LES DRUIDES : SAGES DE L’ANTIQUITÉ

LES DRUIDES SAISON 1 ANNEXE 28

Les auteurs de l’Antiquité ont considéré les druides comme les détenteur d’une grande sagesse.

DES PHILOSOPHES

Les druides ont-ils réellement été perçus par les auteurs de l’Antiquité comme « très savants » ? Puisque c’est la signification la plus probable de leur nom.

Tel est en tous cas l’avis de Diodore de Sicile, historien et chroniqueur grec du 1er siècle avant Jésus-Christ. Auteur d’une histoire universelle en quarante livres intitulée Bibliothèque historique. Œuvre qui rassemble tout le savoir de ses prédécesseurs qu’il complète par ses propres observations faites au cours de ses voyages en Europe et en Asie. Son œuvre est une mine de renseignements sur le monde connu de l’époque. Il est donc ce que l’on peut appeler un commentateur fiable.

Il y a aussi des philosophes et des théologiens à qui on rend les plus grands honneurs, et qui se nomment druides[1].

Diodore qualifie les druides de philosophes et théologiens, ce qui peut sembler au premier abord contradictoire. Puisque la théologie est l’étude et l’interprétation de la religion, des dieux, des textes sacrés et des dogmes, ce qui implique un corpus bien défini, incontestable et auquel on ne peut toucher, tandis que la philosophie est une discipline dans laquelle on avance des théories qui entrainent une réflexion et un débat d’idées. Pourtant, les druides semblent les prêtres d’une religion bien établie puisqu’ils :

…s’occupent des choses de la religion, ils président aux sacrifices publics et privés, règlent les pratiques religieuses ; les jeunes gens viennent en foule s’instruire auprès d’eux, et on les honore grandement[2].

En tout cas, force est de constater, que la religion des druides laisse tout de même une place au questionnement, à l’interprétation, au dialogue et à la réflexion. Il en a fallu de l’intelligence, de l’observation, de la réflexion et des discutions pour élaborer un système aussi sophistiqué que la religion stellaire des druides. Car le ciel druidique n’est pas statique, outre la complexité des figures divines, il implique également le mouvement saisonnier des constellations, la ronde céleste de la lune et du soleil et la position remarquables de certaines étoiles à un moment donné de l’année. Diodore de Sicile n’est pas le seul auteur à décrire les druides comme des philosophes.

UNE ÉLITE DU SAVOIR

Clément d’Alexandrie, Père de l’Église, philosophe grec né à Athènes vers 150, mort en Asie Mineure vers 220 de notre ère, les compare aux autres maîtres de sagesse du monde antique.

Ainsi donc la philosophie, ce trésor si fructueux, fut dès les anciens temps en honneur chez les Barbares et rayonna parmi les nations ; plus tard seulement elle arriva chez les grecs. Ses maîtres furent en Égypte les prophètes, en Assyrie les Chaldéens, en Gaule les Druides, en Bactriane les Samanéens, en pays Celte les philosophes de là –bas, en Perse les Mages […], en Inde les Gymnosophistes et d’autres philosophes barbares ; car ils en ont deux sortes, dites Sarmanes et Brachmanes[3].

Ainsi que Diogène Laërce, poète et biographe du IIIème siècle après J.-C., Auteur de Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres.

On a souvent prétendu que la philosophie avait pris naissance à l’étranger. Aristote (Livre de la Magie) et Sotion (Filiations, livre XXIII) disent que les mages en Perse, les Chaldéens en Babylonie et en Assyrie, les Gymnosophistes dans l’Inde et les gens appelés Druides et Semnothées chez les Celtes et les Gaulois, en ont été les créateurs[4].

Ceux qui disent que la philosophie a commencé chez les barbares exposent aussi ses caractères chez chacun de ces peuples. Ils affirment que les Gymnosophistes et les Druides mettaient leur philosophie dans certaines sentences d’un tour énigmatique : Honorer les dieux, Ne rien faire de mal et s’exercer au courage[5].

C’est le cas également de Dion de Pruse, philosophe, écrivain, brillant orateur, dont les œuvres sont en grande partie perdues.

