée dans la Colline Blanche de Londres et devient ainsi un talisman protecteur de l’Ile de Bretagne contre les envahisseurs potentiels.

La tête du géant est une forme primitive du Graal. Un symbole de mort et de renaissance. Lors du Solstice d’hiver, au plus profond de la nuit la plus longue de l’année, le soleil se meurt, mais c’est aussi le moment où le Soleil reprend force et vigueur pour amorcer sa lente remontée vers le zénith du Solstice d’été. Du plus profond des ténèbres renaît la lumière. C’est cette coupure entre descente et remontée du cours du soleil qui est symbolisée par la décapitation du géant[12]. Mais le géant est immortel, car il reviendra l’année suivante pour être à nouveau décapité par le héros. Nous voici en présence d’un mythe saisonnier qui reproduit la création du Monde. Cette réactualisation du mythe est célébrée lors du Nouvel An babylonien, l’Akîtu :

Au cours de la cérémonie akîtu, qui durait douze jours, on récitait solennellement et à plusieurs reprises le poème de la création, Enûma elish, dans le temple de Marduk. On réactualisait ainsi le combat entre Marduk et le monstre marin Tiamat, combat qui avait eu lieu in illo tempore et qui avait mis fin au Chaos par la victoire finale du dieu. (Même chose chez les Hittites, où le combat exemplaire entre le dieu de l’ouragan Teshup et le serpent Illuyankash était récité et réactualisé dans le cadre de la fête du Nouvel An). Marduk crée le Cosmos avec les morceaux du corps déchiqueté de Tiamat et crée l’homme avec le sang de Kingu, démon auquel Tiamat avait confié les Tables du Destin (Enûma elish, VI, 33 ; le motif de la création au moyen du corps d’un être primordial se retrouve dans d’autres cultures ; Chine, Inde, Iran, Germains). Que cette commémoration de la Création fût effectivement une réactualisation de l’acte cosmogonique, nous en avons la preuve tant dans les rituels que dans les formules prononcées au cours de la cérémonie. Le combat entre Tiamat et Marduk était mimé par une lutte entre deux groupes de figurants, cérémonial que l’on retrouve chez les Hittites, toujours dans le cadre du scénario dramatique du Nouvel An, chez les Égyptiens et à Ugarit. La lutte entre deux groupes de figurants ne commémorait pas seulement le conflit primordial entre Marduk et Tiamat ; elle répétait, elle actualisait la cosmogonie, le passage du Chaos au Cosmos. L’événement mythique était présent ; « puisse-t-il continuer à vaincre Tiamat et abréger ses jours ! » s’exclamait l’officiant. Le combat, la victoire et la Création avaient lieu en cet instant même[13].

Avec ces éléments portés à notre connaissance nous pouvons avancer l’hypothèse suivante, le héros celte « rejoue » en quelque sorte la scène de la création du monde durant laquelle le dieu tue le dragon, dans notre cas un géant, coupe le cadavre en deux, une moitié devenant la voûte céleste, l’autre moitié la terre. Nous pouvons encore aller plus loin dans la comparaison avec d’autres mythologies, notamment celle de l’Inde puisque Gauvain et le Chevalier Vert sont les équivalents de deux personnages indiens, le dieu Indra et le géant Namuci. Indra décapite Namuci et la tête de ce dernier devient le Soleil[14].

Indra procède ainsi à un acte de création :

Dans le mythe védique de la création, la personne (purusha) primordiale est divisée de telle sorte que « de sa tête procéda (litt. « roula ») le Ciel, et de ses pieds, la Terre ». (RV., X, 90, 14).

On a souvent, et à juste raison, comparé cette subdivision de l’homme primordial à celle du géant Ymir « dont on forma la Terre avec sa chair, et le ciel avec son crâne » (Grimnismal, 40)

De même, dans le mythe babylonien, Marduk coupe en deux Tiâmat[15], et façonne le Ciel avec sa partie supérieure[16].

Le géant Anguipède par sa nature serpentiforme est un serpent ou un dragon[17]. Couper la tête du géant Anguipède revient à couper la tête du dragon. Les Indo-Européens disposaient de différents modèles de créations. « Les Indiens, Iraniens et Celtes ont l’image d’un œuf du monde. Les Indiens, Iraniens, Scandinaves et Grecs ont en commun le motif de l’Homme primordial gigantesque »[18]. Dans le mythe mésopotamien, non indo-européen, le dieu Marduk coupe en deux le dragon Tiamat et façonne ainsi le Ciel et la Terre. Laissons de côté l’œuf cosmique que nous avons déjà étudié. Avec le dragon mésopotamien et le géant indo-européen nous sommes en présence de deux conceptions différentes de la création du monde. D’un côté la bissection d’un dragon et de l’autre le démembrement d’un géant. Si les deux ont en commun la division d’un être primordial engendrant le Ciel et la Terre, la nature de cette entité originelle est différente. Avec le géant Anguipède celtique, nous avons affaire à une créature hybride, un géant avec des jambes en forme de serpents. Un être mi-géant mi-dragon[19].