Les Perses ont chez eux, je pense, les hommes qu’ils appellent Mages […] les Égyptiens ont leurs prêtres […] les Indiens leurs Brahmanes […]. Et les Celtes ont ceux qu’ils nomment Druides…[6].

Dans ces quatre textes les druides sont comparés aux autres sages du monde barbare. Ce sont les prophètes égyptiens, les Chaldéens de Babylone et d’Assyrie, les Samanéens de Bactriane, les mages perses, les Gymnosophistes et Brahmanes de l’Inde. Ajoutons à cela que les auteurs précisent que les druides sont gaulois et qu’il existe des philosophes appelés Semnothées chez les Celtes. Alors, qui sont ces hommes ?

UN PÉRIPLE A TRAVERS LE MONDE ANTIQUE

LES PRÊTRES ÉGYPTIENS

Commençons par les prêtres égyptiens qui passent auprès des Grecs pour les dépositaires d’un savoir d’une très haute antiquité.

Citons encore une fois Diodore de Sicile :

Comme la tradition place en Égypte la naissance des dieux, les premières observations astronomiques et les récits sur les grands hommes les plus dignes de mémoire, nous commençons notre ouvrage par les Égyptiens[7].

D’après Diodore, les prêtres égyptiens enseignent la religion, l’astronomie et la mythologie et cela depuis les temps les plus anciens. Prêtres, auprès desquels les Grecs viennent s’instruire. Un bon exemple est donné dans le Timée, un récit de Platon, dans lequel l’auteur raconte la rencontre de Solon, pourtant l’un des fameux sept sages de l’Antiquité, avec les prêtres égyptiens et d’où est tirée la célèbre tirade lancée par un vieux prêtre :

Solon, Solon, vous autres Grecs, vous êtes toujours des enfants : un Grec n’est jamais vieux ! ». « Vous êtes jeunes tous tant que vous êtes par l’âme. Car en elle vous n’avez nulle opinion ancienne, provenant d’une vieille tradition, ni aucune science blanchie par le temps[8].

Il est quand même intéressant de noter que pour ce vieux sage égyptien, les Grecs n’ont pas une tradition ni un savoir très ancien.

LES CHALDÉENS DE BABYLONE ET D’ASSYRIE

Continuons notre tour du monde pour nous intéresser aux Chaldéens, les prêtres astrologues de Babylone. Célèbres dans toute l’antiquité pour leurs connaissances en astronomie, en médecine, en mathématiques et dans les sciences naturelles. Ils sont craints et respectés pour leur savoir magique et divinatoire.

Il y a dans la Babylonie une caste ou colonie de philosophes indigènes appelés « Chaldéens » qui s’occupent principalement d’astronomie. Quelques-uns font aussi métier de tirer l’horoscope, mais ils n’ont pas l’approbation des autres[9].

Les Grecs ont ignoré la durée vraie de l’année et bien d’autres faits de même nature jusqu’à ce que des traductions en langue grecque des Mémoires des prêtres égyptiens aient répandu ces notions parmi les astronomes modernes, qui ont continué jusqu’à présent à puiser largement dans cette même source comme dans les écrits et observations des « Chaldéens »[10].

Ainsi, comme ils l’avaient fait pour l’Égypte, les Grecs viennent s’instruire auprès des Chaldéens. Même si les Hellènes s’en défendent :

Mais, en attribuant aux étrangers les propres inventions des Grecs, tous ces auteurs pèchent par ignorance, car les Grecs n’ont pas donné naissance seulement à la philosophie, mais au genre humain tout entier[11].

Tous les auteurs, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, ont depuis repris ce postulat grandiloquent, la Grèce antique est le phare qui éclaire le monde et ce n’est pas la peine de perdre son temps en discutions inutiles.

LES SAMANÉENS DE BACTRIANE

Poursuivons notre route vers la Bactriane aux confins de l’Afghanistan, du Pakistan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et de la Chine. Les Samanaei, d’après leur nom, semblent être des chamanes. Le terme « chaman » nous vient, à travers le russe, du toungouse saman. Certains linguistes y voient une influence indo-iranienne et font remonter le mot au pali samana et au sanscrit sramana[12], mot qui désigne un moine errant dans la tradition ascétique de l’Inde antique. Le chamanisme est toutefois un phénomène religieux typiquement sibérien et central-asiatique. Le chamane est un individu qui à travers une transe rituelle voyage dans « l’Autre Monde » à la rencontre des dieux, des esprits ou des ancêtres. Il est la figure centrale de la vie sociale et religieuse des sociétés du centre et du nord asiatique. Le chamane doit passer des épreuves pour accéder à l’Au-delà, descente aux enfers, passage d’un pont ou d’un gué périlleux etc… Actions que l’on peut retrouver dans certaines épopées insulaires anciennes, d’Irlande et du pays de Galles, qui démontrent un état antérieur de la religion, celle d’avant l’arrivée des Celtes.

LES MAGES PERSES

Notre prochaine étape est l’Iran ancien, où selon les sources grecques nous trouvons les mages qui sont les prêtres des Achéménides[13].

Selon ces sources, les mages sont essentiellement et originellement les disciples de Zoroastre[14].

Les Mages pratiquaient le culte des dieux, les sacrifices et les prières. Ils prétendaient avoir seuls l’oreille des dieux. Ils ont fait des traités sur la nature et l’origine des dieux, parmi lesquels ils rangeaient le feu, la terre et l’eau ; ils condamnaient l’usage des statues.

Dinon dit par ailleurs que, en se fondant sur l’étymologie, que Zoroastre était astronome, et Hermodore le confirme[15].

Comme les Perses, les Celtes sont des Indo-Européens. Entre les deux peuples on peut noter quelques similitudes notamment dans les pratiques funéraires. Comme par exemple, l’exposition aux oiseaux de proies des corps des guerriers morts en héros pour que leur âme soit transportée au ciel auprès des dieux. Ce qui implique la croyance en l’immortalité de l’âme. Comme les druides, ils se disaient aussi les seuls à connaître le langage des dieux[16] et comme les druides, ils condamnaient la représentation des dieux sous forme de statues.

GYMNOSOPHISTES ET BRAHMANES DE L’INDE

La suite de notre périple nous mène en Inde. Les auteurs antiques mentionnent auprès des druides, les Gymnosophistes que Clément d’Alexandrie sépare en deux groupes : les Sarmanes et les Brahmanes. Cette distinction est intéressante puisqu’elle constitue deux pans essentiels de la religion indienne. D’un côté, les représentants du Shivaïsme qui est la religion des Dravidiens depuis le néolithique et de l’autre côté les prêtres de la religion védique des Aryas, peuples nomades d’Asie centrale. La fusion de ces deux entités a engendré l’hindouisme.

Commençons par les Brahmanes qui sont membre de la caste supérieure de la société indienne, ils sont les gardiens de la parole sacrée incarnée dans le Veda (littéralement « savoir »). La grande différence entre Brahmanes et Sarmanes est le mode de recrutement : chez les premiers la fonction est héréditaire pour les seconds leur corporation est ouverte à tous ceux qui veulent atteindre la sagesse par l’ascèse. Dans les milieux universitaires, à la suite de Georges Dumézil et de ses études comparatistes entre les différentes composantes du monde indo-européens, on préfère comparer les druides aux Brahmanes ; ceux-ci semblent être des individus plus nobles et plus présentables que des sauvages échevelés vivants nus, pourtant issus, eux aussi, d’une civilisation plurimillénaire. Mais c’est bien aux Gymnosophistes, ces ascètes itinérants que les auteurs de l’antiquité comparent le plus souvent les druides. Pour une raison très simple, le druidisme, comme l’hindouisme, est le résultat d’une fusion entre la religion des envahisseurs indo-européens, en l’occurrence les Celtes, et les croyances des peuples autochtones de l’ouest européen.

Poursuivons notre enquête par les Sarmanes ; le terme semble être la transposition en grec d’un mot sanskrit sramana, qui désigne comme nous l’avons vu plus haut un ascète itinérant[17].  Or, ces moines errants ou Gymnosophistes, le mot signifie sages nus, semblent être les ancêtres des sâdhus[18] actuels.