Ce personnage mythique ne représente-t-il pas la fusion entre les croyances de la Vieille Europe, des autochtones, agriculteurs et sédentaires partis quelques millénaires plus tôt du Proche-Orient et les nouveaux arrivants, les Indo-Européens, guerriers et nomades venus des steppes russes ?

En Europe de l’Ouest, ce syncrétisme entre deux visions du monde très différentes donnera plus tard naissance à la brillante civilisation celtique et au druidisme.

Nous avons dit dans l’introduction que :

Les étoiles tournent dans une ronde sans fin autour du pôle Nord céleste. Infatigables, les constellations se déplacent dans le ciel tout au long de la nuit, mais ce n’est pas tout, elles ne sont pas au même endroit ni en été ni en hiver. La machinerie céleste est continuellement en mouvement. Ce qui explique pourquoi le barde ou le druide raconte une histoire différente suivant les saisons, les nuits et même les heures de la nuit. Ainsi, le mythe conté lors de la fête de Beltaine à minuit n’était pas le même que celui narré lors des nuits de Samonios à la même heure. Ceux racontés en début et en fin de nuit sont également différents. Le répertoire des druides devait être immense et il fallait une mémoire non moins gigantesque pour pouvoir y puiser leurs mythes et légendes.

Mais que voyait un druide ou un barde en 280 av. J.C. lors des grandes fêtes celtiques dans le ciel étoilé sous nos latitudes[20] ?

La course poursuite que se livrent les constellations de l’Aigle (Aquila) et de l’Hydre (Hydra)[21] par exemple. L’une disparaissant lorsque l’autre apparaît. Durant les trois nuits de Samonios autour du 1er novembre, entre 20h et 21h la constellation de l’Aigle plonge sous l’horizon et disparaît à l’Ouest du ciel étoilé. A 21h30, seule Altaïr[22] peut encore être observée pour quelques instants. À ce moment précis du côté Est, la constellation de l’Hydre sort sa tête de l’océan céleste. Vers 1h du matin la moitié de l’énorme corps du monstre est hors de l’eau. A 2h, la constellation de la Coupe (Crater) posée sur le dos de l’hydre est enfin observable pour le spectateur de cette ronde céleste et à 3h apparaît finalement le Corbeau (Corvus). Un peu avant l’aube, le corps entier du serpent géant repose sur la terre ferme et la tête atteint le milieu du ciel nocturne. Lors de la nuit de Beltaine (1er mai), c’est l’inverse qui se produit. À partir de la tombée de la nuit jusque vers 22h30, l’Hydre rampe sur l’horizon puis commence à s’enfoncer, la tête en premier, dans l’océan céleste. A 23h, les trois-quarts du corps du monstre sont sous l’eau. Seuls sont encore visible le Corbeau, la Coupe et la queue du serpent. À l’Ouest vers 2h du matin, l’Hydre disparaît définitivement dans les profondeurs de l’océan céleste entrainant avec elle la Coupe et le Corbeau. Plein Est, l’Aigle apparaît vers 21h et poursuit son envol vers le centre du ciel qu’il atteint au lever du jour. L’Aigle semble poursuivre son ennemie, mais elle plonge sous l’horizon avant qu’il ne puisse l’atteindre. L’aigle symbole du dieu de l’orage (Zeus par exemple) perd ainsi à l’automne son combat contre le dragon lorsque les nuits deviennent plus longues que les jours et ensuite gagne cette bataille dans le ciel contre le monstre au printemps lorsque la tendance s’inverse. Le combat de la lumière contre les ténèbres, lutte qui est gagnée ou perdue en alternance par les protagonistes de ce mythe saisonnier[23]. Quelles histoires pouvaient bien raconter le conteur des temps anciens en observant ces évènements dans le ciel étoilé ?

Il est également très intéressant de constater que lors des fêtes d’Imbolc (1er février) et de Lugnasad (1er août), le même scénario de course poursuite se répète, mais cette fois-ci avec les constellations de la Vierge (Virgo) et de la Baleine (Cetus)[24], l’une disparaissant quand l’autre apparaît. Si cela semble être un rappel du mythe de Persée au premier abord, l’effet miroir nous donne une indication différente puisque la Baleine replonge dans les profondeurs de l’océan céleste lorsqu’apparaît la constellation de la Vierge dans toute sa splendeur. C’est un face à face direct. Si la Baleine gagne ce duel stellaire lors du 1er août et fait fuir la Vierge. Le monstre marin est chassé du ciel visible par la Vierge au cours de la nuit d’Imbolc. Cette séquence ressemble beaucoup à la légende de sainte Marthe qui met hors d’état de nuire la Tarasque, un monstre sanguinaire vivant dans les eaux du Rhône[25]. À l’inverse du mythe de Persée, nul besoin dans ce récit de l’intervention d’un héros masculin dans ce combat entre la Vierge et le monstre. Cela s’explique par le fait que nous ne parlons pas de la même histoire. Le premier récit met en scène un groupe de constellations que nous retrouvons près du pôle céleste qui englobe les constellations de Persée, d’Andromède, de Cassiopée, de Céphée et de la Baleine. Tandis que la seconde histoire nous raconte la confrontation saisonnière — lors des deux grandes fêtes celtiques — entre les constellations de la Vierge et de la Baleine. Le conteur a ainsi le choix entre un mythe perpétuel que l’on peut observer toute l’année. Car, hormis la Baleine, tous les protagonistes du mythe de Persée sont si proches du Pôle céleste qu’ils restent visibles toutes les nuits puisqu’ils ne descendent jamais sous l’horizon. Le second choix du conteur consiste à raconter un mythe saisonnier qui n’est visible qu’à certains moments importants de l’année. À nous de ne pas les confondre.

Pour revenir à Peredur, le héros poursuivra bien sûr son chemin dans les étoiles et rencontrera d’autres personnages/constellations : l’Impératrice ou le Roi Pêcheur par exemple ou il devra se battre contre des dragons, l’Addanc ou le Serpent Noir du Tertre Douloureux[26], mais aucune de ces étapes ne sera aussi déterminante pour le héros que cette scène avec une tête coupée, véritable prototype du cortège du Graal. Si l’astronomie ne peut bien sûr pas tout expliquer, elle permet en tout cas d’ouvrir de nouvelles perspectives, de nouvelles pistes de recherche. Tel le conteur des anciennes traditions, il faut lever son regard vers le ciel étoilé. Il suffit alors de suivre le chemin des étoiles et de se laisser guider par ses étranges habitants…

                                                                                                                                                            La Petite Camargue Alsacienne

                                                                                                                                                                    Déc. 2012 – Déc. 2016 [27]

[ACCUEIL]

NOTES :

[1] Ovide, Métamorphoses, I, 168-172, Traduction G.T. Villenave, Paris, 1806.

[2] Peredur ab Evrawc, récit gallois daté du XIIIème siècle, Peredur, le personnage principal du conte, est l’équivalent du Perceval de Chrétien de Troyes, roman français du XIIème siècle (composé autour de 1182) et du Parzival de Wolfram von Eschenbach, roman allemand du début du XIIIème siècle (écrit entre 1200 et 1210).. Partisan d’une approche astronomique des mythes celtes, je ne suis pas étonné que Peredur se déplace sur la Voie Lactée et croise la route de nombreuses constellations lors des différentes étapes de sa quête. Par contre, plus surprenant pour moi sont les nombreuses références alchimiques très précises qui émaillent ce récit.

[3] Les Quatre Branches du Mabinogi, L’histoire de Peredur fils d’Evrawc, Traduction P-Y Lambert, Gallimard, Paris, 1993, pp.248-249. 

[4] Polydectès, le roi de l’île de Sériphos, voulait séduire Danaé, la mère de Persée. Le roi chercha alors à se débarrasser de Persée devenu adulte en lui demandant de rapporter la tête de la Gorgone. Aidé par Hermès et Athéna, le  héros contraignit les trois Grées, après leur avoir enlevée leur œil et leur dent, à lui indiquer le chemin des Nymphes. Il y reçut le casque d’Hadès, qui rend invisible, tandis qu’Hermès et Athéna lui fournissaient des armes merveilleuses. Il put ainsi trancher la tête de Méduse, sans être vu par les autres Gorgones. Félix Guirand et Joël Schmidt, Mythes et mythologie, Larousse-Bordas, Paris, 1996, p. 234.

[5] Appelée Escarboucle. Suivant les récits la pierre est un rubis ou un diamant.

[6] Ces exemples sont tirés de l’ouvrage de Jacques Bril, La mère obscure, L’Esprit du Temps, Begles, 1998, p.96 et suivantes.

[7]  La sculpture d’époque romaine dans le Nord, dans l’Est des Gaules et dans les régions avoisinantes, Responsabilité scientifique et édition Hélène Walter, Collection Annales Littéraires, Presses Universitaires Franc-Comtoise, Besançon, 2000, Jean Mertens, Interférences culturelles aux confins des provinces de la Germania Inferior et de la Belgica :Tongres et la sculpture provinciale au II e siècle,  Planche IX, Jean Mertens, p. 267.