Qui sont ces hommes étranges ? Voici quelques éléments de réponse.

Le monde parallèle des Sadhous, des moines errants de l’Inde, est un monde à part dont la fonction est de transmettre, à travers les âges, les formes les plus profondes de la sagesse antique, de la philosophie, des sciences traditionnelles. Une grande partie de ce savoir reste secret. Toutefois, les Sadhous ont le devoir d’enseigner partout ou ils se trouvent, même dans le plus humble village les préceptes qui sont nécessaires au maintien des traditions religieuses et morales. […] Nul ne peut pénétrer dans le cercle mystérieux et fermé que forment les Sadhous, ou du moins du moins ceux qui y pénètrent ne reviennent jamais dans la société ordinaire des hommes. Le monde des Sadhous reste inchangé quelles que soient les transformations de la société qui les entoure. Ce sont eux qui sont les gardiens et les représentants de cette « religion éternelle » (Sanatana Dharma) qui est la base de toutes les religions. Leurs pouvoirs sont grands mais les occasions où ils ont le droit et le devoir d’utiliser ces pouvoirs sont rares et sévèrement réglementées.

Plus un Sadhou occupe une place élevée dans la hiérarchie monastique, plus son rôle reste secret et son approche difficile Au sommet de cette hiérarchie existe peut-être cet être impersonnel et mystérieux que l’on a parfois appelé le « Roi du Monde » et que l’on ne peut jamais identifier ou localiser. C’est à ce Grand Maitre des Sadhous qu’appartient le devoir, lorsque la terre est affligée par la folie des hommes, de leur inspirer ces connaissances et ces ambitions par lesquelles ils se détruisent eux-mêmes. […] Il existe autour des véritables Sadhous une importante floraison d’hommes qui revêtent la robe orange des moines simplement par lassitude du monde ou pour éviter de prendre leurs responsabilités devant la vie. Ils ont ainsi une existence paresseuse et facile dans un pays où l’on ne refuse jamais nourriture et abri à un moine errant. Leur rôle est important car il permet aux vrais initiés, lorsqu’ils s’approchent de la société des hommes de passer complètement inaperçus[19].

Le « Roi du Monde »[20] quel titre ronflant pour le plus humble des hommes[21], mais il n’est certainement pas inintéressant de savoir que les druides avaient eux aussi un « Grand Maître ».

Tous ces druides obéissent à un chef unique, qui jouit parmi eux d’une très grande autorité. À sa mort si l’un d’eux se distingue par un mérite hors ligne, il lui succède : si plusieurs ont des titres égaux, le suffrage des druides, quelquefois même les armes en décident. Chaque année, à date fixe, ils tiennent leurs assises en un lieu consacré, dans le pays des Carnutes, qui passe pour occuper le centre de la Gaule[22].

Comme pour les Sadhous l’enseignement des druides doit lui aussi rester secret et réservé aux élus[23].

Ils (les druides) enseignent à l’élite de leur peuple quantité de choses, en secret et pendant longtemps (vingt années), soit dans une grotte, soit dans des vallons écartés[24].

Ce sont les Grecs qui les premiers ont brisé le tabou de la transmission du savoir. Ce n’est plus le maître qui initie son disciple dans le secret, mais une démocratisation de la connaissance. Les savants grecs ont énoncé dans les disciplines les plus diverses des lois qui portent désormais leurs noms. Ce qui en fait les découvreurs du savoir occidental. Ce qui ferait bien rire le vieux sage égyptien cité plus haut si on lui racontait que de nos jours les Grecs de l’Antiquité passent pour être les inventeurs de toutes choses.

PYTHAGORE

Arrêtons-nous un instant en Grèce. Les auteurs de l’Antiquité ont souvent comparé les druides aux pythagoriciens. Faisant même de Pythagore l’élève des druides ou l’inverse, les druides élèves du sage de Crotone. Écoutons encore une fois ce que disent les anciens :

Alexandre dans son traité les symboles pythagoriciens, rapporte que Pythagore fut disciple de l’Assyrien Zaratos[25]. […] et veut que Pythagore ait écouté encore des Gaulois et des Brachmanes[26].