[8] Ou Vouivre.

[9] Philippe Walter, La fée Mélusine, Éditions Imago, Paris, 2008, p.42.

[10] Philippe Walter, La fée Mélusine, Éditions Imago, Paris, 2008, p.42. Les noms se ressemblent : Gorgones et Garganeüs. L’auteur écrit à ce propos : « La quasi-similitude des noms renvoie très probablement à un lointain héritage indo-européen commun » p.44.

[11] Philippe Walter, La fée Mélusine, Éditions Imago, Paris, 2008, p.38.

[12] Pour plus de détail nous renvoyons le lecteur vers l’ouvrage d’Ananda K. Coomaraswamy,  La doctrine du sacrifice, textes réunis et traduits de l’anglais par G. Leconte, Dervy, Paris, 1997, le chapitre intitulé Sire Gauvain et le Chevalier Vert. Voir également Philippe Walter, Gauvain le chevalier solaire,  Éditions Imago, Paris, 2013, notamment le chapitre IV, Le soleil et la chevalerie dans lequel l’auteur compare le Chevalier vert à un arbre, sur ce dernier est posé le Soleil. Décapiter l’arbre (le chevalier) vert à Noël revient à faire mourir le Soleil (au solstice d’hiver). p. 111.

[13] Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Éditions Gallimard, Paris, 1989, pp. 70-71.

[14] Chrétien de Troyes dans son roman ne révèle pas la nature du Graal. Pourtant il compare ce dernier au Soleil. « Puis apparaissait un Graal, que tenait entre ses deux mains une belle et gente demoiselle, noblement parée, qui suivait les valets. Quand elle fut entrée avec le Graal, une si grande clarté s’épandit dans la salle que les cierges pâlirent, comme les étoiles ou la lune quand le soleil se lève ». Chrétien de Troyes, Perceval le Gallois ou le conte du Graal, Traduction L. Foulet, Robert Laffont, Paris, 1989, p.44. D’un côté une tête coupée qui devient le Soleil, de l’autre un objet indéterminé qui resplendit comme l’astre du jour…

[15] Tiamat est le dragon primordial des mythes mésopotamiens.

[16] Ananda K. Coomaraswamy,  La doctrine du sacrifice, textes réunis et traduits de l’anglais par G. Leconte, Dervy, Paris, 1997, p. 106.

[17] Sa stature de géant lui vient du fait qu’il est comme Ymir, le géant du Monde à partir duquel ont été façonné le Ciel et la Terre.

[18] Bernard Sergent,  Les Indo-Européens, Éditions Payot et Rivages, Paris, 1995, p. 349.

[19] En héraldique, on désigne par l’adjectif dragonné tout être (surtout animal) dont la queue se termine en dragon. Ainsi pourrait-on dire que le géant Anguipède est un géant « dragonné ».

[20] La cruche de Brno a pu être datée de cette époque grâce aux concordances entre les constellations et les décorations de l’objet.  C’est pourquoi nous prendrons cette date comme référence, d’autant plus qu’en 279 av. J. C. le chef gaulois Brennus attaque la Grèce et pille le temple de Delphes. Or rappelons-le, le nom de Brennus vient du mot gaulois brannos (corbeau), tandis que dans le sanctuaire grec nous trouvons un chaudron sacré, l’Holmos, préfiguration du Graal (coupe) dont le gardien est un serpent géant dénommé Python. Nous retrouvons ici dans un même contexte les constellations de l’Hydre, de la Coupe et du Corbeau.

[21] L’Hydre est un serpent d’eau, possédant suivant les textes plusieurs têtes qui repoussent lorsqu’elles sont coupées.

[22] (Alpha Aquilae), l’étoile la plus brillante de la constellation de l’Aigle.

[23] Ce voyage dans le temps est possible grâce au logiciel d’astronomie — Stellarium — capable de simuler le ciel étoilé des temps les plus anciens. Néanmoins, une simple carte du ciel peut suffire (ce qui est mon cas), mais il faut avouer qu’avec ce logiciel, en mode « accéléré », l’effet en temps réel de cette course poursuite devient saisissant.

[24] N’oublions pas que la constellation de la Baleine était représentée dans les temps anciens sous la forme d’un dragon aquatique.

[25] Nombres de fêtes de saints chrétiens s’agglomèrent autour des grandes fêtes celtiques, Sainte Marthe ne fait pas exception puisqu’elle est fêtée le 29 juillet.

[26] Cette constellation permet d’ailleurs de dater le récit au début du IIIème millénaire avant notre ère.

[27] Réécriture et notes additionnelles 2017, 2018, 2019.

Pour en savoir plus sur le mythe de Persée : Persée — Wikipédia

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