Les druides chez les Celtes se sont appliqués avec un zèle particulier à la philosophie de Pythagore, le responsable de leur aspiration à cette philosophie étant Zalmoxis, d’origine thrace, et esclave de Pythagore. Après la mort de Pythagore, s’étant rendu là, il fut pour les druides à l’origine de leur pratique de la philosophie. Et les Celtes virent en ces derniers des interprètes des dieux et des prophètes parce qu’ils font des prédictions suivant la technique de Pythagore par la divination des cailloux et par celle des nombres. Nous ne passerons pas sous silence les moyens de cet art, depuis qu’ils ont entrepris d’introduire chez eux des écoles de philosophie. Par ailleurs, les druides utilisent aussi des pratiques magiques[27].

Quant aux druides, intellectuellement supérieurs, et liés en confréries suivant le précepte de Pythagore, ils s’élevèrent par leurs recherches sur des problèmes obscurs et profonds : dédaignant les choses humaines, ils proclamèrent l’immortalité des âmes[28].

Que faut-il penser de ces affirmations contradictoires ? Pythagore est un philosophe né au début du VIème siècle avant J.-C., très tôt devenu une figure de légende. On dit de lui qu’il est fils d’Apollon, qu’il est descendu aux enfers, qu’il a fait des miracles, etc…. Cependant lorsqu’il apparait sur le devant de la scène, les druides forment déjà un corps constitué. Si Pythagore a beaucoup voyagé pour rencontrer d’autres sages, à Tyr, en Égypte ou à Babylone, il n’existe aucune preuve d’un voyage en Gaule[29]. Pourtant, les enseignements des druides et de Pythagore se ressemblent assez pour être mentionnés par les auteurs de l’Antiquité.

MAÎTRES ET ÉLÈVES

Outre la longueur et le caractère secret de leur enseignement, le port de vêtements blancs, la vie communautaire, l’intérêt pour l’astronomie, ce sont surtout deux choses qui relient Pythagore et les druides : la croyance en l’immortalité de l’âme, et l’affirmation que les nombres sont pour ainsi dire le principe, la source et la racine de toute chose, puisque les druides utilisaient la divination par les nombres.

Alors qui est le maître ? Qui est l’élève ?  Aucun des deux. La solution de l’énigme nous est donnée par un troisième larron : Le Thrace Zalmoxis.

Pour y voir plus clair, faisons un dernier détour par la Thrace, région au nord de la Grèce, carrefour de plusieurs courants de pensées[30]. Ce pays passe pour être la patrie d’Orphée. Ce dernier est un poète, un magicien, un maître religieux et un diseur d’oracles. Maître de la parole chantée il envoûte les humains et les bêtes sauvages au son de sa lyre. Il descend aux Enfers pour récupérer sa jeune épouse Eurydice[31]. Lors de la remontée, celle-ci est malheureusement mordue par un serpent et disparaît définitivement. « Sa personnalité magique survit dans une tête chantante qui continue à donner des oracles bien des années après sa mort »[32]. Les disciples d’Orphée partagent plusieurs croyances avec les druides, celle en l’immortalité de l’âme ou l’étrange tradition de l’œuf primordial, symbole de la vie et à l’origine de tout. Plusieurs dieux leurs sont communs, par exemple, Zagreus, le serpent cornu ou Orphée lui-même qui charme les animaux, dont les images ressemblent beaucoup au dieu Cernunnos entouré d’animaux sauvages du chaudron de Gundestrup.

LES DRUIDES SAGES DE L'ANTIQUITÉ. Orphée et les animaux sauvages

Orphée et les animaux sauvages, mosaïque, Dallas Museum of Art. (Wikimedia Commons).

LES DRUIDES SAGES DE L'ANTIQUITÉ. Détail du chaudron de Gundestrup. Cernunnos entouré d’animaux.

Détail du chaudron de Gundestrup. Cernunnos entouré d’animaux et serrant dans une de ses mains le serpent cornu. (Wikimedia Commons)

D’ailleurs certains spécialistes attribuent une origine thrace au chaudron d’argent.

L’ORPHISME

La plupart des textes orphique sont perdus, c’est dommage, car retrouver l’orphisme c’est retrouver une grande partie du druidisme. Les points de convergence avec le druidisme sont certes nombreux, mais l’orphisme passe aussi pour avoir influencé Pythagore. De plus, le chamanisme est également très présent parmi les croyances des peuples scythes et thraces de cette partie du monde. Enfin, pour finir, n’oublions pas la présence des Celtes et avec eux les druides au contact de tous ces courants de pensés[33]. Et Zalmoxis dans tout ça ? Il est tout simplement le lien entre tous ces protagonistes. Il passe pour être chamane, on le dit aussi esclave de Pythagore et il a enseigné les druides. Tout cela relève bien sûr du mythe, mais avec Zalmoxis, Pythagore et Orphée nous touchons au plus près le mystère des druides. Parce que le chamanisme, le druidisme, l’orphisme et le pythagorisme ne sont que les quatre bras d’un même fleuve qui charrient la même eau et qui se sont retrouvés à un moment donné de l’histoire au même endroit : la Thrace.

Ces différentes religions, et bien d’autres encore à travers le monde, ont puisés leurs croyances à la même source : le ciel étoilé. C’est durant la Saison 2 que nous découvrirons plus en détail cette religion des étoiles.

LES DRUIDES ET LES SEMNOTHÉES

Finissons notre voyage par la Gaule. Il est très surprenant que les auteurs anciens distinguent la classe sacerdotale des Celtes et des Gaulois. Rappelons que si tous les Gaulois sont des Celtes, tous les Celtes ne sont pas des Gaulois. Ces derniers ne sont qu’un élément du vaste ensemble des Celtes. Commençons par les noms : Keltoï « Celtes » est le terme utilisé par les premiers historiens grecs pour désigner des peuples barbares venus d’occident qui menacent le monde grec, nom qui devient Celtae en latin. L’aire d’expansion des Celtes couvre une bonne partie de l’Europe des rivages de l’Atlantique au bassin du Danube. Galli « Gaulois » est le nom donné par les Romains aux Celtes cisalpins et transalpins dont l’équivalent grec est Galataï.

Clément d’Alexandrie distingue les druides gaulois des philosophes celtes. Quant à Diogène Laërce, il fait, lui aussi, la distinction entre les Celtes et les Gaulois et il donne deux noms différents à leurs philosophes : les druides et les semnothées. Ce dernier terme est-il, lui aussi, à rapprocher de Samanaei qui désigne comme nous l’avons vu des chamanes ? En tous cas le mot lui-même semno theoi est transcrit par « les dieux vénérables ». Comment faut-il comprendre ce nom ? Les semnothées sont-ils les représentants des dieux, vénèrent ils les dieux ou sont-ils considérés comme des dieux ? En tout cas, le seul druide dont l’histoire a retenu le nom est Diviciacus ce qui signifie le « divin ». Il est également intéressant de noter que le frère de ce druide porte le nom de Dumnorix « roi du monde »[34].

Pourquoi cette distinction entre druides et semnothées ?

Il peut y avoir deux explications. Soit les auteurs de l’Antiquité ne se sont pas rendu compte qu’ils décrivaient les mêmes individus ou il existe effectivement une différence entre les druides occidentaux de Gaule et les semnothées orientaux. Ces derniers, au contact des Thraces et des Scythes dans le bassin danubien, ont peut-être intégrés dans leur religion des influences chamaniques, ce qui pourrait expliquer cette nuance faite par les auteurs de l’Antiquité. Les mêmes dieux, mais des pratiques cérémonielles différentes. Un peu sur le modèle des Chrétiens avec d’un côté les catholiques en Occident et de l’autre les orthodoxes en Orient, deux religions sœurs. Il est pour l’instant impossible dans l’état actuel des connaissances sur le druidisme de trancher en faveur d’une de ces hypothèses. Cependant l’étude du chaudron de Gundestrup peut nous apporter une explication plutôt surprenante à cette énigme.

©JPS2022 (texte écrit en 2016, remanié en 2022)

ACCUEIL

[1]  Diodore de Sicile : Bibliothèque historique, Livre V, XXXI, in Mœurs et coutumes des Gaulois, Éditions Paleo, Clermont-Ferrand, 2010.

[2] Jules César, Guerre des Gaules, Tome II, Livres V-VIII, Traduction L.-A. Constant, Les Belles Lettres, Paris, 1989.

[3] Clément d’Alexandrie, Les Stromates, I, XV, 71, Traduction M. Caster, Les éditions du Cerf, Paris, 2013.

[4] Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre I, Introduction, Garnier-Flammarion, Paris, 1965, p.39.

[5] Diogène Laërce : Vies et opinions des philosophes illustres, Livre I, 5, in E. Cougny Extraits des auteurs grecs concernant la géographie et l’histoire des Gaule, Librairie Renouard, Paris, 1886.

[6] Dion de Pruse, Discours, XLIX. In Jean-Louis Brunaux Les Druides, Éditions du Seuil, Paris, 2006, p.136.

[7] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre I, IX, Traduction F. Hoefer, Charpentier, Libraire-éditeur, Paris, 1846.

[8] Platon, Timée, 21e-22c, Traduction A. Rivaud, Les Belles Lettres, Paris, 1956.

[9] Strabon, XV, I, in Marguerite Rutten, La science des Chaldéens, Presse Universitaire de France, Paris, 1960, p.89. La guerre astronomes-astrologues ne date pas de hier.

[10] Strabon, XVII, I, 29, in Marguerite Rutten, La science des Chaldéens, Presse Universitaire de France, Paris, 1960, p.12.

[11]Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre I, Introduction, Garnier-Flammarion, Paris, 1965, p39.

[12] Mircea Eliade, Le chamanisme, Payot, Paris, 1998, p.385.

[13] L’empire Achéménide est le premier des empires perses. Celui-ci a régné sur une grande partie du Moyen Orient. De Thrace jusqu’en Égypte et de Lybie jusqu’aux confins de l’Inde.

[14] J. Duchesne-Guillemin, Zoroastre, Robert Laffont, Paris, 1975.

[15] Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre I, Introduction, Garnier-Flammarion, Paris, 1965, p.41.

[16] Le langage des dieux est celui qui est écrit dans le ciel étoilé. Universel, il peut être décrypté par un astronome de n’importe quelle nationalité. Il suffit de savoir lire dans les étoiles le message des dieux.

[17] Et par extension les chamanes des steppes eurasiatiques.

[18] Proposition de Jean-Louis Brunaux dans Les Druides, Seuil, Paris, 2006, p. 113.

[19] Alain Daniélou, Le bétail des dieux et autres contes gangétiques, Éditions du Rocher, Monaco, 1994, p.7-9

[20]  Terme pas tout à fait inconnu des Gaulois puisque le nom des Bituriges, peuple du centre de la Gaule, signifie « les Rois du Monde ».

[21] Pourquoi humble ? Parce que le mot clef est initiation et cela sur une très longue période pour acquérir de grands pouvoirs. Parallèlement, l’initié gagne en sagesse et s’éloigne du monde en toute humilité. C’est pourquoi vous ne verrez jamais un Grand Maître se faire connaître, c’est tout simplement impossible. Ce qui fait dire qu’ils n’existent pas et c’est très bien ainsi.

[22] Jules César, Guerre des Gaules, Tome II, Livres VI, 13-14, Les Belles Lettres, Paris, 1989.

[23] Même si les Sadhous ont l’obligation de répandre dans chaque village les préceptes nécessaires au maintien des traditions religieuses. Dans le druidisme il existe trois préceptes connus, « Honorer les dieux », « Ne rien faire de mal », « S’exercer à la bravoure ».

[24] Pomponius Mela, Chorographie, Livre III, 2, 18 à 19, Traduction A. Silberman, Les Belles Lettres, Paris, 2003.

[25] Zaratos est le mage perse Zoroastre évoqué plus haut.

[26] Clément d’Alexandrie, Stromates, I, XV, 70,1, Traduction M. Caster, Éditions du cerf, Paris, 2013.

[27] Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, I, 25, in Jean-Louis Brunaux Les Druides, Éditions du Seuil, Paris, 2006, p.170.

[28] Ammien Marcellin, Histoire, XV, 9, 8, Les Belles Lettres, Paris, 1968.

[29] Une rencontre entre disciples de Pythagore et druides n’est pas à exclure en Grande Grèce (sud de l’Italie), mais trop tardive pour avoir une influence sur l’élaboration des doctrines des uns et des autres.

[30] Certains Grecs se sont aventurés dans ces contrées mystérieuses et se sont retrouvés transformés. « Or, en Scythie, et peut-être en Thrace, les Grecs étaient entrés en rapport avec des peuplades qui comme l’a démontré le savant suisse Meuli, étaient influencées par cette culture chamanique. Meuli a en outre suggéré qu’il faut voir des fruits de ce contact dans l’apparition, tard dans l’époque archaïque, d’une série d’iatromanteis, de voyants, de guérisseurs magiques, et maîtres religieux, dont certains, d’après la tradition grecque, sont reliés au Nord, et qui exhibent tous des traits chamaniques ». Citons le cas d’Aristéas de Proconnèse, « la tradition lui attribuait, en outre, des pouvoirs chamaniques de transe et de bilocation. Son âme pouvait, sous la forme d’un oiseau [un corbeau], quitter son corps à volonté ; il mourut, ou tomba en transe chez lui, et cependant on le vit à Cyzique ; plusieurs années plus tard, il apparut encore à Métaponte loin dans l’Ouest ». E.R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, Flammarion, Paris, 1977, pp. 144-145. Voir également Erwin Rohde, Psyché, le culte de l’âme chez les grecs et leur croyance à l’immortalité, Editions Les Belles Lettres, Collection « Encre Marine », Paris, 2017, p. 352. Ainsi que Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Études de psychologie historique, Editions La Découverte, Paris, 1996. L’auteur parle à deux reprises des pouvoirs de ces Mages grecs (p.125 et p. 143) : « les exercices spirituels de remémoration ont pu être anciennement solidaires de techniques de contrôle du souffle respiratoire qui devait permettre à l’âme de se concentrer pour se libérer du corps et voyager dans l’au-delà. La légende des Mages leur attribue précisément des pouvoirs de cette sorte. Leur âme quitte et réintègre leurs corps à volonté, le laissant, parfois pour de longues années, étendu sans souffle et sans vie dans une sorte de sommeil cataleptique. De ces courses dans l’autre monde l’âme revient riche d’un savoir prophétique ».

Autrement dit voyager dans l’Autre Monde grâce à des procédés mnémotechniques très élaborés. La pratique de tels « exercices de mémoire » ne serait-elle pas une excellente raison pour les druides de privilégier la Mémoire « écriture intérieure » au détriment de l’écrit « mémoire extérieure » ?

[31] « Comme les chamans partout, il visite les Enfers, et le motif de sa visite est un but fort commun chez les chamans — le recouvrement d’une âme volée ». E.R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, Flammarion, Paris, 1977, p. 151.

[32] E.R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, Flammarion, Paris, 1977, p. 151. Au Pays de Galles, la tête coupée de Brân le Béni préside un festin d’abondance et de gaité. Les convives, rescapés d’une bataille, pourvue en abondance de nourriture et de boisson, écoutent le chant merveilleux de trois oiseaux.

[33] Outre le chaudron de Gundestrup couvert de motif typiquement celtique, peut-être fabriqué par des artisans thraces. Les archéologues ont fait une découverte extraordinaire dans une chambre funéraire du site de Sboryanovo en Bulgarie (sur le territoire de l’antique royaume de Thrace) : un exceptionnel char celtique daté du IIIe siècle av. J.-C. avec ses chevaux enterrés debout, comme pétrifiés dans un dernier galop. Cet étrange attelage est-il un vestige du passage du chef gaulois Brennus lors de la prise de Delphes (Grèce) en 279 av. J.-C. ?

[34] Françoise Leroux, Christian J. Guyonvarc’h, Les Druides, Éditions Ouest-France, Rennes, 1986, p.382.

Pour en savoir plus sur Orphée: Orphée — Wikipédia (wikipedia.org)